Accueil Articles

Confusionnisme : non, le fascisme n’est pas de gauche

Adolf Hitler et Benito Mussolini à Munich en juin 1940. Wikicommons.

Dans le sillage de leaders d’extrême droite comme Éric Zemmour, certains militants politiques tentent de brouiller les pistes en expliquant que tous les courants dictatoriaux du XXe siècle, en particulier le nazisme et le fascisme, seraient de gauche. Retour sur ce contresens historique.

Il y a certaines évidences que l’on aimerait ne pas avoir à rappeler. Pourtant, depuis quelque temps, la diabolisation de la gauche s’intensifie et les discours deviennent de plus en plus orwelliens. Certains individus, notamment sur les réseaux sociaux, affirment que le totalitarisme serait par essence de gauche, le tout en prenant des figures d’extrême droite comme exemple.

Hitler, un socialiste, vraiment ?

La nouvelle contre-vérité en vogue au sein des mouvements identitaires (et même parfois chez les libéraux) est de faire passer Hitler pour un socialiste. Le tyran allemand serait ainsi le lointain ancêtre idéologique de la gauche actuelle. Ce discours ahurissant a été tenu par l’Américaine Marjorie Greene, élue proche de Trump, ou encore par Éric Zemmour, le fondateur de Reconquête.

Exemples de visuels mensongers et confusionnistes propagés sur les réseaux sociaux

Pour étayer leurs propos, les tenants de cette thèse absurde s’appuient sur des citations du dictateur et surtout sur le nom de la formation créée par le natif d’Autriche : « parti national-socialiste des travailleurs allemands ». Selon Éric Zemmour, ce serait une preuve irréfutable qu’il s’agirait de « gens de gauche ».

Un nom est juste un nom

Ce raisonnement fait fi d’un élément pourtant d’une simplicité déconcertante : les êtres humains mentent, en particulier certains politiciens. Emmanuel Macron, par exemple, a fondé son mouvement sur un livre intitulé « Révolution » alors qu’il est, à l’inverse, le chantre du conservatisme capitaliste et néolibéral.

Howard X et Dennis Alan, sosies de Kim Jong-un et de Donald Trump, en marge du sommet entre la Corée du Nord et les États-Unis à Singapour en 2018. Wikicommons.

Il est évident que se donner un nom ou se revendiquer de certaines idées pour séduire les masses n’a rien d’une nouveauté et n’est en rien preuve de véracité. La Corée du Nord est-elle vraiment une « République populaire démocratique » comme l’indique son appellation officielle ? Le Rassemblement National rassemble-t-il réellement la nation ?

Mentir pour séduire

Il est donc aisé de comprendre qu’un nom peut simplement recouvrir une volonté populiste de charmer les foules et ne correspondre à aucune réalité pratique. Les citations d’Hitler faisant allusion au socialisme, qui sont même utilisés par des sites libéraux pour combattre la gauche, ne prouvent d’ailleurs pas grand-chose de plus, si ce n’est que certains politiciens sont prêts à mentir éhontément pour accéder au pouvoir ou pour séduire la population. Cela a été bien constaté avec le chef de l’État durant la réforme des retraites ou encore, lorsqu’il se prétend écologiste.

« Hitler fait référence au socialisme parce qu’il pense que la clef du projet de refondation de l’Allemagne passe par le fait d’arracher les suffrages des masses au marxisme et donc aux socialismes de gauche et qu’il faut mettre en place un socialisme d’essence nationale et raciale. Mais ça n’a absolument rien d’un mouvement de gauche, c’est un simple combat tactique », explique l’historien Christian Ingrao à l’AFP.

Les actes démontrent la couleur politique, pas les paroles

En fin de compte, ce qui définit un socialiste, ou la couleur politique d’un individu en général, ce n’est pas le nom de sa chapelle ou ses discours, mais bien ses actes et son engagement. Ce qui fait preuve de vérité, c’est ce qu’Hitler a fait une fois aux commandes, et cela ne peut définitivement pas être associé à un courant d’idées à gauche.

Le discours d’Adolf Hitler au Reichstag le 23 mars 1933 qui annonce la loi des pleins pouvoirs. Wikicommons

D’ailleurs, en 1933, lorsque l’assemblée allemande donne les pleins pouvoirs au dictateur, le véritable parti socialiste fut le seul à voter contre. Les communistes, quant à eux, avaient déjà été exclus et arrêtés.

Les nazis ont maintenu le capitalisme

Sur le plan économique, la politique nazie n’a par ailleurs rien eu de socialiste. Comme l’explique l’historien Ishay Landa au magazine Jacobin, il n’est pas question avec Hitler de remettre en cause la propriété privée lucrative ni de socialiser les moyens de production. Les nazis défendent même la libre concurrence.

Ils auront certes une action interventionniste sur le marché, mais dans le seul but de sauver le capitalisme qui était en péril à l’époque après la crise de 1929. C’est d’ailleurs aussi ce qu’ont fait les néolibéraux du XXIe siècle avec les crises successives de 2008, du covid-19 ou de la guerre en Ukraine. Personne de raisonnable n’irait pourtant les qualifier de socialistes. Au contraire, le but était bien d’orienter le marché « en faveur des grandes entreprises ».

Parmi les penseurs nazis les plus marquants, on peut par ailleurs noter l’influence du juriste Reinhard Höhn. Opposé à l’État, il devient après la guerre l’un des précurseurs du management moderne tel qu’on le connait aujourd’hui. En opposition frontale avec le socialisme, la doctrine néolibérale, , qui sévit aujourd’hui partout dans le monde repose en partie sur ses préceptes.

Hitler pourchassait les marxistes qu’il associait aux juifs

Pour en finir avec cette fable de « Hitler, homme de gauche », on peut aussi noter que le leader d’extrême droite avait une profonde aversion pour le marxisme qu’il associait au judaïsme. Le dictateur avait ainsi récupéré à son compte l’une des théories du complot qui circulait beaucoup dans la société très antisémite de l’époque, celle du judéo-bolchevisme.

Selon cette théorie, la révolution russe de 1917 serait en réalité une conspiration juive pour prendre le contrôle du monde entier. Dès lors, en s’appuyant sur cette croyance, le gouvernement nazi envoie les marxistes, et en particulier les communistes, mais aussi certains socialistes, vers les camps de concentration.

Ces déportés porteront d’ailleurs un triangle rouge cousu à leurs vêtements, rappel de leur statut d’opposant politique. Le symbole était auparavant utilisé par le mouvement ouvrier militant de gauche et notamment les syndicalistes. Si Hitler a abolit les syndicats dès son arrivée au pouvoir, c’est encore fois parce qu’il ne se situe à aucun moment « à gauche ».

Même constat chez Mussolini et les fascistes

Non contents d’avoir travesti l’Histoire à propos d’Hitler et du nazisme, les mêmes militants qui cherchent à diaboliser la gauche assurent aussi que Benito Mussolini serait également affilié au socialisme, tout comme son courant, le fascisme.

Ici, le principal argument avancé par les défenseurs de cette thèse est que Mussolini a débuté son parcours politique au sein du Parti Socialiste Italien. Si cette affirmation est en effet exacte, il faut néanmoins rappeler qu’il en a été exclu dès 1914 pour ses positions en faveur de la guerre, contrairement à la gauche qui promeut le pacifisme. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1919 qu’il établit les bases du mouvement fasciste.

Fondamentalement, qu’une personne ait commencé son parcours politique à gauche ou non ne prouve rien quant à l’exercice du pouvoir qu’il aura fait par la suite. Avec l’embourgeoisement, par opportunisme, ou simplement de par un renversement d’opinion, bon nombre de politiciens ont changé de camp au cours de leur vie. C’est pourtant l’ensemble de leur œuvre qui doit être analysée. Force est de constater que lorsque Mussolini a commis tous ses crimes, il avait déjà rompu avec la gauche et ses valeurs depuis très longtemps.

Quant à dire que les racines du fascisme se trouvent dans la gauche en se basant sur ce parcours, il s’agit évidemment d’un sophisme. Combien d’autres figures de gauche sont au contraire toujours restées fidèles à leurs caractéristiques originelles ? Et combien de dictateurs ne sont jamais passés par la gauche auparavant ?

Un gouvernement contre la gauche

« Retourné par la guerre » selon les mots du professeur Johann Chapoutot, Mussolini va très vite vouloir détruire la gauche « parce que c’est le mal, l’antithèse de la nation ». Il va jusqu’à qualifier les membres du parti socialiste « d’ennemis mortels ».

Adolf Hitler en visite en Italie auprès de Mussolini Benito en mai 1938. Wikicommons

Au début des années 20, des milices fascistes commencent d’ailleurs à s’attaquer aux socialistes et aux communistes. Les soutiens de Mussolini vont ainsi ruiner le siège du journal socialiste de l’époque. Dans une ambiance de guerre civile, l’État va même appuyer ces organisations paramilitaires par peur d’une révolution bolchevique.

Les socialistes persécutés

De nombreux syndicalistes et socialistes seront assassinés. Ce que l’on appelle la « terreur blanche » règne alors sur l’Italie, mais également dans de multiples pays d’Europe qui écrasent les rébellions et tentatives de révolutions dans le sillage de celle de Russie.

Pour prendre la tête de l’Italie, Mussolini s’allie à la droite et au grand patronat. Au final, l’ascension du fascisme naît véritablement de la destruction de la gauche et des révoltes des travailleurs. La bourgeoisie, via la figure du roi, décide d’ailleurs de confier les pleins pouvoirs au Duche précisément pour éviter la guerre civile et l’émergence du communiste.

À peine deux ans après l’instauration du fascisme, Giacomo Matteotti, socialiste et opposant numéro un au régime autoritaire de Mussolini, est assassiné par les troupes du dictateur, bien que ce dernier n’en ait jamais avoué la responsabilité. Pour autant, le gouvernement continuera de se durcir après cet évènement. Ainsi, les syndicats sont très vite interdits et des milliers de militants de gauche sont fichés et arrêtés. Il faut également mentionner les politiques impérialistes et les lois racistes et antisémites créées suite à l’alliance de Mussolini avec Hitler, qui n’avaient définitivement rien de compatible avec les valeurs de la gauche.

Sur le plan économique, le système fasciste était sans doute interventionniste, mais uniquement dans un but corporatiste afin d’orienter le marché en faveur des grands industriels. Il ne s’agissait de plus que d’une étape transitoire vers un démantèlement de l’État au profit du libre-marché.

Enfin, Mussolini et Hitler étaient tous deux de fervents nationalistes. Or l’essence du socialisme et de la gauche se trouve au contraire dans l’internationalisme qui prône l’union des travailleurs du monde entier pour renverser la classe capitaliste. Associer les deux dictateurs aux idées de la gauche en général, et en particulier aux mouvements contemporains qui s’opposent directement à ces doctrines, est donc un non-sens.

Pourquoi ce confusionnisme ?

Faire un lien entre des figures comme Hitler ou Mussolini et le socialisme ou à la gauche relève complètement d’un négationnisme historique. Pour autant, il n’est pas inutile de s’interroger sur les raisons de ce mensonge.

Les mouvements comme le RN ou Reconquête sont bel et bien les légataires du fascisme et du nazisme. Éric Zemmour, Marion Maréchal, Guillaume Peltier, Nicolas Bay, avril 2022. Wikicommons.

Ce que cherche à faire l’extrême droite, c’est dissimuler son propre héritage. Si la pensée identitaire se répand dangereusement, il reste encore compliqué de se revendiquer d’une idéologie ayant provoqué des millions de morts. Pourtant, dans leur dimension antisociale et leur vision de la société, les mouvements comme le RN ou Reconquête sont bel et bien les légataires du fascisme et du nazisme.

Du côté libéral, la stratégie est surtout de mettre dans le même panier la gauche et l’extrême droite, comme si les deux courants étaient semblables et que la seule voie possible était celle de la droite néolibérale. En soulignant le penchant interventionniste de l’État nazi, les libertariens tentent aussi de décrédibiliser la gauche qui veut également recourir au pouvoir central…  Par ce biais, le néolibéralisme dispose d’un argument supplémentaire pour imposer sa destruction de l’État-providence et mettre en marche de grandes campagnes de privatisations.

Il oublie cependant de signaler que, contrairement aux nazis, la gauche ne souhaite pas utiliser l’État dans le but de servir le capitalisme, mais plutôt pour lutter contre les intérêts privés en faveur du bien commun.

Dans les deux cas, c’est donc bien la gauche qui est ciblée, et ce dans le but de maintenir le système actuel. Pour autant, à force de pratiquer un jeu aussi dangereux, les libéraux risquent bien d’amener l’extrême droite au pouvoir. Mais au fond, tant que les profits de la grande bourgeoisie ne sont pas remis en cause, ils s’en moquent sans doute éperdument.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Adolf Hitler et Benito Mussolini à Munich en juin 1940. Wikicommons.

- Information -
Donation