Si la loi immigration fait parler d’elle en tant qu’offensive islamophobe et rampe de lancement vers le fascisme, le gouvernement macroniste n’en est pas à son premier coup d’essai. La journaliste Françoise Giroud disait : “Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez, on dit : C’est lui ? Vous croyez ?”

Les intentions réactionnaires du gouvernement étaient bien assez prévisibles. Près de 3 ans après la loi « confortant le respect des principes de la République » – plus communément appelée « loi contre le séparatisme » d’août 2021 -, les conséquences se font ressentir à l’encontre des populations musulmanes, des associations, mais aussi, envers les familles pratiquant l’Instruction En Famille (IEF), dont les libertés d’enseignement sont bafouées. L’islamophobie s’accompagne d’un contrôle obsessionnel de toute pensée critique et alternative… Ainsi, les bases d’un régime répressif et fasciste se fondent concrètement.

Offensives contre les associations anti-racistes

Dissoudre des associations luttant contre le racisme, n’est-elle pas l’une des formes les plus perverses de racisme ? Derrière le texte de « loi contre le séparatisme », ce sont des manigances islamophobes que mènent le gouvernement. Le syndicat ASSO – Solidaires dénonce des attaques à répétition sur les associations depuis les années 2000 :  C’est une véritable « mise au pas du secteur associatif par une dépendance économique qui ne permet pas aux associations de jouer leur rôle politique. »

Mais la « loi séparatisme » a franchit un nouveau seuil d’autoritarisme, piétinant la loi de 1901 sur la liberté des associations selon le syndicat, et dégradant celle sur la laïcité de 1905. Le syndicat dénonce depuis lors les dissolutions d’associations en chaîne, dont celle du CCIF, « acteur reconnu de la lutte contre l’islamophobie ». 

Visuel de l’union syndicale Solidaires.

L’organisation politique Révolution Permanente répertorie également les dissolutions d’associations organisant des réunions non mixtes, d’organisations étudiantes dites « communautaristes » (dont celles luttant contre le racisme d’État), et du mouvement étudiant dans son ensemble. Ajoutons à cela l’interdiction des prières dans l’enceinte des universités, du port du voile pour les personnes accompagnant les sorties scolaires mais aussi pour les filles mineures, ou encore l’interdiction du port du burkini dans les piscines publiques.

Ces lois liberticides, visant directement la population musulmane, est la porte ouverte aux dérives de plus en plus xénophobes en France. En effet, Révolution Permanente rapporte la déclaration lunaire de la députée LR Annie Genevard, qui voulait interdire les danses traditionnelles lors des mariages : « accusant implicitement les populations musulmanes de ne pas danser de manière « « républicaine” ».

Outre les dissolutions, le gouvernement mène la vie dure aux associations, dont les subventions doivent désormais faire « l’objet d’un engagement de l’association à respecter les principes et valeurs de la République », alors que les motifs de dissolution ont été élargis sur fond répressif et anti-démocratique. Le gouvernement ne se contente pas d’encadrer les associations anti-racistes, mais aussi toutes celles « jugées subversives en raison de leur opposition à la politique du gouvernement »

Dispositifs coercitifs : aveu d’échec de la politique ?

Comment expliquer cette obsession des gouvernements successifs pour le respect des « valeurs républicaines » ? D’après le docteur en droit public Valentin Gazagne-Jammes, les pouvoirs publics craignent une forme de « désaffection du sentiment d’appartenance à la communauté politique nationale au profit d’appartenances communautaires culturelles et cultuelles multiples ».

L’obsessionnel unité républicaine répond en réalité au constat d’un délitement du lien politique et social du fait de conditions de la misère, la désunion, l’altérité, causées principalement par le modèle néo-libéral (technosciences, méritocratie, individualisme, refroidissement des relations sociales, etc.).


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Mais selon V. Gazagne-Jammes, la refondation du pacte social et de la cohésion sociale est recherchée à travers des outils coercitifs, qui semblent avant tout attiser la division et les discriminations. Le docteur en droit public propose plutôt de recourir à des dispositifs d’intégration, non pas en culpabilisant certaines communautés, mais en refondant certains services publics « éreintés par l’ordo-libéralisme et le new public management ».

On pense particulièrement aux corps intermédiaires tels que les associations. En d’autres termes, c’est le rôle de l’État et des services publics de créer les conditions de cohésion sociale, par le respect et la proposition d’une vie digne pour chaque individu quelque que soit son appartenance ethnique, culturelle ou religieuse. 

Confusion entre communautarisme et séparatisme

Manifestation contre le racisme et l’islamophobie, le 2 novembre 2019, à Belfort. Crédit : Thomas Bresson.

En soi, l’illégalité du séparatisme reste à prouver selon V. Gazagne-Jammes : la condamnation d’un islam rigoriste et d’un repli communautaire sans violences ne semble pas envisageable pénalement, « sans quoi toutes les formes d’orthodoxie religieuse seraient déjà interdites de cité au sein de la République ».

Le séparatisme religieux peut certes créer des tensions avec les valeurs de la République, notamment lorsqu’il désigne comme ennemis (musulmans compris) ceux qui se refusent à adhérer à un islam rigoriste. Mais la « loi séparatisme » et la nouvelle « loi immigration » ne ciblent pas exclusivement les groupes les plus violents ou autoritaires, ni le terrorisme ; c’est la communauté musulmane dans son ensemble qui est visée.

La « loi séparatisme » présentée par Gérald Darmanin et Marlène Schiappa en décembre 2020 en Conseil des ministres, apparaissait comme une réponse à l’assassinat de l’enseignant Samuel Patty survenu quelques mois plus tôt. Mais cet événement semble davantage avoir été instrumentalisé pour satisfaire les velléités racistes du gouvernement.

En s’attaquant au communautarisme, le gouvernement reconnaît tacitement son échec à créer de l’enthousiasme et de l’unité autour de son projet politique. Selon le sociologue Ferdinand Tönnies, les liens sociaux au sein de la société marchande sont artificiels et sont amenés à se déliter. L’individu peut donc y vivre « dans la solitude et dans l’isolement, tout en ayant des rapports sociaux avec les autres », selon Ingeburg Lachaussée à propos du modèle de Tönnies.

La communauté vient donc recréer du sens, de la cohésion et consolider les liens sociaux, d’autant plus dans une société qui fait la part belle aux logiques individualistes. De plus, l’appauvrissement, la discrimination et l’exclusion des habitants de certains quartiers, notamment en raison de leurs origines et leur classe sociale, les assignent à un repli communautaire. En somme, les politiques sociales isolent volontairement certaines communautés pour mieux les en incriminer.

Interdiction d’enseigner en famille

La communauté musulmane n’est pas la seule victime de la « loi séparatisme ». En effet, depuis la loi du 24 août 2021, une famille souhaitant instruire ses enfants en famille voit désormais sa volonté soumise à l’autorisation de l’académie dont elle dépend, alors qu’une simple déclaration à la mairie suffisait auparavant. 

Une interdiction déguisée, pouvant être annulée si l’un des 4 motifs suivants justifie la nécessité pour l’enfant d’étudier en dehors de l’établissement scolaire : état de santé de l’enfant, pratique intensive d’activités sportives ou artistiques, itinérance de la famille, ou « existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ».

Si les 3 premiers motifs représentent des cas extrêmement spécifiques, le motif numéro 4 semble être de prime abord une ouverture accessible pour quiconque souhaite instruire en famille. Mais l’énoncé est en réalité très vague : que signifie concrètement « une situation propre à l’enfant » ? Ce flou conduit à des demandes refusées arbitrairement de la part des rectorats. En effet, selon l’avocate en droit de l’éducation Valérie Piau pour EuroNews, « il y a un côté arbitraire dans la mesure où il n’y a pas une définition légale de l’existence de la « situation propre à l’enfant » ».

Selon un bilan chiffré du collectif NonSco’llectif, plus d’un quart (27,11%) des demandes d’Instruction En Famille ont été refusées en 2022 (selon les chiffres des ministères de l’intérieur et de l’éducation nationale). Plus révélateur encore du caractère arbitraire de ces prises de décisions, les pourcentages de refus varient de 3,5 % à 33 % selon l’académie.

Ce qui suscite encore plus l’incompréhension, c’est la tournure privative de liberté de l’enseignement, dans le cadre d’une loi censée combattre l’islamisme radical… Or, selon une enquête menée par la DGESCO, le choix de l’instruction en famille pour des motifs religieux ne concernait que 0,7% des cas d’enfants « instruits en dehors d’une inscription réglementée au CNED » sur l’année scolaire 2018-2019. Une minorité… parmi une minorité ! Puisque 99,7% des enfants fréquentaient un établissement scolaire en France sur l’année 2016-2017.

Témoignages de parents lésés

Hélène, pharmacienne à Asnières-sur-Seine dans les Hauts-de-Seine et maman d’une enfant de 4 ans, aurait souhaité ne pas envoyer sa fille à l’école pour sa première année de scolarisation. Selon son témoignage pour Mr Mondialisation et Fsociété, la situation s’est durcie ces dernières années pour ce qui était auparavant une simple liberté :

« il ne suffit plus de décrire la situation propre à l’enfant mais de « prouver » que l’instruction en famille serait pour lui préférable à une scolarisation ordinaire. »

Conséquence : sa demande a été refusée par l’académie de Versailles pour manque de preuve, comme pour de nombreuses autres familles. Si l’on parle d’environ un quart de refus à l’échelle nationale (chiffre pouvant monter à 90% pour les nouveaux demandeurs, comme c’est le cas à l’académie de Toulouse selon les chiffres de Liberté Education), on ne compte pas toutes les familles découragées par ces efforts administratifs conséquents à fournir. 

Selon Hélène, certaines familles se retrouvent à devoir « rédiger des dossiers insensés, d’une soixantaine de pages, incluant des notions de psychologie de l’enfant, un travail de titan à vrai dire sachant que la demande est à reformuler tous les ans. » La quantité d’informations à fournir est colossale : description de la pédagogie employée, détails du programme semaine par semaine, de l’emploi du temps, ou encore des activités de groupe pour pallier le « manque » de socialisation.

Photo de sofatutor sur Unsplash

Hélène regrette que la rédaction de ces rapports soient si complexes, presque impossibles pour certaines familles qui manquent de temps ou de « compétences » bureaucratiques. Elle pense notamment aux familles rurales « qui veulent que leurs enfants grandissent en plein air ou vivent trop loin des écoles », mais encore aux enfants qui « réclament tellement d’attention que trouver le temps d’écrire ce dossier n’est pas évident ». C’est le cas d’Hélène qui affirme que ce rapport occupait ses nuits « entre minuit et 2h du matin ».

Pourtant, Hélène voit de nombreux avantages à instruire en famille, comme la possibilité de suivre le rythme de l’enfant, s’adapter à ses moments d’éveil ou encore effectuer de nombreuses activités en plein air et de socialisation, au contact des acteurs de la vie quotidienne ou encore de la nature. Hélène se réjouirait de « pouvoir suivre le rythme et les envies de son enfant car il a des périodes propices et si on est à l’écoute il progresse à fond à ces moments là, il apprend par envie et non par contrainte. »

Le média EuroNews révèle d’autres cas de refus préoccupants : une mère souhaitant éduquer sa fille en contact avec la nature à travers la méthode Montessori ; ou bien une autre mère dont l’enfant souffre de problèmes de santé et notamment de phobie sociale : le certificat médical déconseillant sa scolarisation avec hypothèse d’un TDAH (Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) a été rejeté… 

En somme, les gouvernements successifs français étendent leurs volets répressifs à l’ensemble de la population. Si la population musulmane en est la première victime, le pouvoir craint en réalité toute forme de projets alternatifs, de contestations de l’ordre établi, ou encore d’émancipation en dehors du cadre « républicain ».

L’attaque contre l’instruction en famille, une pratique pourtant extrêmement minoritaire et complétement déconnectée de la lutte contre le terrorisme ou le séparatisme religieux, est la preuve d’une volonté de contrôle excessif de la part du gouvernement. Cela cache en réalité un profond malaise social entre une population qui ne fait plus confiance aux organes de pouvoir, et un gouvernement conscient d’un délitement du sentiment d’appartenance à la communauté politique nationale. Celui-ci n’a plus que la force et la contrainte pour maintenir à flot un semblant de cohésion sociale.

– Benjamin Remtoula (Fsociété)


Photo de couverture : Rassemblement contre l’islamophobie et le racisme, Lausanne, 18/10/2017. Crédit : Gustave Deghilage (Flickr).

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