Le 24 novembre 2022, une proposition de loi pour l’interdiction de la corrida sera discutée à l’Assemblée nationale, à l’initiative du député insoumis, Aymeric Caron. Si l’issue du débat reste incertaine, les associations de protection animale sont déjà mobilisées pour faire pression sur les élus. Et pour cause, les raisons de mettre fin à cette pratique sont multiples.

Techniquement, la corrida est même déjà interdite par la loi française. Le Code pénal prévoit ainsi qu’exercer :

« des sévices graves ou commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».

C’est au nom d’une exception culturelle que ces représentations sont autorisées en tant que « tradition locale ininterrompue » dans neuf départements du sud de la France.

Cette particularité régionale pourrait déjà, en soi, poser un problème constitutionnel, puisque selon le premier article de notre texte suprême, « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Or, en accordant des exceptions locales, le droit viole clairement cette règle.

 

Une souffrance établie

Pour autant, au-delà de l’aspect juridique, c’est bien en premier lieu l’argument moral qui devrait présider à cette interdiction. La souffrance des taureaux durant ces spectacles est d’ailleurs clairement établie. L’ordre des vétérinaires lui-même l’a admis sur papier :

« Les spectacles taurins sanglants, entraînant, par des plaies profondes sciemment provoquées, des souffrances animales foncièrement évitables et conduisant à la mise à mort d’animaux tenus dans un espace clos et sans possibilité de fuite, dans le seul but d’un divertissement, ne sont aucunement compatibles avec le respect du bien‑être animal »

Ces faits scientifiques vont totalement à l’encontre des affirmations des aficionados qui assurent que le taureau ne souffre pas. Rappelons que durant le spectacle, le bovin subit plusieurs actes d’une effroyable violence.

D’abord, à l’aide d’une longue pique des hommes à cheval viennent cisailler les muscles de son cou et les ligaments de sa nuque pour l’empêcher de relever la tête.

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Le torero plante ensuite dans le corps de l’animal six banderilles (sorte de harpons en acier de plusieurs centimètres) qui augmentent la douleur de la bête. Enfin, la mise à mort du taureau intervient grâce à une épée qui doit souvent être utilisée à multiples reprises.

Des arguments d’un autre temps

Bien évidemment, les défenseurs de cette pratique avancent un certain nombre de justifications pour s’opposer à cette interdiction. La corrida serait d’abord une tradition qu’il conviendrait de sauvegarder pour préserver l’identité locale. Mieux encore, elle relèverait véritablement de l’art…

S’il paraît difficile de comprendre où se situe la notion artistique dans un tel massacre, le mobile esthétique ne pèse, de toute façon, pas bien lourd face à l’argument moral. Quand bien même on le considérerait beau, comment pourrait-on excuser un spectacle qui entraîne la souffrance d’un être sensible ? Sans doute les Romains trouvaient-ils aussi très gracieux les combats de gladiateurs. Pour autant, cette pratique barbare a bel et bien été abolie.

Le motif de la tradition ne tient pas beaucoup plus. Il faut d’ailleurs souligner que la corrida n’est pas une coutume française, mais espagnole. C’est sous l’impulsion d’Eugénie de Montijo, épouse andalouse de l’empereur Napoléon III qu’elle est implantée dans l’hexagone en 1853. Déjà à l’époque, le souverain viole la constitution de 1848 et la première loi de protection animale datée de 1850.

Par ailleurs, quand bien même la tauromachie serait effectivement issue du pays, en quoi cela pourrait-il surpasser la morale ? Le fait qu’une pratique ait toujours existé ne justifie pas qu’elle doive perdurer. Dans un autre temps, il était tout à fait traditionnel de vendre des êtres humains aux enchères. Et lorsque ces pratiques ont été abolies, leurs défenseurs invoquaient déjà l’éculé argument du folklore.

Le prétexte économique est également réfutable pour les mêmes raisons. Certes, la corrida fournit peut-être quelques emplois et génère du profit (et encore, elle est de plus en plus déficitaire). Mais une activité immorale ne peut pas non plus perdurer pour cette cause. L’esclavage lui aussi engendrait des richesses et personne ne souhaite pourtant son retour. Dans cette optique, il faut cesser de percevoir l’animal comme un produit nous appartenant et destiné à nous divertir.

 

Subventionnées par les Français

la tauromachie coûte aux contribuables pas moins de 200 millions d’euros chaque année.

L’interdiction est d’autant plus légitime qu’elle est largement souhaitée par les Français. Selon un sondage de février 2022, 87 % des interrogés y seraient favorables. Même dans les départements taurins, la majorité de la population est opposée aux corridas sanglantes.

Et malgré cette volonté populaire, ce spectacle est, non seulement toujours autorisé, mais est également grassement subventionné par nos impôts via l’Union européenne. En effet, la tauromachie coûte aux contribuables pas moins de 200 millions d’euros chaque année.

La loi a-t-elle une chance de passer ?

Ceux qui suivent de près les travaux de l’Assemblée nationale savent que les projets portés par la France Insoumise sont presque systématiquement rejetés par les soutiens d’Emmanuel Macron, par principe. Or, une fois n’est pas coutume, le gouvernement ne donnera aucune consigne de vote. Chaque parlementaire sera donc libre de trancher en son âme et conscience. La même liberté sera laissée au sein du groupe RN où plusieurs élus du sud ont déjà montré leur hostilité.

De nombreux militants ont, en tout cas, décidé de mettre la pression à leur député pour les inciter à plaider en faveur de cette interdiction. L’association PETA France a, en outre, créé un formulaire pour écrire à son représentant. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #24novembreCorrida a également fait son apparition pour soutenir la potentielle loi. De son côté, 30 millions d’amis propose une pétition qui a déjà recueilli plusieurs centaines de milliers de signatures.

Cependant, il est malgré tout possible que la proposition ne soit pas examinée. En effet, celui-ci doit être étudié à l’occasion de la niche parlementaire de la France Insoumise. Une occasion spéciale où le groupe d’opposition dicte l’ordre du jour. Or, l’interdiction de la corrida sera traitée seulement après trois autres lois. Si les débats traînent trop, les élus pourraient alors ne pas avoir le temps d’aborder la question.

Certains craignent déjà que les adversaires du projet retardent délibérément les discussions en déposant une foule d’amendements. « Nous avons une réflexion collective sur l’ordre de passage, car certains retours nous laissent penser qu’il peut y avoir des tentatives de sabotage » prévient d’ailleurs Aymeric Caron. Réponse le 24 novembre.

– Simon Verdière


Photo de couverture Manifestation anti-Corrida, Espagne, 2017 @SantiVaquero/Flickr

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