Loin des pâturages verdoyants et du bon lait frais de sa maman, la vie d’un jeune veau français se révèle souvent bien moins idyllique : issu d’une insémination artificiel, né dans un environnement froid et loin de la lumière du jour, arraché à sa mère et envoyé quelques mois plus tard à l’abattoir… Tel est le destin cruel de milliers de veaux français tués chaque années pour leur viande et leur peau. Ce cuir, c’est la « qualité France ». Bien plus fine et douce que celle de leurs aînés, l’industrie du luxe se l’arrache pour confectionner chapeaux, chaussures et sacs à main. Mais les dessous de cette peau « de luxe » ne sont pas beaux à voir, et c’est l’association One Voice qui donne l’alerte cette fois-ci. Filmées dans l’abattoir de Sobeval, dans le Sud-Ouest, les images de la mise à mort de centaines d’animaux par jour glacent le sang. L’association porte plainte pour maltraitante animale et appelle chacun à signer la pétition pour la fermeture de l’abattoir mis en cause.

C’est dans le Sud-Ouest de la France, et plus particulièrement en Dordogne, que se trouve la plus grande entreprise française de production de cuir de luxe, spécialisée notamment dans les peaux de veau. Sobeval se targue ainsi de « viser l’excellence » et de travailler avec les plus grands noms de l’industrie du cuir tels que Hermès, Vuitton et Chanel, surtout depuis que l’entreprise dispose d’une bouverie « répondant aux dernières normes en matière de bien-être animal », selon le site internet de l’entreprise. Et ce n’est pas le seul à être impliqué dans ce secteur, puisque l’ensemble de la filière cuir en France compte actuellement 8 000 entreprises pour 80 000 emplois et représente 15 milliards d’euros de chiffre d’affaire.

Quand le luxe « à la française » rime avec maltraitance animale

Et pourtant, les dessus de cette industrie du « luxe à la française » tant vantée par les professionnels du secteur sont loin d’être aussi glamour qu’il n’y parait. Après avoir reçu un signalement pour maltraitance, One Voice, une association de protection animale, révèle des images glaçantes du quotidien des centaines de veaux qui transitent par l’abattoir français. Ces jeunes bovins arrivent chaque jour en camion, serrés, parfois blessés ou malades. Après avoir attendu l’ouverture de l’abattoir, des hommes les font entrer sur la chaîne d’abattage au petit matin, sous les coups s’il le faut, répétés et violents de la part de certains employés. Ensuite, c’est le manège infernal. Les veaux avancent par centaines sur le parcours qui ne les mènera qu’à la mort. Étourdis ou non selon le type d’abattage, pris de spasmes, pendus par une patte traversée d’un crochet, tête en bas, ils semblent reprendre conscience avant que leur gorge soit tranchée. Une fois morts, leur peau leur est arrachée, puis leur corps coupé en morceaux méthodiquement.

Les peaux sont ensuite entassées les unes sur les autres, et le premier traitement par salage commence. Ces dizaines de tas d’environ un mètre de haut, dont les liquides  dégoulinent peu à peu, restent un temps sur place avant d’être envoyés ailleurs pour la suite du tannage. Ils deviendront un jour une paire de gants ou de chaussures, un sac, un revêtement de volant automobile, du matériel sportif, une même une couverture de livre relié…

Les images filmées par One Voice témoignent de la violence de la mise à mort à l’abattage de Sobeval. – Crédits : One Voice

Un manque d’engagement politique pour le bien-être animal

Chaque jour, c’est ainsi entre 500 et 600 veaux qui sont abattus cruellement dans l’abattoir de Sobeval. L’association One Voice se révolte de tels abus et porte plainte sur base des images qu’elle a tournées pour maltraitante animale. Muriel Arnal, présidente, regrette la situation et appelle les autorités publiques à plus de sévérité : « que devons-nous faire quand les autorités ne font pas respecter les faibles textes de loi qui existent pour protéger les animaux ? Nous taire ? Laisser faire ?(…) Le jour où la loi sera respectée, où les cruautés seront sanctionnées, il n’y aura plus besoin des lanceurs d’alerte. Mais ce jour-là, nous en sommes encore bien loin… ».

L’organisation dénonce ainsi un problème plus général que la situation particulière de l’abattoir de Sobeval : « avec cette enquête, on touche du doigt l’un des problèmes de l’engagement pour le respect des lois liées aux animaux en France » et regrette le manque d’action d’Emmanuel Macron, qui avait pourtant promis la pose de caméras dans les abattoirs pour contrôler l’application de la loi en matière de maltraitance animale lors de la campagne présidentielles de 2017. One Voice lance également une pétition pour exhorter les autorités à fermer l’abattoir mis en cause.

L’association demande la fermeture définitive de l’abattoir. Crédits : One Voice

Une industrie violente et polluante

Et au delà de la souffrance animale qui découle incontestablement de la production de cuirs en tout genre, la filière est également génératrice de multiples pollutions. Ainsi, si l’industrie de la mode dans son ensemble est considérée comme l’une des plus polluantes au monde, celle du cuir n’est pas non plus des plus écolo, entre déforestation causée par l’élevage intensif du bétail, grande consommation d’eau et utilisation du chrome pour assouplir les peaux. Au total, c’est plus d’une trentaine d’opérations nécessaires pour obtenir cette matière solide, imperméable et « respirante », qu’il faut épiler, laver et tanner mais également teindre.

Dans les pays où les normes environnementales sont beaucoup moins élevées, voire inexistantes, et d’où proviennent près de 80% du cuir mondial, les pollutions sont encore plus nombreuses. C’est notamment le cas à Dacca, la capitale du Bangladesh, où les tanneries rejettent chaque jour 22.000 litres de déchets toxiques dans la rivière Buriganga, ou encore à Kanpur, en Inde, où les 700 tanneries de la ville représentent « l’une des plus importantes sources de pollution » qui touchent le Gange.

L’association One Voice plaide ainsi pour une végétalisiation de la filière et une transition vers des alternatives sans souffrance, plus écologiques. « Les images que nous publions sont insoutenables : les cadences éreintantes des ouvriers, la froideur de cette industrie n’ont que faire des centaines d’individus qu’elle tue quotidiennement et transforme en tonnes de cadavres. Dans ce secteur, seul l’argent est roi, au détriment des animaux pris dans cet engrenage sans fin, exclusivement considérés comme des pré-matières premières très rentables ». De quoi alimenter l’intérêt que des milliers de consommateurs et quelques industries du luxe portent aujourd’hui aux alternatives d’origine végétale, en plein développement.

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L.A.

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