Quand on évoque l’utilisation des étudiants comme main d’œuvre docile, il vient souvent à l’esprit la Chine ou l’Asie pour confectionner des smartphones ou des t-shirts à moindre coût. Et pourtant, il ne faut pas toujours aller chercher aussi loin. En France, des étudiants en commerce, présents au sein de plusieurs écoles et IUT, dénoncent aujourd’hui les conditions dans lesquelles Divam, une entreprise textile, utilise les projets associatifs présents dans ces institutions pour écouler sa marchandise. Le tout sans avoir à verser le moindre salaire aux jeunes travailleurs, bien entendu.
Divam, obscure « boîte textile »
Au cœur de la polémique qui a fleuri sur les réseaux sociaux ces derniers jours, on trouve Divam, une entreprise textile spécialisée dans la vente de chaussettes et de linge de maison en ligne et à domicile. Sur son site, la firme ne s’en cache pas : elle « collabore » depuis plus de 20 ans avec des associations d’étudiants de 110 établissements, rassemblant autour d’elle plus de 4 500 âmes chaque année. Et c’est bien ce point-là qui semble avoir été le déclencheur du tollé qui a retenti cette semaine dans plusieurs écoles et IUT, notamment l’IUT TC (techniques commerciales) de Valenciennes.
Apparus sur les réseaux sociaux, plusieurs messages d’étudiants dénonçant les conditions dans lesquelles ils sont contraints de vendre la marchandise de la marque française ont fait retentir la sonnette d’alarme. Ainsi, sur le forum de Madmoizelle, on trouve un premier témoignage d’une jeune fille, qui ne comprend pas que son école lui impose de vendre sur un mois un maximum de « chaussettes et peignoirs ». Arrivée en première année, celle-ci explique avoir dû assister à une présentation en amphithéâtre, à la suite de laquelle lui a été remis un stock d’échantillons des produits à écouler. Échantillons en échange desquels chaque élève, en plus de son travail gratuit, devra remettre un « chèque de caution » de 100 € à l’association étudiante partenaire de l’entreprise.
Payer pour être exploité, on n’a rarement vu ça. Pire encore, l’entreprise encouragerait les étudiants à vendre ses produits à des prix exorbitants, les invitant à jouer sur leur statut et sur les sentiments de familles et d’amis bien intentionnés pour refourguer la marchandise. Et ça paye. Le message évoque un chiffre d’affaire de 65 000€ réalisé par le seul travail des étudiants de l’IUT sur l’année précédente. À l’échelle nationale, l’entreprise réalise un chiffre d’affaires de 870 300 euros, pour 98 321 euros de bénéfices nets, le tout sans verser de salaire aux jeunes vendeurs.
Des étudiants sous pression
Mais si l’histoire, qui a déjà de quoi choquer de par l’organisation adoptée par l’entreprise et la docilité des institutions « partenaires », connaît aujourd’hui une déflagration médiatique, c’est aussi à cause des méthodes employées pour « motiver » les élèves. Ainsi, la performance économique des étudiants, sous couvert de vouloir les former aux techniques commerciales, déterminera directement une note qui comptera dans leur moyenne. Ceux qui parviendront à réaliser un bénéfice de 500€ en écoulant leurs stocks au porte à porte obtiendront la note de 20/20. Pour les autres, le barème est dégressif… C’est du moins ce qu’indiquent les messages révélés par les étudiants sur les réseaux sociaux.
Une motivation au coup de bâton qui revient aujourd’hui en boomerang à l’association « Show 7 » de l’IUT de Valenciennes. À cause notamment de messages adressés aux « vendeurs » et rendus publics sur les réseaux. Ceux-ci se passent de commentaire : « Vous êtes à 30 000€ en dessous de l’objectif à réaliser. Que dire à part que vous êtes pitoyables ? », « Vous êtes une honte pour département TC ! ». La violence des termes utilisés par les étudiants responsables de l’association fait frémir et témoigne de la mise sous pression vécue par les autres. Rapidement après l’éclatement du scandale, la page facebook de Show 7 ainsi que leur site officiel ont été fermés dans la précipitation probablement par leur propriétaire.
Une exploitation des étudiants symptomatique ?
Si « l’affaire Divam », qui fait son beurre depuis plus de 20 ans dans les rangs des formations commerciales françaises, relève d’un niveau d’impunité rarement observé, elle n’est cependant certainement pas la seule à profiter de la naïveté de jeunes à qui l’on répète qu’ils doivent « gagner en expérience par tous les moyens ». En période de « crise de l’emploi », le gain d’expérience est un argument bien ficelé pour attirer certains jeunes avides de se lancer dans le commerce au travers de projets « très formateurs » mais jamais rémunérés.
Ainsi, certaines entreprises, grandes et moyennes, mettent en place des « challenges » qui s’adressent aux étudiants en commerce, et qui prennent souvent lieu au sein d’associations créées pour l’occasion. Qu’il s’agisse de la mise au point d’un business model, de répondre à un appel d’offre, ou encore de participer à une mission en entreprise, le but est souvent de s’approprier la force de travail d’élèves dociles, motivés et surtout gratuits. « La ligne sur le CV » est alors l’argument phare des promoteurs de ces projets mis en place en partenariat avec les écoles. Une manière de les habituer à un monde du travail qui exploite les travailleurs tout en légitiment l’accaparement de la valeur ajoutée qu’ils génèrent ?
Les méthodes mafieuses absolument dégueulasse de l'IUT TC de Valenciennes : pic.twitter.com/dsBUM7adZz
— Tohad (@sylvainsarrailh) October 6, 2016
Dans une autre veine, le Défi l’Express Grandes Écoles envoie ainsi chaque année une petite centaine d’élèves en écoles de journalisme vendre à la criée ses journaux, agrémentés pour l’occasion d’un supplément local confectionné tout au long de l’année par les équipes étudiantes. En affaire de communication, la stratégie est bien entendu très payante.
S’il reste l’occasion pour les étudiants d’appréhender un métier dans sa totalité par la pratique concrète, la mise en compétition et les pressions qui accompagnent ce type de challenges, sans oublier le travail engrangé et non rémunéré, restent quant à eux susceptibles d’être questionnés dans une société qui se prétend encore libre et démocratique. Craignant de voir l’image de leur diplôme ternie, certains étudiants de l’IUT TC viennent de répondre dans une lettre ouverte à ce qu’ils considèrent comme une polémique concernant une simple expérience professionnelle jugée utile.
Sources : Marianne.net / LeFigaro.fr