Enquête : des millions d’animaux élevés en France pour la chasse récréative

Les chasseurs communiquent volontiers sur le caractère « régulateur » de leur pratique. Pourtant, en France, des millions d’animaux sont élevés en cage chaque année avant d’être relâchés dans la nature au profit des chasseurs. La pratique artificielle remet profondément en cause la revendication des chasseurs selon laquelle ils participeraient à la « régulation » des espèces sauvages. L’association ASPAS s’est rendue dans neuf élevages de ce type afin de dévoiler ces images inédites.

C’est un marché qui se porte bien : l’élevage d’oiseaux au profit des chasseurs rencontre un franc succès. Quelques jours voire heures avant leurs « parties de chasse », des professionnels relâchent ces animaux dans la nature afin d’être certains que les chasseurs concernés ne puissent pas rentrer les mains vides. 14 millions de faisans et 5 millions de perdrix en seraient victime en France tous les ans. Des chiffres impressionnants qui questionnent le but de cette pratique.

Ces animaux, qui n’ont jamais vécu librement, sont des proies particulièrement faciles à tuer. Selon l’Office national de la chasse et de la faune sauvage l’ONCFS, ces oiseaux d’élevage pourraient représenter 1/4 des animaux chassés. Le Syndicat national des producteurs de gibier de chasse nous apprend quant à lui qu’il y aurait 1500 élevages de volatiles en France. Madline Reynaud, directrice de l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) qui a mené l’enquête, estime que la pratique est désormais banale : « Toutes les associations de chasse ont recourt aux lâchers. Les chasseurs ne veulent pas arriver le jour d’ouverture de la chasse et ne rien avoir à tirer ». Mais les chasseurs communiquent naturellement bien peu sur cette pratique.

Crédit image : ASPAS

Des animaux élevés dans des conditions précaires

Cette industrie n’a rien à envier aux élevages pour la consommation humaine. Comme le montrent les images filmées par l’ASPAS dans neuf élevages dans la Drôme, dans l’Isère, dans le Gard et dans l’Allier, les volatiles sont élevés dans des conditions particulièrement déplorables, dans des bâtiments sombres et exigus. Une fois adultes, ils sont placés quelques semaines dans des volières à l’extérieur afin, dit-on, de les habituer à la vie sauvage. Argument irrecevable du point de vue scientifique. Les traitements qui sont infligés aux animaux ne répondent pourtant pas à leurs besoins naturels, si bien que de nombreux volatiles développent des comportements agressifs envers leurs congénères. Pour éviter qu’ils ne se blessent entre eux, on leur place des anneaux au niveau du bec ou des « couvre-becs », ce qui contribue davantage à leur mal-être.

Interrogé par le Parisien, Thierry Coste, porte-parole de la Fédération Nationale de la Chasse nie en bloc : selon lui, les conditions de vie dans ces élevages sont bonnes. Par ailleurs, il estime que la pratique permet de compenser les pertes de biodiversité provoquées par l’agriculture intensive. L’élevage intensif contre l’agriculture intensive ? L’argument peine pourtant à convaincre face aux chiffres. Selon l’ASPAS, sur 14 millions de faisans relâchés, seuls 500.000 survivent éventuellement. La majorité meurt sous les coups des chasseurs. Les autres dépérissent faute de pouvoir s’adapter à la vie sauvage.

Crédit image : ASPAS

L’ASPAS réclame une interdiction

Ces éléments avancés par le chasseur ne justifient d’ailleurs que difficilement le stress subi par les animaux enfermés et éludent les problématiques sanitaires et écologiques liées aux lâchés. Du fait de leur promiscuité, les animaux d’élevage sont plus enclins à développer des maladies qu’ils peuvent ensuite transmettre à leurs congénères. « C’est catastrophique, pour la faune sauvage », commente Madline Reynaud. De plus, alors qu’ils sont habitués à vivre sur 2,5 m2 dans les hangars et volières, les faisans ne sont en réalité que 2 ou 3 couples par hectares : une fois dans la nature, cette inadaptation provoque de nouveaux conflits au sein de l’espèce, pouvant déstabiliser la population. Même problématique pour les perdrix grises relâchées en septembre ou octobre, lors des premières chasses. L’ONCFS note : « la présence de nouveaux arrivants provoque des batailles et des comportements agressifs », ce qui peut contribuer à « diminu[er] la vigilance des oiseaux vis-à-vis des prédateurs ».

Cette logique de « produire à la chaîne pour mieux tuer » est donc totalement contraire aux notions élémentaires d’écologie. Pourtant, le lâcher d’animaux élevés en cage pour les chasseurs n’est pas très connu du grand public. « Les chasseurs n’en parlent pas trop. Ils s’autoproclament écologistes et affirment faire de la régulation des espèces. Ces pratiques mettent à mal leurs discours » explique la présidente de l’ASPAS, qui « dénonce la pratique de l’élevage de millions d’animaux dans des conditions pour le moins discutables et pour le simple plaisir de la chasse ». Pour demander l’interdiction de ces élevages, l’association vient de lancer une pétition.

Crédit image : ASPAS

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