Lorsqu’on vous dit « mariage », vous pensez peut-être à : robe blanche, pièce montée et… bague de fiançailles avec son fameux diamant ? Aujourd’hui, la pierre « précieuse » est profondément implantée dans l’imaginaire occidental comme étant un élément indissociable d’une promesse d’amour qui dure toujours. Et si ce folklore basé sur le paraître n’était qu’une énième invention marketing, payée au prix du sang des populations proches des mines de diamants ? Spoiler : c’est le cas.

Selon l’Association des producteurs de diamants, les réserves de cette pierre précieuse à l’état naturel diminuent d’année en année alors que la demande ne cesse d’augmenter. Le marché du diamant pesait 39 milliards de dollars aux États-Unis d’Amérique en 2015, contre 43 milliards de dollars en 2017. Une industrie tentaculaire qui ferait « vivre » 10 millions de personnes à travers le monde. En occident, les diamants ont fait leur place dans notre vie et dans notre imagination. Il suffit d’aller faire un tour sur les articles en ligne adressés spécifiquement aux femmes pour s’en apercevoir : par exemple, le site Terra Femina recommande une bague en diamant pour une demande en mariage réussie, alors que le site Marie France nous propose le meilleur des bagues de fiançailles, serties des fameuses pierres précieuses. Cet enthousiasme autour de cette pièce maîtresse du mariage moderne serait pourtant tout récent dans l’histoire humaine, puisqu’il daterait des années 1930. Comment justifier alors cette hégémonie sur nos comportements nuptiaux actuels ?

diamond

Les diamants et le romantisme : une histoire contemporaine

En 1982, le journal américain The Atlantic publie un article très complet sur ce que le journaliste et professeur en sciences politiques Edward Jay Epstein appelle « l’invention du diamant » et son corollaire, l’idée qu’il puisse avoir beaucoup de valeur (rareté) et qu’il est par conséquent devenu un signe essentiel d’estime d’un homme (possédant) pour une femme (possédée). Belle entrée en matière d’une culture commerciale née alors que les femmes commençaient à peine à se questionner sur leurs droits en société. Avant la découverte et l’exploitation en 1870 d’énormes mines en Afrique du Sud, les diamants se « récoltaient » très simplement dans des rivières en Inde et dans la jungle du Brésil. Ils ne valaient pas plus que quelques livres sterling car l’offre était largement supérieure à la demande. Le diamant n’avait de fait aucune utilité particulière.

Les financiers anglais se sont donc vite retrouvés face à un problème : la valeur de leurs pierres dépendait presque uniquement de leur rareté sur les marchés. En inondant le marché, ils risquaient de perdre leurs investissements. Le principal propriétaire des mines d’Afrique du Sud eut alors l’idée de mettre sur pied une seule entité qui contrôlerait la production, mais aussi la distribution des diamants à travers le monde. La société De Beers était née. Cette position de monopole a permis à De Beers de contrôler de façon spectaculaire le prix de sa marchandise. Alors que les prix de la monnaie et du grain variaient drastiquement selon les conditions économiques, les diamants se sont imposés à l’époque comme une valeur refuge, augmentant de prix chaque année.

Première bague de fiançailles en diamant. Source : Hemmahoshilde

Pour assurer une pérennité de la demande, De Beers a réalisé le tour de force de transformer de minuscules cristaux de carbone en un témoignage universellement reconnu de pouvoir, de richesse et de romantisme. Les hommes et les femmes devaient par ailleurs avoir l’illusion qu’un diamant offert l’est pour l’éternité, de manière à ne jamais être revendu. Jusqu’ici, l’utilisation du diamant sur une bague n’était pas vraiment popularisée mais réservée à certaines familles royales. La première bague de fiançailles en diamant connue est celle de Marie de Bourgogne, fiancée à l’archiduc Maximilien d’Autriche en 1477. La pratique va peu à peu se transmettre chez les familles nobles en signe ostentatoire de richesse. Mais il faudra vraiment attendre le début du 20eme siècle pour que la coutume se généralise aux classes moyennes à travers une redoutable campagne marketing nourrie par de nombreux supports culturels dont le cinéma américain. C’est véritablement au siècle dernier que le diamant est entré dans l’ère de la consommation de masse.

En 1938, le fils du fondateur de De Beers rencontrait le président de la N.W. Ayer, une agence de pub leader aux États-Unis qui devient leur agence principale de promotion. Elle met en place de nombreuses stratégies de marketing qui feront rapidement bondir les ventes de diamants. La culture contemporaine va alors jouer un rôle de tremplin dans la généralisation de cette idée. Des idoles de films connus s’offrent face caméra des bagues de diamants pour symboliser leur amour éternel, des livres contenant des bagues d’engagement en diamant sont lus dans les écoles, les journaux décrivent les pierres précieuses portées par les personnalités et les top-modèles. Le but est que « chaque femme de boulanger ou chaque petite amie de mécanicien se dise “j’aimerais avoir ce qu’elle a” ». Le slogan de De Beers se répand ; « A diamond is forever », un diamant est éternel. Même si dans la réalité, un diamant peut être éraflé, fendu, décoloré ou incinéré. Même de nos jours, beaucoup l’ignorent tant le slogan a donné à la pierre un pouvoir de durabilité qu’elle n’a pas.

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De nos jours, sous l’effet des nouvelles mines découvertes et de l’épuisement de la ressource, les prix ont tendance à fluctuer de manière plus importante qu’avant. C’est d’autant plus vrai depuis que les diamants synthétiques (identiques sur le plan physique) ont fait leur apparition sur le marché. De Beers ne détient plus aujourd’hui le monopole et le commerce de ces cristaux de carbone n’est plus aussi lucratif. Malgré ça, les diamants restent fortement liés à l’idée du romantisme et du mariage, mais aussi à la richesse de manière générale. Jusqu’à l’autre bout du monde, du Japon à New-York, l’obligation sociale de la bague de fiançailles dotée d’un diamant reste la norme. Aucune contre-culture assez puissante n’existe à ce jour pour décloisonner un imaginaire formaté de longue date et reposant essentiellement sur une conformité collective, un peu à l’image de la mode.

« Diamants de sang » : moins de glamour, plus de désastres

Mais cette « tradition » de mesurer son amour à la taille d’une pierre serait peut-être « passable » si cette industrie n’avait pas des conséquences lourdes. Car les diamants ont un impact sur l’environnement qui est loin d’être aussi glamour. Même si l’extraction ne demande pas de produit chimique, ce qui rend l’industrie des diamants moins polluante que celle de l’or ou de l’argent, il est nécessaire de déplacer de grandes quantités de terre et d’utiliser des machines gourmandes en carburant pour exploiter les mines. À tel point que le Conseil mondial des diamants a été obligé de le reconnaître et a dû s’engager à rendre son commerce moins polluant, notamment en réhabilitant les mines creusées, en améliorant la gestion des déchets, de l’eau et de l’énergie, et en mesurant l’impact sur la biodiversité. Mais les risques environnementaux liés au commerce de ces pierres précieuses manquent cruellement de surveillance et de documentation. Selon Libération, l’entreprise De Beers va jusqu’à aspirer les fonds marins pour récupérer les diamants rejetés par le fleuve Orange en Namibie, sans considération pour les écosystèmes marins et les créatures qui y vivent.

Former “Blood Diamonds” now Provide Employment. Credit: Tommy Trenchard/IPS

Au-delà de l’écologie, la conséquence la plus désastreuse de ces mines de diamant est l’exploitation humaine. L’ONG Global Witness, fondée en 1993 et spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles des pays en développement et la corruption politique, dénonce depuis des décennies le commerce des diamants comme ayant un rôle clé dans des conflits armés en Angola, en République d’Afrique Centrale, en République démocratique du Congo, au Liberia et en Sierra Leone. À titre d’exemple, selon l’ONG Human Rights Watch, en 2007 au Zimbabwe, les forces militaires ont pris la vie de 200 personnes pour s’emparer d’un gisement de diamants à Marange. L’armée a ensuite généralisé le travail forcé des enfants sous la protection du service de sécurité de l’État, qui bénéficie des revenus de la mine. Au total, des millions de personnes sont mortes ou ont été déplacées à cause de ce qu’on surnomme les « diamants de sang ».

Pour empêcher ces diamants de sang de finir sur le marché, un forum de négociations internationales a fait son apparition : le Processus de Kimberley. Les diamants certifiés par le Processus Kimberley ne doivent pas avoir été impliqués dans un conflit. Mais Global Witness prévient, cela ne règle pas le problème et les guerres continuent autour de cet enjeu car ces diamants trouvent d’autres marchés pour s’écouler. L’ONG en appelle à la responsabilité des entreprises qui font commerce des diamants. Elles doivent être capables de vérifier leur chaîne de fournisseurs et rapporter ceux qui commercialisent des diamants issus de conflits.

Le consommateur a également le pouvoir de faire comprendre aux fournisseurs de diamants que ces enjeux les préoccupent. Lors de l’achat d’un diamant, il est recommandé de demander à voir leur rapport sur les droits humains de leur source d’approvisionnement. Toutes les compagnies sérieuses doivent en principe en avoir un. Les diamants extraits au prix de la violence ne devraient logiquement plus être tolérés. Enfin, rien n’interdit aux individus de se libérer des carcans sociétaux qui leur impose d’afficher une prétendue richesse par le biais du diamant quand bien même il est impossible de différencier aujourd’hui un diamant naturel d’un diamant synthétique.

Les alternatives foisonnent !

Avec tous ces effets néfastes et une histoire pas si brillante, le diamant laisse sa place à des alternatives moins polluantes et plus éthiques. C’est le cas du diamant de synthèse cité plus haut. Fabriqué en laboratoire, il possède les mêmes caractéristiques physiques et la même composition chimique que les pierres minées. Le magazine scientifique Futura Science rapporte que même la société De Beers, pourtant réfractaire à ces « faux » diamants (selon leur prisme commercial), a finalement lancé la commercialisation de ces pierres précieuses pour la joaillerie, jouant sur les deux tableaux en même temps, toujours dans une logique de contrôle du marché. Il est techniquement impossible de faire la différence à l’œil nu entre les diamants synthétiques et les diamants minés sans être doté d’une expertise et d’outils adéquats. Pourtant, ce marché beaucoup plus propre ne représente que 3 % du commerce mondial. Devant les bénéfices écologiques et éthiques de cette alternative, ces pierres devraient logiquement gagner du terrain. D’autant plus que leur prix est très attractif : un diamant de laboratoire serait dix fois moins cher qu’un diamant pris dans la nature.

Hand Fasting

Une révolution culturelle comme solution ?

Mais si la solution était tout autre ? Pourquoi ne pas se défaire simplement du diktat du diamant pour célébrer une alliance amoureuse ? Dans une logique de simplicité volontaire, est-il encore nécessaire d’user d’un procédé hérité du patriarcat, puis capturé par le monde marchand, pour signifier son amour ? Pour ceux qui y tiennent vraiment, il existe désormais de nombreux matériaux naturels et éthiques, beaux et « romantiques » pouvant satisfaire tous les genres. Il existe également des rites d’alliances éphémères d’une grande originalité, qui ne présagent pas de la durée de l’union. En témoigne le cérémonial celtique du ruban, ou Handfasting, qui a plusieurs variantes, mais qui consiste principalement à lier les mains de mariés par des rubans au fur et à mesure que les promesses sont énoncées, puis dénouées une fois qu’elles sont confirmées. Après tout, l’idée même de la bague de fiançailles remonterait à l’Égypte ancienne où l’on retrouve les premiers échanges d’alliances. Les égyptiens façonnaient une sorte d’anneau infini pour signifier l’amour éternel, à l’aide de matériaux tels que le chanvre ou les roseaux.

Ne plus associer les diamants aux promesses d’amour et au romantisme est peut-être aujourd’hui un signe de maturité générationnelle. Être en phase avec son temps, c’est comprendre les enjeux de nos consommations, et faire en conséquence des choix courageux, parfois totalement à contre-courant. Osons le dire, quelques cristaux de carbone au bout d’un doigt n’a jamais été et ne sera jamais le témoin de l’amour entre deux personnes. Nos actes, par contre, peuvent le devenir. Reste à s’ouvrir au monde des possibles, et surtout rencontrer quelqu’un qui partagera cette nouvelle et belle conception de la relation amoureuse.

– Mr Mondialisation


Sources : diamondproducers.com / terrafemina.com / mariefrance.fr / theatlantic.com /
liberation.fr / diamondfacts.org / www.hrw.org / globalwitness.org / event-story.net

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