Depuis plus d’un an, le collectif STopMicro se mobilise contre deux géants de la tech grenobloise, les entreprises ST Microelectronics et Soitec. Ces deux fabricants de puces électroniques consomment à elles deux 29 000 m³ d’eau par jour, soit l’équivalent de 12 piscines olympiques. Portrait d’une lutte.
Malgré la pression et la pollution exercées sur la ressource en eau, les deux usines grenobloises ST Microelectronics et Soitec projettent de s’agrandir. Les 5, 6, 7, et 8 avril 2024, plusieurs milliers de personnes se sont réunies sous le mot d’ordre : « de l’eau, pas des puces ».
« de l’eau, pas des puces ! »
Pendant l’été 2022, en pleine sécheresse, le président Emmanuel Macron s’est rendu à Crolles, à côté de Grenoble, pour annoncer l’extension de l’usine de l’entreprise ST Microelectronics, et le soutien financier de l’État à hauteur de 2,9 milliards d’euros. Le montant est astronomique. En effet, c’est le plus grand soutien de l’État à une entreprise en dehors du secteur nucléaire.
Pourtant, cette entreprise est de plus en plus contestée. L’été 2022 a été marqué par un important épisode de sécheresse dans la vallée du Grésivaudan. Alors que des habitant.es et des agriculteur.ice.s ont connu de nombreuses restrictions d’eau de la part de leurs communes, les usines de puces électroniques étaient autorisées à utiliser toute l’eau dont elles avaient besoin. Depuis cet événement, la contestation contre ces usines ne fait que croître.
L’accaparement de l’eau à la source du capitalisme industriel
Ces dernières années, la défense de l’eau est une thématique de plus en plus présente dans les combats écologistes. Que l’on pense évidemment aux luttes contre les méga-bassines dans les Deux-Sèvres, à celles contre les retenues collinaires dans les Alpes ou contre l’installation de golfs, notamment dans les Pyrénées Orientales…
Le vendredi 5 avril au soir, donc, une conférence de l’historien François Jarrige a permis de planter le décor du week-end de mobilisation. Celui-ci nous a rappelé la façon dont le capitalisme s’est fondé sur un accaparement continu de l’eau. Des premières usines à textile en passant par les machines à vapeur, l’eau a régulièrement été au centre de nombreux conflits d’usages.
Mais si, il y a quelques siècles, il était encore envisageable de prioriser des usages quotidiens de l’eau à la production de marchandises, ce n’est aujourd’hui plus le cas. Les entreprises ST Microelectronics et Soitec en sont les parfaits exemples. Leur fabrication de puces électroniques (aussi appelées semi-conducteurs) est très gourmande en eau.
« Les deux usines consomment 29 000 m³ d’eau par jour, soit l’équivalent de la consommation domestique de 200 000 personnes ».
Ces deux usines en consomment 29 000 m³ par jour, soit l’équivalent de la consommation domestique de 200 000 personnes. Après agrandissement, la seule usine ST consommerait plus de 33 000 m³ par an. Dans une période où l’eau risque de manquer de plus en plus régulièrement, les demandes de concertations sur les usages et le partage de l’eau deviennent toujours plus pressantes.
De l’eau pour des puces ? – de l’eau, pas des puces !
Mais à quoi servent ces puces ? « Ce site est unique en France car ses clients c’est Apple, Tesla, Space X, Général Motors, Ford. En Europe, c’est Schneider, Siemens, Bosch, etc. C’est toute la palette de grands groupes automobiles, industriels », avait déclaré Jean-Marc Chéry, le PDG de STMicro, lors de la visite de président de la république en juin 2022.
L’entreprise fournit également des entreprises qui fabriquent des bouteilles d’eau connectées, des pommeaux de douches intelligents, et un ensemble de gadgets pour la domotique (les maisons intelligentes). Ce qu’elle publicise moins, c’est l’équipement en semi-conducteurs pour du matériel de guerre.
Sur le front Ukrainien, on peut retrouver des drones kamikazes KUB-BLA de l’armée russe alimentés par les puces de ST Micro selon l’Obsram (l’observation des armements). Au regard de tous ces usages, autant civils que militaires, les opposants sont dans l’incompréhension. Pourquoi fournir des dérogations à des usines qui accélèrent la dématérialisation des vies et qui entraînent la mort sur les fronts de guerre ?
Un cortège festif – 2000 personnes le samedi après-midi
Le samedi 6 avril, à 14h, 2000 personnes se sont réunis au pied de la tour Perret pour le départ de la manifestation. En plus du char dénonçant la vie connectée que promet ST Micro et les nombreuses banderoles contre l’accaparement de l’eau, le collectif Urgence Palestine a rejoint le cortège pour dénoncer le lien entre les sociétés de la tech grenobloise et des institutions comme le CEA (commissariat à l’énergie atomique) qui participent à l’industrie de l’armement.
Au rythme des fanfares et de l’accrochage spectaculaire de banderoles sur les câbles du tramway, le cortège s’est rendu jusqu’à la presqu’île scientifique. « C’est une première historique », ont rappelé les manifestant.es. Jamais un rassemblement n’avait eu lieu aussi proche du CEA et du centre de recherche de STMicro.
Encore plus proche des usines – 400 personnes à Crolles le dimanche
Le dimanche était consacré à un rassemblement à Crolles, ville où sont situées les usines de Soitec et ST Micro. Pendant l’après-midi, certain.es sont allés visiter les usines pour se rendre compte de plus près de la taille de ces usines. D’autres ont participé à des discussions sur l’avenir du Grésivaudan, essayant de prendre le contre-pied de ce projet en imaginant à plusieurs des futurs désirables.
D’autres encore ont assisté à une table ronde sur la numérisation de l’agriculture, l’un des secteurs de recherche de STMicro pour promouvoir le « smart farming » et le remplacement du travail agricole par un ensemble de capteurs, de drones, et de GPS capables de réguler l’ensemble des paramètres nécessaire à la production.
Cette discussion a été l’occasion de formuler à nouveau une critique du monde promu par des entreprises comme STMicro et Soitec, et de s’attaquer à la « transition écologique » telle qu’elle est soutenue par ce type d’acteurs. Alors que le numérique prétend donner naissance à une époque dématérialisée, ce secteur d’activité a créé de nouvelles façons de pilier la terre et de polluer l’eau.
Ce dimanche, le collectif StopMicro a eu un mot pour les personnes qui luttent en Uruguay contre les Datacenters de Google, pour les chiliens dont l’eau est pillée pour alimenter les mines de Lithuim, « et pour tant d’autres dans le monde ».
Bloquer la presqu’île – faire monter la pression
Le lundi 8 avril au petit matin, une centaine de militant.es ont bloqué les accès routiers à la presqu’île scientifique pendant plus d’heure. Dans le communiqué de l’action, les manifestant.es expliquent leur geste :
« De la recherche nucléaire aux micro-puces qui accaparent une partie de l’eau de la vallée, nous considérons que la presqu’île produit, directement ou indirectement, un monde toujours plus déconnecté de la réalité vivante de notre environnement ».
Partie de l’accaparement de l’eau, la critique s’étoffe. Ses mots d’ordre se multiplient. Contre la vie connectée, contre l’industrie de l’armement, contre la transition écologique, dont les dégâts sont de plus en plus documentés dans les pays d’extractions de minerais. Et bien sûr : pour une rupture, un changement de cap, pour la vallée du Grésivaudan.
– Lilou Z.