Pour répondre à la demande croissante du marché de la consommation de pieuvres, des fermes aquacoles voient le jour un peu partout dans le monde en vue d’expérimenter l’élevage intensif de pieuvres. Un groupe de chercheurs s’est inquiété, dans une tribune publiée en février 2019, de cette industrialisation de l’élevage d’un animal connu pour développer une intelligence hors du commun.

Sur terre comme en mer, nos enclos stockent de plus en plus d’animaux, transformés ensuite en nourriture selon un processus industriel bien rodé. Nous ne les considérons mêmes plus comme des animaux à part entière, mais comme une source malléable de matière première à destination des bouches humaines.

Chez nos amis les poissons, l’aquaculture intensive est en augmentation constante : 550 espèces aquatiques différentes —huîtres, crevettes, truites, thons rouges, etc.— sont élevées en captivité dans près de 190 pays. Outre les pollutions locales et globales engendrées par le secteur en expansion, un autre constat perturbant révèle que la plupart des espèces aquatiques d’élevage sont nourris à la farine de poissons : 1/3 des prises mondiales de poissons est transformé en aliments pour d’autres poissons.

La pieuvre, qui recèle toutes les qualités pour l’élevage, apparaît comme le candidat idéal des industriels.

Un candidat idéal pour l’industrie de l’élevage intensif

Plutôt que d’arrêter cet aberrant massacre et se tourner vers des alternatives alimentaires confirmées, l’alternative proposée par les industriels est de tout miser sur l’élevage d’invertébrés. Moins carnivores, plus « bas » dans la chaîne alimentaire, la question du bien-être animal entrerait très peu en considération pour ces espèces jugées moins complexes, donc moins intelligentes.

Et parmi ces invertébrés soi-disant écervelés, on trouve… la pieuvre, un céphalopode qui recèle toutes les qualités pour l’élevage. L’octopus vulgaris, la pieuvre commune, apparaît même comme le candidat idéal des industriels : courte durée de vie, taux de croissance et de fécondité élevés, alimentation naturelle de faible valeur (crustacés), adaptation facile à la captivité, prix de marché élevé. Elle est par ailleurs une friandise de luxe dans bien des pays, vendue aux quatre coins du monde. Asie, Amérique, Europe méditerranéenne, le marché mondial est en pleine expansion. La pieuvre n’échappe donc pas à la gourmandise humaine. Depuis 2008, les prises mondiales pèsent environ 350.000 tonnes par an. Plus du tiers est destiné à la Chine. Et la demande augmente encore : l’Australie et les États-Unis rejoignent les principaux importateurs que sont le Japon, l’Espagne, le Portugal, la Grèce et l’Italie.

L’aquaculture de pieuvres à grande échelle entend répondre à cette demande croissante de ce marché haut de gamme. « Compte tenu de la croissance des marchés gastronomiques et de la hausse du prix des pieuvres, certains se sont tournés vers l’aquaculture comme moyen de faire de l’argent et résoudre la variabilité inévitable de l’offre d’animaux sauvages », situe la tribune scientifique dans la revue Issues in science and technology. Une franche « mauvaise idée », dénonce les quatre chercheurs, auteurs de l’article.

La pieuvre serait le seul invertébré connu capable d’une expérience consciente. Crédit photo : Wikipédia.

Une captivité qui ne sied pas à un invertébré aussi sensible et intelligent

Est-on prêt à mettre « en cage » un invertébré au comportement complexe et ludique, doué d’une intelligence hors du commun, surpassant celle des requins prédateurs, et aux systèmes nerveux sophistiqués ? Outre ses 3 cœurs et ses capacités organiques étonnantes, dont le mimétisme par pigmentation, « les pieuvres présentent une complexité cognitive et comportementale, et semblent capables de ressentir de la douleur et de la souffrance », est-il souligné.

Certains vont plus loin encore. En 2012, la déclaration de Cambridge sur la conscience la déclare comme « le seul invertébré capable d’une expérience consciente ». Le seul officiellement reconnu, pour l’instant en tout cas… Curieux et observateur, le poulpe a la faculté de résoudre certains problèmes et d’en retenir la solution, selon les études à ce sujet. Ouvrir un bocal à vis, par exemple, et reproduire le geste pendant cinq mois, ou encore reconnaître des visages.

Pour un animal aussi sensible et aventurier, la captivité ne semble pas être la situation la plus appropriée, quand bien même l’inverse est défendu par les industriels. Le rapport scientifique présage quelques conséquences à l’enfermement, notamment un « taux de mortalité élevé et une agressivité accrue ». En outre, la pieuvre serait un animal d’élevage à stimuler constamment. « De nombreuses espèces sont sensibles à l’ennui et à la frustrations (…) et ont besoin de stimulations mentales comme condition de bien-être. Le poulpe en fait partie. »

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À ce souci éthique s’ajoute l’impact écologique, car le poulpe est amené à manger l’équivalent de trois fois son poids pour se développer. On en revient au même problème rencontré par l’aquaculture de poissons carnivores : il faut nourrir quelques poissons avec une masse de poissons. Est-ce raisonnable, compte tenu de l’épuisement des ressources halieutiques mondiales ? « Pour des raisons éthiques et environnementales, élever des pieuvres en captivité pour se nourrir est une mauvaise idée », résume la tribune scientifique.

Des fermes expérimentales pour intensifier la production de pieuvres

Malgré tout, des fermes expérimentales aquacoles voient le jour pour encadrer et augmenter la production de pieuvres. L’Espagne a ouvert la voie, soutenue par l’Union Européenne en vue de gagner des parts de marché. Partout dans le monde, des essais similaires sont pratiqués. En Grèce, en Italie, en Australie, au Mexique. En Chine, huit espèces de poulpe sont déjà exploitées. Mais ça ne suffit pas. Il est désormais questions de modifier génétiquement les créatures pour les rendre encore plus rentables. « De nombreux scientifiques contribuent aux outils et à la technologie nécessaires pour apporter des modifications génétiques susceptibles d’accélérer l’aquaculture industrielle du poulpe et d’autres types de céphalopodes », déplorent les chercheurs.

La pieuvre est une friandise de luxe dans bien des pays, vendue aux quatre coins du monde. Crédit photo : Pixabay.

Des gouvernements, des entreprises privées et certaines universités, investissent en ce moment dans la culture de pieuvres pour fiabiliser l’élevage à grande échelle. Bonne nouvelle, celle-ci reste largement bloquée un état expérimental, les moyens techniques actuels ne permettant pas de garder l’animal en vie aux premières étapes de sa vie. Mais « hank » ne doit pas se reposer sur ses tentacules, les recherches effectuées dans ces fermes expérimentales ont pour objectif à moyen terme de créer de toute pièce une colonie de ses semblables adaptée à l’exploitation industrielle. Tout est mis en œuvre, en tout cas, pour y parvenir le plus rapidement possible.

« Il vaudrait mieux concentrer les efforts sur la réalisation d’un avenir vraiment durable et compatissant pour la production alimentaire », estiment les chercheurs, soucieux au vu de tels financements. Car il semblerait que seuls comptent les profits à court terme des entreprises et le besoin supérieur des consommateurs. Produit haut de gamme consommé par des populations loin de mourir de faim, la pieuvre ne répond pas à un besoin de sécurité alimentaire. Alors, à quoi bon ajouter de la souffrance évitable par dessus un océan de souffrance ? Les adorateurs du libre marché vous répondront : c’est le jeu de l’offre et de la demande. Gauchistes, bisounours et autres sentimentalistes n’ont qu’à bien se tenir…

L.R

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