En ce moment même, en Tanzanie, des milliers de Massaï se retrouvent expulsés de leurs terres par le gouvernement. Le projet ? Délimiter une zone de 1500 km² de terres Massaï en tant que réserve de chasse. Cette dernière, projet du gouvernement tanzanien, sera réservée à la fois à la chasse aux trophées (sous le contrôle d’Otterlo Business Corporation), à la “conservation” et aux safaris. Et quiconque s’y oppose ou tente d’alerter les médias sera blessé, ou tué. Cette répression a un nom : le colonialisme vert. 

Des communautés expulsées au nom de la “conservation” de la nature ? Violentées, blessées, tuées ? Ce qu’il se passe actuellement en Tanzanie n’est pas sans rappeler le scandale au Congo, il y a quelques années déjà, et que nous avions expliqué ici. Ce schéma a même un nom : le « colonialisme vert ». Un terme qui a été popularisé par l’ouvrage de Guillaume Blanc, intitulé L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain.

Depuis début juin, des milliers de Massaï ont dû fuir leurs maisons pour se réfugier dans la brousse. La raison ? Une brutale répression policière des manifestations menées contre les tentatives du gouvernement de les expulser. Des expulsions qui ont pour objectif de faire place nette pour les chasseurs de trophées et la “conservation” de la nature. Le tout, censuré par les autorités tanzaniennes, qui veillent à ce qu’aucun média national ne traite le sujet.

Tanzanie @Rémy Venturini – rventu /Unsplash

Des violences sans nom 

Le 13 juin, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a lancé un appel urgent à la cessation de l’expulsion de la communauté Massaï dans le district de Ngorongoro, en République-Unie de Tanzanie. Et pour cause :

Le 8 juin, des dizaines de véhicules de police de la Field Force Unit (FFU) sont arrivés dans la ville de Wasso à Loliondo, dans le district de Ngorongoro, pour délimiter une zone de  1500 km² de terres Massaï en tant que réserve de chasse. Cette dernière, projet du gouvernement tanzanien, sera réservée à la fois à la chasse aux trophées (sous le contrôle d’Otterlo Business Corporation), à la “conservation” et aux safaris. La FFU et d’autres forces se sont installées dans la zone d’Oloosek à Ololosokwan et à Sanjan, Malambo. Près de 700 agents ont été mobilisés. 

Le commissaire régional du gouvernement tanzanien a rencontré les présidents des villages pour les informer de la décision du gouvernement. Décision qui semble occulter le fait que la Cour de justice de l’Afrique de l’Est (EACJ) ait statué en faveur de la communauté masaï en 2018 …Des milliers de Masaï ont alors organisé des manifestations et sont catégoriques : ils ne partiront pas tant que la décision ne sera pas annulée.

Les deux jours suivants, les 9 et 10 juin, les habitants se sont rassemblés en plusieurs endroits, dont Ololosokwan et Kirtalo, pour protester contre l’invasion de la police. La police et les forces paramilitaires ont répondu par la répression : des dizaines d’hommes et femmes ont été la cible de coups de feu, ou encore blessés à coups de machette. Le décès d’une personne a été confirmé. Pourtant, le  gouvernement prétend qu’il n’y a pas de blessés, parce qu’il n’y a pas de Massaï dans les hôpitaux. En réalité, ces derniers se sont enfuis au Kenya pour chercher une assistance médicale. 

Les vidéos et des photos largement partagées sur les réseaux sociaux montrent une attaque meurtrière et sans distinction contre les manifestants : 

La police fait maintenant du porte-à-porte dans les villages massaï, frappant et arrêtant les personnes qui, selon elle, auraient diffusé des images de ces violences ou participé aux manifestations. Un homme âgé de 90 ans a été battu par la police parce que son fils était accusé d’avoir filmé la fusillade. Dans un seul village, au moins 300 personnes, y compris des enfants, auraient fui dans la brousse. Une douzaine de personnes ont été arrêtées.

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Selon Anuradha Mittal, directrice exécutive de l’Oakland Institute et auteure de Losing the Serengeti, le fait que les Massaï soient une fois de plus menacés d’expulsion pour la famille royale des Émirats arabes unis montre que le gouvernement tanzanien continue de donner la priorité aux revenus du tourisme au détriment des communautés :

« Le mythe des « zones protégées » les prive non seulement de leurs droits en tant que personnes, mais aussi de leur capacité à vivre sur leurs terres ancestrales »

Un membre des Massaï déclarait il y a quelques jours à l’ONG Survival International : « J’aime cet endroit parce que c’est ma maison […] Ils veulent nos terres parce que nous avons des sources d’eau, et nous les avons parce que nous les protégeons. Nous vivons avec la faune sauvage depuis des générations.

Berger Massai @serious but unabashed/Flickr

Ils ne veulent pas des Massaï parce que les gens qui viennent ici ne veulent pas voir les Massaï. Avant, nous ne pensions pas trop au tourisme (ou pas trop en mal), mais maintenant nous comprenons que le tourisme, c’est des gens qui viennent avec de l’argent, ce qui pousse le gouvernement à penser “Si nous déplacions les Massaï, davantage de gens viendraient ici avec de l’argent”. »

 

La stratégie des autorités tanzaniennes

La violence de ces derniers jours est le dernier épisode en date d’un effort de longue haleine des autorités tanzaniennes pour expulser environ 70 000 membres de la communauté Massaï de leurs terres, à Loliondo, au profit des safaris touristiques et de la chasse aux trophées. L’entreprise Otterlo Business Company (OBC), basée aux Émirats arabes unis (EAU) – qui organise des excursions de chasse pour la famille royale de son pays et ses invités – devrait obtenir le contrôle de la chasse commerciale dans la région.

Un leader massaï, qui demeure anonyme pour des raisons de sécurité, a déclaré à Survival : « Notre gouvernement a décidé de déchaîner toute la puissance de l’armée pour nous évincer de nos terres – laissant ainsi de nombreux blessés par balles, ainsi que des enfants errant dans la brousse – et nous nous sommes déplacés pour dormir dans la brousse. Le gouvernement refuse de soigner les blessés. Beaucoup de gens sont sans nourriture. Et il s’agit de notre terre ancestrale. C’est barbare de prendre nos terres pour la chasse de luxe des dirigeants des EAU. »

Loliondo @SurvivalInternational

L’Allemagne est d’ailleurs l’un des principaux bailleurs de fonds des projets de conservation en Tanzanie et elle est fortement impliquée dans l’élaboration des politiques de conservation du pays ayant conduit à l’expulsion de milliers de personnes autochtones. La Zoologische Gesellschaft Frankfurt (Société zoologique de Francfort) finance des gardes forestiers et des agents de protection de la nature, dont certains, selon les Massaï, ont été impliqués dans les récentes expulsions.

Pour faciliter la dépossession des Masaïs, le gouvernement tanzanien se prépare à mettre en œuvre le plan d’utilisation multiple des terres (MLUM) et de réinstallation dans la zone de conservation de Ngorongoro (NCA). Un plan créé sous la forte influence du Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO (WHC).

 

Remettre en cause les politiques de “conservation” de la nature

Tanzanie @Chema Photo/Unsplash

Ce n’est pas la première fois que nous écrivons à propos du « colonialisme vert ». Ce dernier prend ses racines dans une perception occidentale biaisée : la nature est associée à l’image de la beauté d’une nature immaculée, non contaminée par l’humain, qui serait un véritable antidote à la vie urbaine. Autrement dit, pour qu’elle soit préservée, la nature devrait être vierge et donc exempte de vie humaine. L’exemple le plus connu de « colonialisme vert » est sans doute le projet mené par WWF à Messok Dja, dans le bassin du Congo, visant à transformer la région en un parc national. 

La situation actuelle en Tanzanie en ce moment ressemble bien trop à ce qu’il s’est passé au Congo, et sur quoi nous avions déjà alerté. Pourtant, le cas du Congo a été largement médiatisé et remis en question : suite à une plainte officielle déposée par Survival International en 2018, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) avait  lancé une enquête, dont les conclusions avaient révélé un haut niveau d’abus et de violations de droits contre les Baka

 

Quelle leçon en a-t-on tiré ? Visiblement, aucune. 

Pourtant, d’autres schémas sont possibles, visant à protéger l’ensemble du vivant. Autrement dit, les êtres humains comme non-humains, qui vivent sur leurs terres depuis des siècles. Survival International s’oppose depuis plusieurs années à ce « colonialisme vert », en démontrant qu’il est possible de mener des politiques écologistes sans pour autant occulter les droits humains

Selon Fiore Longo, directrice de Survival France: « Cette violence que nous voyons en Tanzanie est la réalité de la conservation de la nature en Afrique et en Asie : des violations quotidiennes des droits humains des peuples autochtones et des communautés locales pour que les “riches” puissent chasser et faire des safaris. Ces abus sont systémiques et s’inscrivent dans le modèle dominant de conservation fondé sur le racisme et le colonialisme.

Selon ce modèle, les humains – en particulier non blancs – vivant dans des zones protégées constituent une menace pour l’environnement. Pourtant les peuples autochtones y vivent depuis des générations : si ces territoires sont aujourd’hui d’importantes zones de conservation de la nature, c’est précisément parce que les premiers habitants prenaient si bien soin de leur terre et de sa faune. Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les violations des droits humains commises au nom de la “conservation”. Ce modèle de conservation est profondément inhumain et inefficace, et doit être changé maintenant. »

Tous les médias nationaux ont été avertis et interdits de faire des reportages sur ce sujet, sous prétexte de « problème de sécurité nationale ». Plusieurs médias à travers le monde ont évoqué le sujet, mais la France semble faire patte blanche. Pourtant, ce n’est pas faute, pour Survival France, d’avoir averti plusieurs rédactions… Obtenir l’attention internationale pourrait être crucial pour les Massaï en ce moment, et il incombe une certaine responsabilité de la part des médias.

En effet, les Massaï, entre autres demandes, ont confié à Survival qu’ils avaient besoin d’un plaidoyer international. Une forte réponse du monde entier. Des efforts sont encore nécessaires pour attirer l’attention des médias et des bailleurs de fonds occidentaux en Tanzanie qui restent silencieux sur cette question. Les personnes peuvent donc faire savoir à leur gouvernement et à l’ambassade de leur pays qu’ils soutiennent les Massaï en les marquant sur des publications Twitter, Instagram, Facebook ou même en envoyant un mail.

– Camille Bouko-levy


Photo de couverture © Fabio Borquez – All right reserved/Flickr

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