À l’heure où nos villes font difficilement face aux bouleversements climatiques, il est temps de nous interroger sur l’urbanisme de ces dernières décennies. Le triomphe du tout-béton n’a pu exister que par l’illusion d’un progrès repoussant sans cesse les lois de la nature, mais aussi par un mépris certain du savoir-faire ancestral, pourtant bien plus résilient. En nous appuyant sur un exemple emblématique en cours à Paris au niveau de la Gare d’Austerlitz, nous souhaitons soulever le débat citoyen face à ces choix intenables. Tribune. 

Renouer avec l’urbanisme séculaire

La capitale française, Paris, l’une des villes les plus denses au monde, est admirée en tant que joyau architectural et pour son âme vivante. Ses bâtisseurs successifs ont réussi l’exploit d’en faire un cadre de vie exceptionnel, alternant d’un coin de rue à un autre boulevard, monuments, constructions modestes, sobres ou majestueuses, allées, cours, villages et espaces verts.

Sa beauté et sa qualité de vie sont cependant mises à mal depuis les années 1960-1970 par des destructions organisées cherchant à imposer un urbanisme de rupture et sans saveur, standardisé, le même qui prospère partout dans le monde et qui recourt au tout béton en détruisant des lieux de vie pourtant durables. Les exemples sont hélas nombreux, comme ce qui a été fait pour la Place des Fêtes, la Place d’Italie, la Gare Montparnasse ou la Samaritaine, côté Rivoli qui ont été définitivement défigurées.

Transformation de la Place des Fêtes : photographie avant 1960
Transformation de la Place des Fêtes : photographie après 1970

Non à une barre Gare d’Austerlitz

Aujourd’hui, le très contesté projet de modernisation de la Gare d’Austerlitz s’inscrit dans ce saccage en prévoyant la construction d’une barre de béton de 300 mètres de long sur 37 mètres de haut (presque le double de hauteur des immeubles environnants !) à la place d’anciennes dépendances ferroviaires fraîchement rasées. Quasiment dénuée de végétation et dans un style inspiré des grands ensembles des années 70, sa construction défigurerait ce quartier historique reconnu pour sa gare, l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et le Jardin des Plantes.

Projet d’aménagement Gare d’Austerlitz, Kaufman & Broad

Le projet contesté prévoit la construction d’un gros bloc de béton de 100 000 m² de planchers dédié à 90% à des bureaux et commerces, avec seulement quelques plantations dans des bacs, et rajoutera un îlot de chaleur insoutenable (lire la publication du Collectif Austerlitz). Nous faisons la démonstration qu’une surface similaire peut être atteinte de façon bien plus apaisée en reprenant l’ingéniosité de l’urbanisme parisien.

Un autre urbanisme est possible

Cet urbanisme nihiliste, imposé comme une fatalité, nous paraît inadapté aux attentes et aux besoins des habitants. Nous appelons à un projet qui tienne compte des enjeux environnementaux, de ses habitants et qui respecte l’âme de Paris en proposant pour le site de la Gare d’Austerlitz, une cité-jardin, avec comme principes simples :
> des commerces à la lumière du jour en rez,
> des immeubles avec des appartements souvent transversants,
> des jardins privatifs et des jardins publics,
> le retour de l’eau (la Bièvre) dans la ville,
> une architecture composée, harmonieuse, mais aussi variée.

Proposition d’une cité-jardin alternative à la barre prévue, Atelier XAVIER BOHL

Nous entendons les besoins financiers de la Ville de Paris, qui compte recevoir 300 millions d’euros de cette opération immobilière, mais faisons aussi le constat que Paris est une ville carencée en espaces verts. Pour répondre à l’urgence bioclimatique, il s’agit de renaturer autant que possible et de relocaliser ses habitants.

Retrouver l’inspiration de la cité-jardin

La contre-proposition de l’Atelier XAVIER BOHL se structure par des bâtis entrelacés de jardins, avec la construction de 80 000 mètres carrés de planchers pouvant être consacrés à des logements, bureaux et commerces. La mixité des plantations en pleine terre, des points d’eau, des voiries et des bâtis est indispensable pour lutter contre les îlots de chaleur et permet un retour de la biodiversité.

Plan de la cité-jardin Austerlitz, Atelier XAVIER BOHL

Une alternative plus modeste de 23 000 m² a également été formulée par Regard Naïf dans l’esprit d’un bâti multi-usages bordant un nouveau parc, et une solution intermédiaire est bien évidemment réalisable.

Alternative proposée par Regard Naïf

Un enjeu de durabilité

Les constructions en béton armé, où toute fissure menace de faire rouiller le fer qui les structurent, mais aussi de par leurs formes non pensées contre les intempéries, connaissent fréquemment des problèmes structurels alors qu’elles n’ont pas encore un siècle d’existence. Or construire et reconstruire en béton est très impactant en émissions de GES, ce matériau représentant à lui seul 5% des émissions mondiales (52% des émissions du secteur du BTP). De plus, elles restituent aussi une chaleur étouffante les soirs de canicule, dépassant parfois les +10°C et ont recours à l’air conditionné, contrairement à des habitats anciens employant des matériaux naturels. Pour ces raisons, un certain nombre d’architectes font le choix d’un retour à des matériaux plus durables comme la brique, la chaux, l’argile, la pierre, le bois, ou le recours au recyclage.

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Quant au retour à un style d’architecture plus classique, l’embellissement de nos villes n’est pas qu’une préoccupation esthétique. Utile pour le bien-être de ses habitants, elle répond aussi à un enjeu de durabilité avec des éléments architecturaux qui ont été pensés à l’origine pour protéger la structure de l’érosion, gérer les aérations, optimiser les isolations, rationaliser le chauffage, considérer l’ensoleillement.

C’est pour cette raison que les architectures traditionnelles sont – et doivent être – distinctes selon leur emplacement, que ce soit à Tombouctou, Athènes, Pékin ou Saint-Pétersbourg, pour des raisons autant culturelles que liées au climat local. L’uniformisation mondiale des bâtis, en plus de l’appauvrissement architectural (donc culturel) qu’elle génère, est inadaptée et notre capitale Paris, tout comme ailleurs, mérite mieux.

Ce projet d’Austerlitz que les décideurs cherchent à nous imposer est l’exemple même de ce qu’il ne faut plus faire. Il est aussi une opportunité à saisir par les citoyens pour enclencher la nécessaire bifurcation vers une architecture plus respectueuse.

Ce qui est durable, c’est ce qui caractérise un lieu. Il convient de retrouver le charme et la valeur qui font de Paris une ville à nulle autre pareille en renouant avec son urbanisme raisonné et son architecture séculaire.

Roland Larivière, citoyen, Regard Naïf
Xavier Bohl, architecte, Atelier XAVIER BOHL
Nadia Evrard & Noé Morin, co-fondateurs, La Table Ronde de L’Architecture


Roland Larivière a créé Regard Naïf afin d’aider les associations de défense du patrimoine en proposant des contre-projets plus respectueux. Il est à l’initiative d’une première contre-proposition pour la gare d’Austerlitz. Sans lien avec le BTP dont il critique l’état d’esprit “hors sol”, il souhaite susciter le débat et démontrer qu’un autre urbanisme est à la fois possible et souhaitable.

Xavier Bohl est architecte (Atelier XAVIER BOHL), et à l’origine de nombreux projets plébiscités pour leur architecture douce. Il met en avant les particularismes locaux et le respect de l’homme en s’inspirant des succès architecturaux séculaires avec une notion de joie et de couleurs dans un souci de bien-être. Il a répondu à l’appel des associations en mettant bénévolement à contribution son expérience et propose cette alternative de cité-jardin.

Nadia Evrard & Noé Morin, cofondateurs de La Table ronde de l’Architecture, une association non lucrative belge dédiée à la défense et à l’enseignement d’une architecture belle, humaine et durable et des métiers d’art qui lui sont associés.

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