La Cour suprême d’Équateur a rendu, le 4 février, un arrêt historique en reconnaissant le droit des peuples autochtones à donner leur accord sur les projets pétroliers et miniers. En plus de représenter une véritable victoire pour les mouvements indigènes et climatiques, cet arrêt porte un coup majeur aux projets du président équatorien visant à doubler la production pétrolière et à faire progresser l’exploitation minière en Amazonie.
L’Equateur dispose incontestablement d’une législation et d’une Constitution très ambitieuse, tant à propos des droits de la Nature que des droits des peuples autochtones. Pour autant, si ce système porte ses fruits, il n’empêche pas toujours l’organisation de projets écocidaires et violant les droits des peuples autochtones. Cette contradiction, dont nous parlions déjà ici, est d’autant plus prégnante depuis l’élection du président Guillermo Lasso l’année dernière.
L’arrêt rendu par la Cour suprême, soit l’organe judiciaire le plus puissant du pays, est historique : elle reconnait, pour la première fois, le droit des communautés autochtones à avoir la décision finale sur les projets pétroliers, miniers et autres projets d’extraction qui affectent leurs terres.
L’Équateur dispose désormais de l’un des précédents juridiques les plus puissants au monde concernant le droit internationalement reconnu des peuples autochtones au consentement préalable, libre et éclairé, un outil juridique puissant pour la survie des autochtones et la protection d’immenses étendues de forêts et d’écosystèmes d’une très grande biodiversité. Mr Mondialisation fait le point.
Le fruit d’un long combat porté par la communauté A’i Kofán
L’arrêt découle du procès intenté en 2018 par la communauté A’i Kofán de Sinangoe, qui a annulé 52 concessions d’exploitation aurifère accordées par le gouvernement le long de leur plus importante rivière. Sinangoe a accueilli la toute première audience de la Cour en territoire autochtone, au cœur de l’Amazonie, le 15 novembre 2021.
Cet arrêt signifie que la plus haute juridiction du pays soutient le droit de tous les peuples autochtones à avoir le dernier mot sur les projets d’extraction susceptibles d’affecter plus de 23 millions d’acres de terres et de forêts autochtones dans tout le pays. Ce n’est pas anodin.
L’arrêt souligne la nécessité pour l’État d’obtenir le consentement des communautés concernées avant d’entreprendre des plans ou des projets pétroliers, miniers ou autres activités d’extraction, en vertu du droit des peuples autochtones à l’autodétermination. Les juges citent l’ancien rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, James Anaya, pour motiver leur décision :
« Un effet direct ou considérable sur la vie ou les territoires des peuples autochtones établit une solide présomption que la mesure proposée ne devrait pas être adoptée sans le consentement des peuples autochtones. Dans des contextes déterminés, cette présomption peut se transformer en une interdiction de la mesure ou du projet si le consentement des peuples autochtones n’existe pas. »
Deux mois seulement après la réunion de la COP 26 à Glasgow, où les gouvernements, y compris l’Équateur, ont reconnu le rôle crucial des communautés autochtones dans la réalisation des objectifs mondiaux en matière de forêts, de climat et de biodiversité, cette victoire et la lutte menée depuis des années par la communauté A’i Kofán de Sinangoe contre l’exploitation aurifère sont un exemple du type d’action climatique menée par les autochtones en première ligne, nécessaire pour atteindre ces objectifs et éviter une crise climatique mondiale.
A titre de rappel : on estime que les territoires autochtones du monde entier couvrent 22 % de la surface de la Terre, préservent 80 % de la biodiversité mondiale et détiennent au moins 17 % du carbone stocké dans les forêts.
Wider Waramag, un leader de la communauté A’i Kofán de Sinangoe, souligne :
« Il s’agit d’un arrêt très important pour notre communauté et pour d’autres qui sont confrontées à des problèmes similaires. Après un long chemin de lutte et de résistance, nous attendions avec impatience l’issue favorable de la Cour. Cette décision est une énorme victoire pour Sinangoe et le fait d’avoir maintenant un instrument juridique qui garantit les droits de nos communautés, alors qu’il doit y avoir un précédent historique de consentement libre, préalable et éclairé sur le territoire national, démontre le pouvoir de l’unité. Nous exigeons, en tant que peuple ancestral, que nos droits constitutionnels soient respectés, garantis et réalisés sur nos territoires ».
Un coup dur porté aux projets du président
La décision de la Cour porte un coup dur aux projets du président Guillermo Lasso d’accélérer l’extraction des ressources dans toute l’Amazonie dans le cadre de ses plans économiques de relance COVID, car les terres autochtones couvrent 70 % de l’Amazonie équatorienne, riche en minéraux.
Les récentes ruptures majeures d’oléoducs en avril 2020 et janvier 2022, qui ont déversé du pétrole toxique dans les bassins versants amazoniens en territoire autochtone kichwa, ont mis en lumière les dangers de la production pétrolière en Amazonie, ainsi que le changement potentiel du pouvoir de décision maintenant que les futurs oléoducs devront obtenir le consentement des autochtones pour être construits.
La Cour souligne que le droit au consentement doit être appliqué même si « les plans ou les projets poursuivent la satisfaction de fins légitimes dans une société démocratique », un clin d’œil clair au discours gouvernemental sur la nécessité de forer ou d’exploiter des mines pour le plus grand bien de l’économie nationale.
En juillet 2021, le président Lasso a publié le décret exécutif 95 qui vise à doubler la production de pétrole pour atteindre 1 million de barils par jour, et le décret exécutif 151 qui cherche à développer l’industrie minière et à assouplir les contrôles environnementaux. Selon les données sur le stock moyen de carbone total publiées par les Nations unies et le ministère de l’environnement de l’Équateur, les territoires indigènes de l’Équateur stockent entre 2,4 et 2,9 milliards de tonnes de carbone dans leurs forêts et leurs sols, 68 % de ce carbone étant stocké dans les terres indigènes amazoniennes.
Avec près de 4,6 milliards de barils de pétrole découverts dans tout le pays, cette victoire judiciaire a donc des implications climatiques importantes pour les communautés indigènes de tout l’Équateur.
Jorge Acero, avocat de Sinangoe pour Amazon Frontlines, souligne :
« Les peuples indigènes en Équateur, et dans une grande partie du monde, sont contraints de subir diverses formes de dépossession et de violence sur leurs territoires. Cet arrêt est le résultat d’un processus soutenu d’exigibilité des droits. Il s’agit de la reconnaissance du droit constitutionnel des peuples ancestraux à décider de ce qui se passe sur leurs territoires et de leurs vies, et de l’obligation de l’État de reconnaître et de garantir ce droit par rapport aux intérêts économiques et corporatifs.»
Poursuivant : « Cette décision est un outil essentiel pour garantir le respect du consentement en Équateur et dans toute la région. En reconnaissant la vie, l’histoire et l’avenir des peuples indigènes, elle reconnaît également la valeur à long terme du maintien des environnements naturels pour les humains du monde entier. »
Ne pas crier victoire trop vite … ?
La Cour constitutionnelle n’a cependant pas complètement fermé la possibilité pour l’État d’aller de l’avant avec des projets d’extraction contre la volonté d’une communauté autochtone dans des « circonstances exceptionnelles ».
Dans ce cas précis, l’Etat équatorien devra alors justifier strictement son action et il lui est interdit de mettre en œuvre des projets qui impliquent des « sacrifices déraisonnables » de la part des peuples autochtones. Le mouvement indigène soutient que tout projet pétrolier ou minier dans leurs territoires ancestraux contre leur volonté implique des sacrifices déraisonnables.
La prochaine bataille judiciaire visant à clarifier davantage le droit au consentement des peuples indigènes en Équateur se profile à l’horizon. Silvana Nihua, présidente de l’organisation Waorani de Pastaza, souligne :
« […] Maintenant, notre droit au consentement doit être garanti par l’État. Mais nous rappelons à la Cour que l’affaire Waorani est toujours en cours, et nous demandons aux juges d’entendre et de résoudre notre affaire rapidement. »
Cette année, la Cour constitutionnelle se prononcera en effet sur le droit des Waorani de Pastaza d’empêcher le gouvernement de vendre aux enchères leurs terres ancestrales à des compagnies pétrolières. Dans l’affaire Waorani, le mouvement indigène espère que la Cour fournira également des normes plus claires sur la manière dont l’État doit mener un processus culturellement adéquat pour obtenir le consentement d’une communauté et déclarera également que les peuples indigènes récemment contactés, comme les Waorani qui ont été contactés pour la première fois par des Occidentaux en 1958, doivent toujours donner leur consentement avant qu’un projet puisse aller de l’avant, sans exception.
Pour plus d’informations sur la lutte Sinangoe : https://sinangoe.amazonfrontlines.org/content/sinangoe-map/
Photo d’entête : crédits Kimberley Brown
–Camille Bouko-levy