L’ingestion chronique de micro-plastiques par les poissons affecte leur croissance et leur reproduction, rapporte une nouvelle étude franco-suédoise publiée le 5 août dernier. Parue dans la revue Journal of Hazardous Materials, la recherche met en évidence des défauts de croissance et de reproduction pour deux espèces différentes de poissons, l’une d’eau douce et l’autre de mer, lors d’une exposition à long terme des polluants. L’intensité des effets observés varie cependant en fonction de plusieurs variables, comme le type de microparticule, la présence ou non de polluants organiques ou encore la durée d’exposition. Mais les résultats sont clairs : alors que la quantité de débris plastiques dans les océans est en augmentation constante, le taux de reproduction des deux espèces de poissons étudiées a chuté jusqu’à 50 % et leur poids a diminué de 20 % à 35 %, touchant en particulier les femelles. De quoi nous alarmer encore davantage sur les risques que représente une telle pollution pour l’environnement aquatique de milliers d’espèces.
L’Inrae (Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) et les universités de Bordeaux et d’Orebrö (Suède) ont étudié la toxicité chronique des microplastiques sur les fonctions biologiques essentielles des poissons. L’étude s’est focalisée sur deux espèces de poisson précises : le poisson zèbre, qui vit en eau douce et le medaka marin qui, comme son nom l’indique, évolue dans les mers et océans. Ces deux espèces différentes ont alors été exposées à différents types de microplastiques, seuls ou enrobés de polluants organiques, pendant 4 mois d’affilés. L’objectif était ainsi de déterminer les effets néfastes de l’ingestion chronique de tels polluants présents en forte quantité dans les cours d’eau et océans du monde.
Chaque année, 8 millions de tonnes de déchets plastiques supplémentaires flottent dans les océans
Et pour cause, chaque année, 8 millions tonnes de déchets plastiques termineraient leur course dans les mers et océans du globe. 80 % d’entre eux proviennent directement des terres, en passant par les rivières avant d’arriver dans les profondeurs des eaux océaniques, alors que le restant des déchets provient surtout des activités de pêche et du trafic maritime. Mais ce n’est pas tout : au fil du temps et sous l’effet des intempéries, du mouvement des vagues, de la salinité, des rayons UV et de l’abrasion avec le sable, les objets en plastique qui parviennent jusqu’aux océans se dégradent et se décomposent en morceaux de plus en plus petits appelés microplastiques.
Ces petits détritus peuvent varier en taille (de 1 µm à 5 mm), en composition chimique, et dans la nature des polluants et des micro-organismes qui les enrobent. Ils absorbent les polluants organiques environnants, aussi bien à la surface de l’eau où l’on retrouve initialement les plastiques de faible densité comme le polyéthylène (PE), que dans les sédiments où l’on retrouve les plastiques de haute densité comme le polychlorure de vinyle (PVC).
Alors capables d’être assimilés par des organismes vivants, qui les confondent avec des restes de nourritures ou ne les perçoivent tout simplement pas, ces micropolluants pénètrent dans les chaines tropiques, jusqu’à parvenir dans nos assiettes. Mais au-delà du risque que représente cette pollution invisible pour la santé humaine, c’est tout l’équilibre de la vie aquatique qui est mis à mal.
Les microplastiques : une pollution invisible mais dévastatrice pour les écosystèmes marins
Dans le but de se rapprocher au mieux de la réalité du terrain, les auteurs de cette nouvelle étude ont privilégié les microplastiques issus de polyéthylène (PE), notamment utilisé pour la fabrication des sacs en plastique, des films ou des barquettes souples, et de polychlorure de vinyle (PVC), présents en grand nombre dans l’industrie textile. Ces matériaux font partie des plus répandus parmi les déchets plastiques vaguant dans les océans. Mais d’autres rejoignent aussi le haut du podium, comme le perfluoré PFOS (l’acide Perfluorooctanesulfonique) utilisé comme retardateur de flamme dans les plastiques, la BP3 (la Benzophénone3) couramment utilisée comme filtre UV notamment dans des filtres solaires, ou encore le BaP (Benzo[a]pyrène) contenu par exemple dans des dérivés pétroliers.
Après avoir été exposés pendant quatre mois à ces divers polluants, les deux espèces de poissons observées ont vu leur état de santé rapidement décroître. Les chercheurs ont ainsi constaté une réduction de croissance, plus précisément de taille et de poids du corps, de l’ordre de 20 à 35% chez le poisson zèbre mais aussi chez le medaka marin, quel que soit le type de plastique ingéré. Cette transformation a toutefois été davantage remarquée chez les femelles, « probablement en raison de leurs besoins énergétiques plus élevés que ceux des mâles lors de la reproduction », expliquent les scientifiques. Ils notent également que « ces effets sont bien plus importants au bout de quatre mois d’exposition qu’au bout de deux mois », ce qui souligne l’importance de mener des études à long terme pour évaluer la toxicité des microplastiques.
Les résultats de l’étude alertent sur le danger que représentent ces polluants
En outre, l’ingestion de particules plastiques fait également chuter la reproduction de ces poissons jusqu’à 50%. Cette fois, ce risque varie sensiblement en fonction du type de microparticule de la présence ou non de polluants organiques associés, de la durée d’exposition, et de la sensibilité des espèces. Le poisson zèbre semble plus résistant, puisque l’exposition à certains polluants seulement (mais pas tous) entraîne un retard dans le déclenchement de la ponte ou conduit à une diminution du nombre de pontes. Chez le medaka marin par contre, l’exposition à presque tous les microplastiques induit non seulement un retard dans le déclenchement de la ponte et une diminution du nombre d’œufs produits par femelle et par jour, mais également des troubles du comportement chez la progéniture au stade larvaire avec certains type de plastiques.
Au vu de ces résultats, les chercheurs alertent sur le danger que représentent ces polluants « qui peuvent conduire à de graves dysfonctionnements écologiques » pour les écosystèmes marins et d’eau douce, mais aussi plus largement pour les espèces qui en dépendent. « Comprendre les mécanismes sous-jacents aux perturbations biologiques permettra d’évaluer dans quelle mesure ces effets peuvent être généralisés à tous les types de microplastiques, afin par exemple de prioriser le contrôle des émissions », concluent les auteurs de la recherche.