Accusés de dégradations, neuf militant.e.s climatiques appartenant à l’Ensemble zoologique de libération de la nature (EZLN), attendent le verdict de leur juge à Bruxelles ce jeudi 7 décembre. Pour protester contre le poids des lobbies et des multinationales, comme Monsanto et Bayer, les activistes s’étaient introduits dans les bureaux de l’European crop protection association (ECPA) en mai dernier. Au delà des aspects purement juridiques du procès, le collectif entend profiter de l’occasion pour porter haut et fort son message face à l’inaction de l’Etat Belge et de l’Union européenne en dépit de l’urgence sociale et climatique. Selon eux, la désobéissance civile non-violente relève désormais de la nécessité.
À quelques jours de leur procès pour avoir pénétré les locaux de l’European crop protection association (représentation des grandes entreprises de semences) et y avoir mené une action symbolique filmée en lançant des œufs, de la peinture biodégradable et en affichant divers messages de protestation contre le pouvoir des multinationales et leur impunité, les militants de l’EZLN semblent avoir conservé un état d’esprit positif. L’un de leurs objectifs est atteint : faire résonner dans le débat public la cause qui est la leur en contribuant à maintenir les débats à propos du glyphosate, du TTIP et de la responsabilité des multinationales et des États face au changement climatique.
Avec des vidéos publiées sur les réseaux sociaux qui comptabilisent plusieurs millions de vues « on sort du milieu de militants traditionnels et des convaincus », pour parler à une large partie de la population, se félicite « sous-commandant chat », une des personnes engagées dans le collectif qui préfère rester anonyme. Aussi, c’est avec nuance qu’il analyse le procès en cours, « on ne peut bien évidemment pas se réjouir d’être en procès, mais quand on fait de la désobéissance civile, cela fait également des choses qu’on cherche consciemment pour pouvoir amplifier les revendications, mais aussi pour utiliser la jurisprudence et les décisions de justice pour faire évoluer la loi ».
« Ce n’est pas le procès des activistes, c’est celui du glyphosate »
Louise, est l’une des 9 accusées et attend de connaître le verdict. Militante depuis la COP21, elle a commencé à agir avec l’EZLN en 2016. Au regard de l’état de la planète et de l’urgence qu’il existe à agir, manifester de cette manière « c’est plus un devoir, qu’une désobéissance » nous explique-t-elle. Aussi, elle regrette que « l’Etat belge consacre de l’énergie et du temps à nous poursuivre pour des projections de peinture, plutôt que de s’attaquer aux entreprises, qui en matière de détériorations sont bien plus dangereuses ». D’aucun pourrait interpréter le message envoyé par l’État au mouvement écologiste pris dans sa diversité et sa globalité comme un très mauvais signal. Un « deux poids, deux mesures », que l’EZLN entend bien dénoncer.
Le procès en cours est une tribune pour l’EZLN, commente commandant sous-chat, qui martèle que « ce n’est pas nous qui devrions être jugés pour dégradation de bien privés, ce sont les multinationales qui devraient être jugées pour dégradations de bien communs ». Si la situation « n’est pas confortable pour les 9 accusés, car c’est du temps de l’énergie et du stress », le collectif et les personnes immédiatement concernées, comme Louise, « assument entièrement ».
Dysfonctionnements démocratiques et impunité des multinationales
Le message de l’EZLN, qui oppose la désobéissance civile non-violente aux dysfonctionnements démocratiques et aux agissements des entreprises et multinationales que le mouvement dénonce est clair : « On ne veut pas continuer à laisser les multinationales perpétrer leurs crimes sociaux, environnementaux et climatiques sans qu’il n’y ait de justice » explique sous-commandant chat, qui estime également qu’il faut « revoir les mécanismes des processus démocratiques de décision au niveau national et européen ». Selon lui, plusieurs sujets ont fait l’objet d’un véritable « déni de démocratie » comme celui du glyphosate et du TTIP, alors que des pétitions supranationales ont récolté dans un cas comme dans l’autre plus d’un million de signatures citoyennes.
Par conséquent, le mouvement réclame une véritable justice climatique, « que les multinationales puissent être jugées pour les crimes qu’elles commettent » et demande à ce que les lobbies ne soient plus assis à la même table que les élus et « soient exclus des processus de décision ». Le message est de plus en plus fort au sein de la société civile, mais reste lettre morte devant les instances dirigeantes. D’autant que l’autorisation de commercialisation du glyphosate vient à peine d’être reconduite sans faire de vague et sans grande couverture médiatique.
La désobéissance civile comme dernier moyen d’agir
C’est donc très logiquement que les activistes ont invoqué la liberté d’expression devant le tribunal correctionnel de Bruxelles, en expliquant qu’ils se défendaient avec les moyens qui leur restaient pour, peut-être, être entendus. Selon eux, les moyens traditionnels d’expression démocratique comme les manifestations et les pétitions ont échoué, les poussant à se tourner vers d’autres alternatives, quitte à enfreindre la loi, tout en évitant l’usage de la violence. L’action directe serait « l’arme du pauvre », face à des lobbies qui ont des moyens financiers disproportionnés et une influence jusque dans les bureaux de la commission européenne et les couloirs des députés. « On assume les dégradations de bien privés, face à l’échec des autres moyens », répète commandant sous-chat. Une dégradation très relative à ce jour sachant que la couleur utilisée dans leurs actions part facilement à l’eau.
Cependant, l’EZLN entend bien être constructif dans son approche. « On ne condamne pas les autres formes d’agir », au contraire. Les formes traditionnelles de mobilisations sociales comme les manifestations « légitiment notre travail, car elles contribuent à montrer que la démocratie est en panne », suggère notre interlocuteur, qui tend la main à tous ceux qui s’engagent, quelque soit la forme de cet engagement : ONG, manifestants, associations et citoyen.ne.s qui construisent les alternatives concrètes de demain. Aussi, il appelle de ses vœux une coopération entre ces différentes entités, qui continuent parfois à avoir du mal à s’entendre entre elles. En effet, aucune raison d’opposer ces différentes formes d’actions qui partagent souvent un même but.
Un collectif à l’image du monde de demain ?
Car l’objectif de tous est de construire un monde meilleur, plus juste, même si les moyens ne sont pas les mêmes. L’engagement l’EZLN se poursuit d’ailleurs dans sa manière de fonctionner, afin de conserver une cohérence d’ensemble. Le collectif a ainsi adopté un modèle horizontal afin d’être au plus proche « des idéaux qu’il prône ». Toutes les décisions sont « prises par consentement » et il n’existe pas de rôles prédéfinis, chacun assumant les différentes responsabilités à tour de rôle, comme celles de porte-parole ou celles d’organisateur des actions de terrain. Artistique, original, poétique, le mouvement entend « incarner dans son mode d’agir le monde à construire pour demain, celui de la diversité, de la convivialité, et de la non-violence ». C’est d’une autre oreille que nous entendrons le verdict du 7 décembre…
Entretien et vidéo par l’équipe de Mr Mondialisation. Tournage : Tiphaine Blot. Nos travaux sont gratuits et indépendants grâce à vous. Soutenez-nous aujourd’hui en nous offrant un… thé ? ? ☕