Des membres de l’association L214 se sont procurés des images filmées en octobre et novembre dans le Domaine de La Peyrouse en Dordogne qui produit du foie gras de canard. Des images crues qui illustrent les conditions déplorables dans lesquelles vivent et meurent les canards gavés pour fournir un mets prisé des fêtes de fins d’année. Pour l’association, cette situation n’est pas un cas isolé dans cette industrie. Un reportage édifiant dévoilé ce jour.
La L214 a choisi d’enquêter sur le Domaine de la Peyrouse car son foie gras est certifié IGP Périgord et a été récompensé par une médaille d’or au Concours Général Agricole 2019 (un concours encadré par le Ministère de l’Agriculture qui récompense les « meilleures productions agricoles »). Soit, d’après les conditions des distinctions reçues, un lieu représentatif des meilleures pratiques de la production de foie gras au niveau national ! Le Domaine est aussi rattaché au Lycée agricole de Périgueux, il fait donc également office de centre de formation de la filière. En outre, il s’agit d’une des plus grosses exploitations du département avec un couvoir « produisant » 300 000 canetons par an, deux salles d’élevage, deux salles de gavage d’une capacité d’un millier de canards et un abattoir où sont tués 8 000 canards annuellement. Autant dire que l’endroit fait office de référence dans le milieu.
Ces meilleures pratiques, quelles sont-elles ? Les images prises par la L214 les montrent sans filtre, de quoi retourner le cœur des âmes sensibles. Au couvoir, dès la naissance, on opère le tri des canetons car seuls les canards mâles sont gavés, les femelles sont mises de coté. Des milliers de canetons femelles et mâles « inaptes » sont donc entassés vivants dans les poubelles du couvoir, laissés là jusqu’à mourir de faim ou étouffés par le poids de leurs congénères. Une atrocité que les services vétérinaires alertés par la L214 sont venus constater de leurs yeux. Dans la poubelle de l’équarrissage, certains œufs n’ont parfois pas complètement éclos ! On ignore si une procédure judiciaire a été ouverte suite à ces constatations. Il est fort probable que la situation n’ait pas changé depuis.
Dès les premières heures de leur (courte et terrible) vie, le bec des canetons est brûlé, une pratique reconnue comme douloureuse appelée épointage destinée à ce que les volatiles ne puissent pas se blesser s’ils venaient à se battre. Elle est également pratiquée dans l’industrie des poules. Ces canards qui ont « la chance » de vivre sont destinés à être gavés à partir de trois mois afin que le fonctionnement de leur foie se dérègle et développe une maladie appelée stéatose hépatique. Maladie qui multipliera sa taille par dix causant au passage des troubles respiratoires et le déplacement du centre de gravité des canards. Le taux de mortalité en période de gavage est d’ailleurs 10 à 20 plus important qu’en temps normal tant le gavage engendre troubles et maladies. Le prix à payer pour obtenir un met « raffiné » dont les consommateurs raffolent pour les grandes occasions. Mais veut-on vraiment leur faire payer un prix si cruel ? Aujourd’hui, c’est à chacun de voir avec sa conscience.
Au Domaine d’excellence de la Peyrouse, le gavage à la pompe pneumatique est principalement assuré par des élèves en formation avec ce que cela suppose de maladresses et de douleurs accrues pour les canards. Dans cette salle géante, les canards sont disposés en groupe de 5 ou 6 dans une stalle d’un mètre carré au mieux où ils disposent d’assez d’espace pour faire trois pas à peine. Insuffisant pour fuir le gaveur approchant qui les effraie. Pas d’échappatoire, des grilles coulissantes viendront les entraver dans leur tentative. Entre deux gavages ils resteront confinés dans la stalle, s’agglutinant les uns aux autres, s’abîmant les plumes, se blessant, marchant sur une grille – un sol « industriel » jugé pratique pour évacuer les diarrhées causées par la suralimentation – le tout sans lumière extérieure et dans un bruit de ventilateurs assourdissant qui ne manque certainement pas d’augmenter leur stress. La question du bien-être animal est tout simplement inexistant. Celui-ci est considéré comme une manière première inerte et sans autre but que de servir les envies de l’Homme.
En bout de chaîne, après une douzaine de jours de gavage, vient l’abattage pour récupérer le précieux organe. Les canards sont suspendus par les pattes et plongés dans un bac d’eau électrifié pour les étourdir, officiellement pour leur éviter de souffrir lorsqu’ils seront égorgés. Pourtant, les images prises par la L214 montrent que des canards mal étourdis reprennent connaissance et sont conscients lorsqu’ils se vident de leur sang… De leur naissance à leur mort, la vie de ces canards n’aura été que maltraitance inutile et souffrance. Il est aisé de comprendre pourquoi le gavage est interdit dans l’Union européenne à l’exception de 5 pays (la France, la Hongrie, la Bulgarie, une partie de la Belgique et l’Espagne). La France produisant à elle seule 75% du foie gras mondial, on comprend aussi à quel point les enjeux économiques pèsent négativement dans la balance pour faire au minimum réglementer une pratique reconnue par la communauté scientifique internationale comme préjudiciable aux animaux. Une fois encore, la France se démarque par son archaïsme et ce rejet réactionnaire de toute évolution sociétale pouvant entacher ses habitudes culturelles. Pourtant, outre le courage de se détourner volontairement de sa consommation, le foie gras « alternatif » et sans souffrance existe aujourd’hui.
Suite à son enquête, la L214 va porter plainte pour cruauté et soumettre trois demandes au ministère de l’Agriculture : la prise de sanctions exemplaires contre le Domaine de la Peyrouse, le retrait de sa médaille d’or et l’interdiction au Domaine de servir de centre de formation.
S. Barret
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