Du fait de la grippe aviaire, la filière du foie gras est en nette baisse depuis 2016. Mais la filière espèrent inverser la courbe en cette fin d’année 2023. Pourtant, la question du bien-être animal est également devenue légitime dans le débat public français. Et certaines méthodes sont particulièrement montrées du doigt, comme le gavage industriel généralisé des oies et des canards. Les français décideront-ils de bouder le foie gras pour autant ?
En 2015, en France, 37 millions de canards étaient élevés et gavés dans l’objectif de produire du foie gras. En 2017, ils étaient encore 23 millions dans les cages, soit un recul de 38 % en deux ans seulement, principalement à cause de la grippe aviaire. Le nombre de canards gras abattus pour la production de foie gras est ainsi tombé à 21 millions en 2021, selon l’interprofession du foie gras Cifog, et à environ 15 millions en 2022. Mais en 2023, après que la France ait fait vacciner 64 millions de canards, la filière espère une hausse de 20% du marché.
À l’approche des fêtes, les entreprises de l’agro-alimentaire redoublent ainsi de stratégies pour atteindre leur clientèle et les inciter à consommer toujours plus, surfant sur une image de « tradition » séduisante. C’est tout particulièrement le cas pour ce produit phare de Noël et du Jour de l’An, profondément ancré dans nos habitudes culinaires depuis des années : le foie gras. Et quel serait le problème au juste ? Retour sur une réalité trop éludée.
[Attention, des images et des propos peuvent heurter la sensibilité]
Un mode de production à la limite des textes européens
La Directive Européenne du 20 Juillet 1998 indique que dans le cadre de l’élevage, « les animaux reçoivent une alimentation saine, adaptée à leur âge et à leur espèce, et qui leur est fournie en quantité suffisante pour les maintenir en bonne santé et pour satisfaire leurs besoins nutritionnels. Aucun animal n’est alimenté ou abreuvé de telle sorte qu’il en résulte des souffrances ou des dommages inutiles ».
De plus, dans la recommandation européenne du 22 Juin 1999, à l’article 16, il est indiqué que « les méthodes d’alimentation et les additifs alimentaires qui sont source de lésions, d’angoisse ou de maladie pour les canards ou qui peuvent aboutir au développement de conditions physiques ou physiologiques portant atteinte à leur santé et au bien-être ne doivent pas être autorisés. » Les textes européens laissent donc peu de place au doute.
Or, le gavage consiste en l’administration mécanique d’une mixture particulièrement énergétique et en très grande quantité à l’aide d’un tuyau, source de blessures et de lésions, que l’on enfonce par la force dans la gorge du canard ou de l’oie.
La « nourriture » est donc injectée de force et ne respecte pas les besoins stricts de l’animal, puisqu’elle est surdosée dans un objectif de productivité. Cependant, si la production du foie gras contrevient directement au droit européen, la Commission européenne l’a expressément autorisé dans les pays dans lesquels il s’agissait d’une « pratique actuelle », tolérée par la population.
La responsabilité est donc rejetée sur les consommateurs et « à la force des choses » : l’idée qu’une tradition quelconque, même industrialisée de la pire des manières, devrait être tolérée par défaut, même si elle va à l’encontre du droit international. « Et gare à ceux qui oseraient remettre en question le statu quo » est-on tenté de penser.
La même « excuse » fut utilisée par Nicolas Hulot, alors ministre de l’écologie, concernant la chasse à courre. « La France, qui a été historiquement associée à la chasse à courre, n’est pas encore prête à l’abandonner » disait-il en 2017. Mais quand les responsables politiques n’ont pas le courage de prendre de décisions courageuses, qui reste-t-il pour faire bouger les lignes ?
Des conditions d’élevage alarmantes, mais qui s’en soucie ?
Comme souvent dans le secteur, les conditions de vie des animaux sont nettement insuffisantes. Les oiseaux naissent dans un couvoir et non pas dans des conditions naturelles auprès de leurs mères. Les mâles sont les seuls à être gavés, car le foie des femelles est trop petit et plus innervé que celui des mâles. Ces dernières sont donc éliminées dès leur naissance, le plus souvent par broyage.
Les oiseaux sont généralement élevés en batterie, c’est-à-dire dans des cages qui sont souvent trop petites pour que les oiseaux puissent déployer leurs ailes ou même se retourner. Les sols sont le plus souvent durs et entraînent des blessures, voire des infections aux pattes.
À l’âge de 80 jours, l’animal est gavé tous les jours pendant une dizaine de jours au moins. À terme, l’animal est choqué par électronarcose, une technique d’étourdissement qui n’empêche pas son réveil au moment de la saignée. Bref, on est bien loin d’un quelconque idéal pastoral visible sur les étiquettes ou les publicités des grands groupes.
Cette production industrielle, froide et violente représente pourtant l’écrasante majorité du secteur. Présenter un producteur local, passionné et sincère, au journal parlé de TF1 ne suffira malheureusement pas à évincer cette réalité glaçante : le secteur est majoritairement industrialisé, et l’est de plus en plus, précisément au détriment d’une foule d’autres traditions qui disparaissent dans l’indifférence.
Grippe aviaire et inflation participent à son déclin
Comme le rappelle France Bleu : « Alors que le niveau de risque de propagation de la grippe aviaire a été relevé mardi à son niveau maximum, le prix du foie gras affiche une hausse de 5% selon le Cifog, en raison notamment du coût de la vaccination des canards ». Une hausse qui s’ajoute à celle, l’année dernière, de 15% déjà. En effet, le kilo de cette recette a grimpé à 70 euros en moyenne contre 50 en 2018.
Cette hausse des prix est une conséquence de l’inflation généralisée, mais également du coût de la vaccination massive des oiseaux d’élevage qui reste précaire tant que le système industriel reste inchangé. En effet, les foyers de grippe aviaire français les plus récents proviennent d’élevages claustrés. C’est tout un modèle qui atteint ses propres limites, obligeant les éleveurs à abattre massivement des milliers d’animaux par précaution.
Les alternatives se développent pourtant
Si en Europe et dans le monde, de nombreux pays ont déjà voté l’interdiction du gavage (comme l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, la Suisse, Israël, l’Argentine et bien d’autres), la France le pratique toujours, bien qu’une hausse des prix accompagnée d’une évolution des mentalité ait mené à une baisse de 21 % de la consommation de foie gras entre 2015 et 2016, selon les données officielles du Ministère de l’Agriculture.
Dans le même temps, les alternatives au foie gras « classique » se développent, sans gavage, comme le montre par exemple Eduardo Sousa dans son exploitation « éthique » de Pallares en Espagne. En France, il est plus difficile de trouver du foie gras éthique que dans les pays où il a été aboli. Selon un sondage L214, déjà en 2015, environ la moitié des Français étaient même pour une interdiction du gavage.
Aujourd’hui, en 2023, c’est précisément 6 Français sur 10 qui sont favorables à l’interdiction du gavage.
En outre, d’autres alternatives non-carnées connaissent également un succès grandissant. En effet, on peut trouver dans les livres et sur internet de nombreuses recettes de « faux gras » et terrines qui ne contribuent pas à la souffrance animale.
Parmi ces options respectueuses du bien-être des animaux, il existe entre autres des foies gras végétaux à base de truffe, de noix, de lentilles ou encore de tofu. Avec cet éventail de choix alternatifs au foie gras produit au gavage, avec ou sans viande, les pistes sont nombreuses pour suivre l’exemple de nos voisins européens en se détournant des méthodes de production industrielles basées sur l’exploitation animale.
En savoir plus avec la toute dernière enquête de L214 sur la réalité du gavage des canards.
– Mr Mondialisation
Photo de couverture : L214
Sources complémentaires : stop-foie-gras.com / l214.com