Publiée dans Nature, une nouvelle étude estime que la régénération naturelle des forêts pourrait capturer 226 gigatonnes de carbone supplémentaire à l’échelle mondiale. Une bonne nouvelle pour le climat, bien que ce potentiel forestier ne puisse être réalisé qu’à condition d’une baisse généralisée des émissions et de la préservation de la diversité des espèces forestières.
L’état des lieux est aujourd’hui dressé : les crises persistantes du climat et de la biodiversité menacent gravement les écosystèmes terrestres, dont les sociétés humaines. Si les causes anthropiques de ces bouleversements sont bien connues, des solutions d’atténuation sont encore en prospection. Une certitude demeure : représentant 80 à 90 % de la biomasse végétale mondiale et abritant une grande partie de la biodiversité terrestre, les forêts jouent un rôle clé dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Les couverts forestiers menacés
Pourtant, « l’homme a détruit près de la moitié des forêts naturelles de la Terre et nous continuons de perdre entre 0,9 et 2,3 gigatonnes de carbone (GtC) supplémentaires chaque année à cause de la déforestation, soit environ 15 % des émissions annuelles de carbone d’origine humaine », expliquent Thomas Crowther, professeur à l’Institut européen de recherche sur les forêts, et son équipe du réseau international Global Forest Biodiversity Initiative (GFBI) dans un communiqué.
En réponse à ces défis urgents, des initiatives environnementales internationales telles que la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes, le Cadre mondial de biodiversité Kunming-Montréal et la Déclaration des dirigeants de Glasgow sur les forêts et l’utilisation des terres ont été mises en place pour réduire la déforestation à l’échelle mondiale et revitaliser les écosystèmes. Si les chercheurs saluent ces accords pour protéger l’environnement forestier, ils soulignent également l’importance de cerner « la répartition mondiale des stocks de carbone forestier existants, ainsi que du potentiel de récupération du carbone si des écosystèmes sains sont autorisés à se rétablir ».
C’est dans cette optique que l’équipe de scientifiques, menée par Thomas Crowther, a souhaité établir un cadre fiable combinant plusieurs approches terrestres et satellitaires permettant « d’évaluer l’ampleur du potentiel mondial de carbone forestier en dehors des terres agricoles et urbaines ». L’étude, à laquelle ont participé des centaines de scientifiques dont quatre du Centre de coopération internationale français en recherche agronomique pour le développement (Cirad), a ainsi mobilisé le plus vaste jeu de données d’inventaires forestiers du monde couplés à des informations satellitaires.
226 Gt de carbone potentiellement capturées
Grâce à cette méthode, les scientifiques constatent que le stockage mondial du carbone forestier actuel est nettement inférieur au potentiel naturel, avec un déficit total de 226 GtC dans les zones à faible empreinte humaine.
« Le chiffre de 226 Gt représente ce que pourraient capturer les forêts du monde, si on les laissait se reconstituer, dans des zones souvent en marge des grands massifs forestiers tropicaux, qui ne sont plus utilisées pour l’agriculture et reste libre de toute urbanisation », explique Bruno Hérault, chercheur en écologie forestière au Cirad.
« Environ 61 % de ce potentiel peut être atteint en protégeant les forêts existantes, de manière à ce qu’elles puissent se reconstituer jusqu’à maturité. Les 39 % restants peuvent être obtenus en reconnectant les paysages forestiers fragmentés grâce à une gestion durable des écosystèmes et à la restauration ».
La biodiversité : facteur-clé du développement forestier
En outre, les chercheurs établissent le rôle-clé de la biodiversité, représentant environ la moitié de la productivité des forêts mondiales. Pour atteindre ce plein potentiel de séquestration, il est donc primordial que les efforts de restauration incluent une diversité naturelle d’espèces végétales et animales. Les pratiques d’agriculture, de sylviculture et de restauration durables qui favorisent leur développement présentent donc le plus grand potentiel de capture du carbone.
L’équipe du GFBI insiste toutefois sur la combinaison de plusieurs leviers d’action face aux crises environnementales actuelles. Si la protection et la régénération du couvert forestier constitue un véritable espoir de captation de carbone, elles vont inévitablement de pair avec la réduction des émissions liées aux combustibles fossiles. Et pour cause : « si les émissions de combustibles fossiles continuent d’augmenter, la capacité des écosystèmes à capter et stocker le carbone sera menacée par des facteurs induits par le changement climatique tels que l’augmentation des températures, la sécheresse et les risques d’incendie », rappellent les chercheurs.
Pour une restauration responsable
De plus, « la nature dynamique et vulnérable des forêts souligne l’urgence de conserver les écosystèmes existants pour maintenir leur potentiel de puits de carbone et souligne la nécessité urgente de respecter les engagements de non-déforestation lors de la 26e Conférence des parties des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26), y compris les engagements du secteur privé mettre fin à la diminution des forêts dès 2025 ».
Thomas Crowther attire également l’attention des acteurs publics et privés sur la nature des mesures de restauration, qui « n’est pas une question de plantations massives d’arbres pour compenser les émissions de carbone ». Cette démarche doit au contraire viser à restaurer différentes fonctions environnementales du milieu, comme la nature des sols, la biodiversité abritée ou encore les régimes hydriques. « Il est donc vital de considérer les fonctions majeures de production des écosystèmes forestiers qui génèrent de l’emploi et des ressources à ces populations », ajoute Plinio Sist, directeur de l’unité Forêts et sociétés.
Au programme : agroforesterie, sylviculture et permaculture durable
En pratique, la restauration peut prendre de nombreuses formes, « notamment la protection des terres pour permettre la récupération naturelle de la végétation, l’amélioration du microbiome du sol, la plantation d’enrichissement ou la réintroduction d’animaux sauvages », soulèvent les chercheurs. De même, la restauration forestière écologiquement responsable n’inclut pas la conversion d’autres types d’écosystèmes naturels, tels que les prairies, les tourbières et les zones humides, qui sont tout aussi essentielles.
Finalement, les scientifiques appellent également les acteurs publics à considérer les défis sociaux, politiques et économiques complexes qui bordent la protection et la restauration des écosystèmes forestiers, afin de déployer des politiques de gestion des terres « donnant la priorité aux droits et au bien-être des communautés locales et des peuples autochtones ».
– L.A.
Photo de couverture : Agroforesterie à Karaoky Vangaindrano. Flickr