Hôpitaux : le prix du monopole des multinationales sur la détection incendie

Ancien commercial à Siemens, spécialisé dans les systèmes sécurité incendie (SSI), Joseph alerte sur des dépenses qu’il juge anormalement excessives dans les hôpitaux en matière de détection incendie. Les principaux fournisseurs pointés du doigt sont trois constructeurs : Siemens, Chubb et Def. Ceux-ci font preuve d’une attitude monopolistique favorisant indirectement l’endettement excessif et la dégradation du système hospitalier. Témoignage sur le terrain.

Joseph dénonce frontalement les pratiques anticoncurrentielles et déloyales de ces trois fournisseurs. Parmi elles, Siemens coupable de plusieurs affaires d’ententes et de corruption. Ces entreprises fournissent en détection incendie la majeure partie des établissements publics de santé de France : « Certains hôpitaux et d’autres établissements publics émettent des appels d’offres limités à l’extrême. »

Tout ceci dans le but, selon lui, de déployer un monopole sur la détection incendie : « Ces trois constructeurs influenceraient certains donneurs d’ordres publics pour imposer le fameux critère niveau 4 réservé uniquement aux constructeurs sur la détection incendie pour être sûr d’être les seuls à pouvoir répondre aux appels d’offres. »

Trop souvent, certains groupements d’achats des hôpitaux réalisent des lots par constructeurs et non par secteurs géographiques ce qui avantage ces trois entreprises. Ainsi, ils ne se font pas concurrence et ont juste à se partager les lots. De plus en plus de marchés publics sont attribués à une seule offre dépassant le million d’euro : « Ces 3 constructeurs pratiquent des marges qui dépassent les 50% pour atteindre les 90% dans nos hôpitaux ! Un technicien bac+2 Siemens est facturé autour de 150 € de l’heure. Une seule heure de ce technicien de « luxe » payerait une journée d’une infirmière bac+3 ! Qui est le plus utile dans un hôpital, ce technicien Siemens ou cette infirmière mal payée ? »

Des questions qui restent pour l’instant sans réponse. Une chose est certaine, les services de sécurité incendie des hôpitaux de France sont également en colère et expriment depuis plusieurs années le manque de moyen interne avec des missions imposées de plus en plus diverses et s’éloignant dangereusement du cœur du métier.

Un licenciement abusif, poudrière de sa révolte contre Siemens

Joseph a vivement protesté contre Siemens après avoir subi un licenciement abusif en tant que cadre en 2011. Après avoir saisi les Prud’hommes, il fait appel au vu de faibles indemnités touchées lors du premier procès. Et il obtient gain de cause. Entre-temps, Siemens attaque la SARL J’NOV de Joseph au Tribunal de Commerce mais là encore il gagne et Siemens finit par être débouté : « Il faut noter que beaucoup de témoignages fournis par Siemens venaient de donneurs d’ordres publics alors qu’ils ont un devoir de réserve. » révèle Joseph.

Siemens n’en est donc pas à sa première condamnation au tribunal au niveau mondial. Pour rappel, il y a 10 ans Siemens a été condamné par un tribunal arbitral à verser 648 millions d’euros à Areva. Une affaire parmi de nombreuses autres : « En France, on ne trouve pas de condamnation de Siemens pour ententes et corruption comme si ces pratiques condamnées se seraient arrêtées à nos frontières. Cela me fait penser au nuage de Tchernobyl qui lui aussi s’était arrêté à nos frontières ! Est-ce que l’État cherche bien ou ferme les yeux ? » sermonne notre lanceur d’alerte. Ces faits sont à l’image de cette entreprise au management répressif à bout de souffle. En effet, Joseph n’est pas le seul à avoir été licencié : « Avant que je sois licencié, il y a eu plusieurs plans sociaux et plusieurs centaines d’employés à chaque fois qui sont partis. On me reprochait sans raison de ne pas faire mes objectifs alors même que mes dépassements d’objectifs m’ont permis de passer cadre en 2008. »

A présent, il a rebondi. Désormais consultant, il facilite le travail des collectivités en mettant vraiment en concurrence ces mêmes fournisseurs de systèmes sécurité incendie. Un bon plan pour les inciter à davantage coopérer : « Siemens et Chubb sont capables de baisser leurs prix de maintenance entre 30% et 67% dès qu’ils sont mis en concurrence », un premier pas. Le consultant a ensuite dénoncé ces pratiques auprès de la DGCCRF (Direction Générale de concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) pendant une audition qui a eu lieu en 2017 : « Une des personnes des fraudes m’a fait comprendre que lorsque cela concernait des multinationales, c’était très compliqué de faire quoi que ce soit. » Une enquête a donc été mise en place avec des perquisitions à la clé. Une fois encore, c’est l’omerta : « Certaines personnes qui étaient prêtes à témoigner malgré le fort risque de représailles n’ont jamais été interrogées. Je ne sais pas pourquoi. Quel est le résultat de l’enquête de l’Autorité de la concurrence ? » Depuis rien ne semble avoir beaucoup changé…

Dernièrement, il a été entendu par la Brigade Financière pendant plus de 6h sur des marchés qui ont été attribués par un CHU à Siemens : « J’ai été attaqué pour avoir dénoncé ces actes en recevant une convocation pour propos diffamatoires. » Le responsable sécurité incendie du dit CHU était souvent invité par Siemens à différents événements dont « une soirée cabaret où le champagne coulait à flot. » Plusieurs questions tiraillent Joseph : « Au final, qui a payé le champagne ? Siemens ou nous les contribuables au travers de marchés publics douteux ? Quels sont les intérêts défendus par ce responsable ? » assène t’il.

D’autres personnes ont témoigné de cette attitude monopolistique auprès d’UFC Que Choisir qui a publié un article sur le sujet. Le journal a alors contacté Siemens qui a nié en bloc les constatations de Joseph en assurant que ces systèmes sécurité incendie sont bels et bien conformes au marché.

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Un problème commun à plusieurs hôpitaux

Joseph nous signale que ce problème s’est généralisé à plusieurs hôpitaux. C’est le cas de ce CHU. Malgré la tempête, la direction de l’hôpital ne réagit pas à cette problématique : « Selon un de leur syndicat, la direction ne veut pas faire de vague pour maintenir la paix sociale. Le responsable sécurité incendie de ce CHU est même allé se plaindre auprès de Siemens. » Quant aux donneurs d’ordres public, ils ont attribué sciemment de nombreux marchés à ces trois entreprises avec une seule offre. Cette corruption est d’autant plus gênante qu’elle concerne l’argent public : « Rien que dans la sécurité incendie, on en est à plusieurs centaines de millions d’euros de dépensés et de gaspillés. » Le plus choquant, martèle Joseph, « c’est qu’il s’agit d’argent public qui va vers des sociétés privées trop souvent étrangères (Siemens et Chubb) alors que le but principal reste d’aider les soignants et les patients qui sont trop souvent des variables d’ajustement. »

Selon les éléments du lanceur d’alerte, il arrive que les constructeurs s’arrangent entre eux pour ne pas se faire concurrence. « Le problème de la sécurité incendie est qu’on ne peut pas faire une partie avec un constructeur et une autre avec un autre constructeur ce qui maintient la dépendance. Les constructeurs décident aussi quels électriciens ils vont privilégier. » s’inquiète-t-il, soucieux de la prison économique dans laquelle s’enferme chaque jour un peu plus certains hôpitaux, volontairement ou non.

Cette problématique fait écho aux difficultés croissantes dont est victime le personnel hospitalier forcé d’évoluer dans des infrastructures en manque d’argent : « Les soignants pourraient mieux travailler dans de meilleures conditions si le budget hospitalier était mieux géré, il y aurait des économies à faire. On fait des appels d’offre très coûteux alors qu’il y a de moins en moins d’argent dépensé pour les employés ! » L’obsolescence des alarmes est une autre stratégie pernicieuse de ces constructeurs. Toutes ces combines font gonfler sérieusement leurs recettes, mais aussi la dette des hôpitaux.

L’AFNOR, une norme contraignante

L’AFNOR renforcerait indirectement le pouvoir de ces lobbies : « Pour participer à la création des normes, il faut payer. » L’association AFNOR se dit au service de l’intérêt général et dans le même temps elle annonce : « Membre de la commission : vous participez directement au développement des normes, et contribuez ainsi à définir les règles volontaires de votre secteur. C’est donc se doter d’un puissant levier pour orienter le marché en faveur des pratiques qui vous semblent préférables. » Ce qui explique en partie pourquoi des constructeurs même étrangers ont tout intérêt à en être membres. De nouvelles normes contraignantes se développent. Elles ont pour objectif de vendre toujours plus de matériel et de services pas toujours dans l’intérêt général, mais dans celui du capital. De quoi s’y perdre.

« Les personnes partenaires sont prises dans un engrenage. Elles font aveuglément confiance aux constructeurs qui font les normes. Elles font parfois partie d’associations elles-mêmes financées par ces trois constructeurs et sont sans doute sous influence. » déplore t’il. La solution serait d’interdire les systèmes fermés et verrouillés dans les bâtiments publics afin de mieux contrôler les dépenses : « Il faut éviter d’être captif et dépendant du constructeur qui pourra en profiter sur les prix pratiqués. » Joseph ajoute qu’aujourd’hui il n’est plus possible de fonctionner en système fermé bien que cela soit encore la norme : « Un client doit pouvoir conserver la maîtrise de son système et pouvoir choisir son prestataire librement sans être pris en otage par ces trois constructeurs ! »

Joseph, lui, continue à faire face à des menaces constantes persuadé que la vérité éclatera. Pour le moment, c’est un silence assourdissant de la part de l’État : « un gaspillage d’argent public sur le dos de nos soignants, des patients et des contribuables… »

Audrey Poussines


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