Imagiland, le nouveau parc d’attraction dédié à l’univers de la BD devrait ouvrir ses portes en 2023, à l’occasion des 50 ans du Festival de la BD d’Angoulême. Un espace géant de 122 000m2 intérieur et extérieur rendu possible par la mise en danger d’une zone humide et de ses espèces protégées… Un paradoxe intenable au regard de la crise écologique.

Un parc d’attraction familial, moderne, pensé dans le respect de la nature et créateur d’emploi, tel a été présenté le projet de ce nouveau parc qui devrait voir le jour sur une ancienne carrière abandonnée LaFarge de la ville de Couronne à proximité d’Angoulême. Des arguments qui font mouche dans ce territoire au contexte économique difficile. Pourtant, le collectif ImagiNon composé d’auteurs, d’écologistes, d’artistes, d’élus, de juristes et de citoyen·ne·s s’oppose au projet qu’ils dénoncent être du greenwashing organisé et un mensonge en terme de rentabilité.

#SauvezLulu l’alouette !

C’est l’alouette Lulu, une des espèces menacées par les travaux qui est aujourd’hui la mascotte des opposants, dans cette zone où depuis 20 ans, la nature a repris ses droits et s’épanouit comme jamais pour le bonheur des riverains. Les photographies en témoignages. On y trouve aujourd’hui un espace humide riche où chauve-souris, reptiles, amphibiens, insectes et oiseaux, parfois protégés ou classés comme espèce déterminante, sont maintenant menacés par le complexe de loisirs et le parc « nature » qui devrait s’installer sur ce même territoire.

Le site d’Imagiland
Le site d’Imagiland

Si le parc parle de « compensation » et de stratégie « responsable » (comme il est désormais de coutume), il est difficile d’imaginer que le compostage des déchets organiques ou l’installation de panneaux photovoltaïques puissent faire oublier la perte inestimable en biodiversité ni la bétonisation des terres agricoles qui va être nécessaire pour la construction du parc. Celui-ci sera d’ailleurs doté d’un complexe hôtelier (un hôtel de 90 chambres avec restaurant, piscine et espaces pros) et des 1 100 places de parking prévues pour accueillir le public. Des terres qui, selon les opposants, auraient pu être exploitées pour une meilleure autonomie alimentaire locale.

De plus, c’est une nature artificielle et reconstituée que nous propose ce nouveau parc puisque sera proposé aux visiteurs une expérience de canyoning dans un espace extérieur de 1 600m2 où plateformes et faux rochers donneront l’illusion d’une escapade naturelle, qui sera complété par un aquarium pour donner artificiellement de la vie au parc ou des figurines du marsupilami remplaceront les grenouilles. Pas certain que la créature fantastique d’André Franquin aurait apprécié de voir cette nature dévastée.

Une opportunité économique pour la région ?

Selon des soutiens du projet, si celui-ci peut-être contesté écologiquement, l’attrait principale serait dans le tourisme et les opportunités d’emploi créées. Ce qui semble une aubaine pour ce territoire en difficulté. Pourtant, ses détracteurs remettent en question les arguments avancés par le parc. Aujourd’hui financé majoritairement par le géant chinois Dragotoon (spécialiste des parcs à thème à travers le monde comme celui sur Lucky Luke à Shanghai) mais également par les collectivités locales, ce complexe comprenant 14 attractions à son ouverture puis une nouvelle par an, dont l’investissement représente 95 millions d’euros (et 15 millions déjà prévus après ouverture) vise 440 000 visiteurs par an sous la gestion de la holding Parexi (exploitant du parc Spirou en Provence) avec un tarif d’entrée probablement entre 28 et 30 euros. Pourtant, selon le collectif ImagiNon, la compétition avec le Futuroscope à 130 km pourrait impacter le nombre de visiteurs. Quant aux 200 emplois que pourraient produire approximativement Imagiland, il serait question d’emplois précaires souvent peu rémunérés et en majorité sous forme de CDD.

Moderne, mais à quelle époque ?

Si Imagiland ne répond pas aux attentes écologiques ni économique des opposants, celui-ci semble également être décrié sur l’image passéiste qu’il transmet de la bande dessinée. Des licences exploitées des années 60-70 de chez Media-Participations (4ème plus grande maison d’édition en France comprenant Le Lombard, Lucky Comics, Dupuis, Blake et Mortimer…) loin de l’univers de la BD d’aujourd’hui, qui se traduit par exemple par l’absence de personnages féminins dans le parc et l’invisibilisation de nouveaux talents dont les œuvres sont souvent produites dans des maisons d’édition moins importantes ou indépendantes. Ce nouveau souffle aurait pourtant été bien accueilli par les habitants d’Angoulême et en particulier les 200 auteurs de BD dont 150 étaient aux RSA en 2019 (chiffre article Charente Libre 23 novembre 2019). Alors pour Lulu l’alouette, pour celles et ceux qui créent les BD de demain, n’a-t-on rien de mieux à imaginer qu’Imagiland ?

– Tiphaine Blot

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Image d’en-tête : « Imagiland » par Emilie Rolquin


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