Si la situation s’est évidemment améliorée pour les femmes (tout au moins en occident) depuis plusieurs décennies, toujours est-il qu’elles sont encore très désavantagées vis-à-vis des hommes. Ce constat se vérifie particulièrement dans le domaine du travail. Démonstration.
Déjà pénalisées par une charge mentale beaucoup plus importante dans la sphère domestique, cibles de sexisme et de harcèlement au travail, les femmes travaillent également en moyenne plus que les hommes, tout en étant beaucoup moins valorisées. Faits à l’appui.
Des salaires plus bas
Ce n’est un secret pour personne, les femmes sont bien moins payées que leurs équivalents masculins. À place et temps égal, dans le secteur privé, la différence s’élève ainsi à 4 %. Un écart qui n’est pas négligeable puisque sur un salaire de 2000 € net, ces 4 % représentent tout de même 80 € mensuels, soit près de 1000 euros par an, sans aucune raison.
Si l’on compare à présent les revenus entre l’intégralité des deux sexes, tous postes confondus, alors les gains de la gent féminine sont inférieurs de 22 %. Une situation que l’on doit pour un tiers des cas à la durée de travail (il y a 27 % de femmes en temps partiel contre seulement 8 % d’hommes). Pour le reste, l’explication réside plutôt dans la nature des emplois, un facteur plus important qu’il n’y paraît.
Des postes moins valorisés, malgré de meilleurs résultats scolaires
Et pourtant, si l’on se réfère à la chimérique méritocratie, les femmes sont bien plus en réussite à l’école et présentes dans les études supérieures. Ainsi, selon un rapport du ministère de l’Éducation nationale, les filles ont un meilleur taux de succès dans toutes les voies du baccalauréat. Sur une génération, 84 % d’entre elles ont reçu ce diplôme contre seulement 75 % des garçons. Elles sont également plus nombreuses à recevoir des mentions. En CAP, il n’y a pas de différence de réussite entre les deux sexes.
D’après ce même rapport, plus de femmes se dirigent ensuite vers des études supérieures : 54 % des femmes ont un diplôme contre 46 % des hommes. Et s’il n’y a pas de disparité entre les deux genres jusqu’à bac +3 (24 % pour les deux), il existe un écart en faveur des femmes au-delà de bac +5 puisqu’il concerne 31 % d’entre elles contre seulement 21 % de leurs homologues masculins.
Les femmes poussées vers les secteurs moins rémunérateurs
Partant de ce constat, il est donc étonnant que les femmes ne reçoivent pas davantage de bénéfices de leurs études. Il faut dire que le niveau n’est pas l’unique critère déterminant. En effet, le secteur de l’emploi a un impact fondamental sur la suite de leur carrière.
Et à ce petit jeu, les hommes sont largement gagnants puisqu’ils choisissent en majorité des branches plus rémunératrices. Ainsi, 44 % d’entre eux optent pour l’ingénierie, les domaines scientifiques, l’industrie ou la production contre seulement 17 % des femmes. À l’inverse, 23 % d’entre elles se dirigent vers des études d’arts, lettres, langues, ou sciences humaines contre à peine 11 % de leurs homologues masculins.
Un contexte installé dès l’enfance
Or, si les femmes préfèrent ce type de parcours, ce n’est pas parce qu’elles sont génétiquement programmées à le faire, mais bien parce que la société est construite de manière à les pousser vers cette voie.
Ainsi, dès le plus jeune âge, les enfants sont confrontés à des stéréotypes de genre auxquels ils vont très vite se conformer. Au début du CP, les élèves ont par exemple un niveau similaire en mathématiques, peu importe leur sexe. Et pourtant, la différence ne cesse de s’accroître au fil des années en faveur des garçons, et ce alors que la science a déjà démontré que ce phénomène ne pouvait s’expliquer par un caractère inné. En français, on observe une tendance exactement inverse.
C’est donc bien la société qui pousse les petites filles à perdre confiance en elles dans les domaines scientifiques et au contraire à s’épanouir dans les langues et les sciences humaines. Selon certaines études, ce processus pourrait également venir en partie du corps enseignant qui a lui-même intériorisé ce cliché et peut parfois le transmettre inconsciemment.
Toutefois, il provient aussi et surtout du manque de représentativité dans la culture normative de figures féminines scientifiques. Non pas qu’il n’en existe pas, mais l’histoire est un objet d’étude profondément humain, une « science humaine » subjective sujette aux prismes de chaque époque qui en fait la narration.
Durant des siècles, l’étude de l’histoire s’est ainsi calquée sur les mœurs dominantes de nos sociétés occidentales, à savoir celles de l’homme soi-disant supérieur, au profit d’une mise en avant d’acteurs du passé uniquement masculins. Les femmes ont ainsi été rendues invisibles dans l’histoire des évolutions sociétales majeures, cultivant ainsi, comme dans un cercle vicieux, leur retrait de ces secteurs.
Des métiers genrés
Certains métiers sont ainsi définitivement associés aux femmes quand d’autres sont vus comme masculins. Et c’est à grand renfort de préjugés que la société donnera également corps à cette vision d’un monde qui n’avait pourtant rien d’inéluctable.
Ainsi, pour correspondre aux standards, une femme devrait se montrer douce, à l’écoute, emphatique et bien sûr à l’aise avec les enfants. Un homme au contraire devra être fort, sûr de lui et rationnel.
Or, les adolescents sont confrontés à ce type de clichés, précisément à la période où ils cherchent à forger leur identité et où leurs réflexions professionnelles commencent. Et même s’ils tentent de se démarquer, ils traversent également un âge où la peur du rejet est prédominante. Pour y faire face, ils vont alors majoritairement faire preuve de conformisme et deviendront donc souvent exactement ce que la société a souhaité qu’ils soient.
Dans ce domaine, les femmes subissent également la double peine puisqu’elles sont bien plus jugées sur leur apparence physique que leurs homologues masculins. Ce qui évidemment entame d’autant plus leur confiance en elles et les dissuade fortement d’emprunter un autre chemin que celui prévu à leur égard.
Pour celles qui auraient l’impudence de s’obstiner dans la « mauvaise voie », le parcours est d’ailleurs semé d’embûches. Une étude de 2018 estimait ainsi qu’une femme qui postulerait pour un métier perçu comme masculin aurait en moyenne 22 % de chances en moins d’obtenir un entretien qu’un homme. Un résultat qui grimpe même jusqu’à 34,2 % pour la fonction de chauffeur-livreur.
Sois mère et tais-toi
Et ce n’est malheureusement pas la seule discrimination dont elles sont victimes au sein du monde du travail. Car dans nos sociétés, malgré un progressisme apparent, une femme reste perçue comme une mère ou comme une potentielle mère.
De cette façon, les instants qu’elle passera à s’occuper de sa progéniture seront une période qu’elle ne pourra pas consacrer à son travail. La durée de la grossesse et du congé maternité sont d’ailleurs également perçus comme des freins à l’activité professionnelle.
Pourquoi, étant donné sa place historique dans nos sociétés, cette nouvelle n’est-elle pas suffisamment anticipée par nos modèles pour être accueillie avec bienveillance et professionnalisme ? De fait, un paradoxe d’ampleur incite à la fois les femmes à faire des enfants (avant 30 ans) tout en les pénalisant pour cette raison du point de vue professionnel (et financier).
La preuve de cette contradiction intériorisée étant que même celles qui ne souhaitent pas avoir d’enfants sont discriminées sur ce critère, dévalorisées dans l’opinion publique d’autant plus si elles sont mariées et dans la trentaine.Une étude démontrait ainsi qu’une trentenaire sans enfants et en quête d’un emploi à temps partiel aurait beaucoup moins de chances d’être rappelée qu’un autre candidat.
Pour ce qui est des promotions et des augmentations, le tableau n’est pas plus reluisant. Comme il est majoritairement appris aux femmes à se faire discrètes et polies au point d’abîmer leur confiance en elles via une sur-conscientisation du regard/jugement d’autrui posé sur elles, il est beaucoup plus difficile pour elles de réclamer une quelconque avancée et surtout de l’obtenir.
D’après des recherches menées au Royaume-Uni sur un groupe de 16 000 adultes, 33 % des femmes ont osé demander une revalorisation salariale contre 43 % des hommes. Parmi ces derniers, 31 % ont obtenu gain de cause contre seulement 21 % de leurs homologues féminines.
Les femmes travaillent plus
Parce que les femmes exercent beaucoup plus d’emplois à temps partiel que les hommes, travaillent-elles moins ? C’est tout le contraire puisqu’on ne prend pas ici en compte les obligations domestiques et le rôle parental.
D’après l’Insee, en France, un père consacre en moyenne 37h15 à son activité professionnelle hebdomadaire, contre 29h05 pour une mère. Cependant, cette dernière passe 10 h 30 de plus par semaine à s’occuper des tâches ménagères et des enfants. Au total, une mère travaille donc 2 h 20 de plus chaque semaine. Rapporté à une année, cela correspond à un peu plus de 17 journées de 7 h de corvées supplémentaires.
En outre, la gent féminine doit également régulièrement assumer ce que l’illustratrice Emma a popularisé sous le nom de « charge mentale », c’est-à-dire le fait de devoir toujours tout organiser dans un couple et a fortiori dans une famille.
une femme sur trois a déjà subi un harcèlement ou une agression sexuelle au travail.
Dans le milieu professionnel, elles devront aussi bien souvent fournir beaucoup plus d’efforts pour être reconnues à leur juste valeur et être prises au sérieux. Pour couronner le tout, une femme sur trois a déjà subi un harcèlement ou une agression sexuelle au travail.
Un travail peu valorisé
Le plus tragique dans cette situation demeure dans le fait que malgré ces inégalités criantes, le labeur des femmes n’est absolument pas valorisé. D’abord d’un point de vue financier, puisque seules les tâches réalisées dans le cadre de l’emploi sont payées. Alors qu’elles travaillent pourtant plus que les hommes elles sont toutefois moins bien rémunérées.
C’est d’autant plus le cas à la fin de leur vie puisque beaucoup d’entre elles voient leur carrière amputée par l’arrivée d’enfants dont elles sont encore les premières à s’occuper. Inévitablement, ce phénomène jouera sur leurs pensions de retraite qui seront donc plus faibles. Pire, ce manque à gagner peut entraîner une dépendance financière envers un conjoint que certaines ne pourront pas quitter pour cette raison, et ce même s’il devient violent.
Le déficit de valorisation des tâches domestiques transparaît d’ailleurs dans nos sociétés puisque les personnes qui exercent ces missions en tant qu’activité rémunérée (agent.e d’entretien ou garde d’enfants par exemple) sont extrêmement mal payées. Une manière pour nos modèles de montrer qu’il ne s’agit pas de « vrais métiers » et surtout que ces tâches doivent rester dévolues aux femmes. Ainsi, dans le monde du nettoyage, 80 % des salarié.es sont des femmes.
Le prestige, un privilège d’homme
Plus globalement, si les femmes touchent moins que les hommes, c’est avant tout parce qu’elles occupent des emplois jugés moins importants par notre paradigme. Pour les postes à responsabilité, la différence de salaire peut éventuellement parfois se justifier. Il faudra ici plutôt souligner le fait que la société incite les femmes à s’éloigner des zones de pouvoir pour que ce privilège reste confié aux hommes.
Pourquoi certains secteurs sont-ils bien plus valorisés que d’autres, aussi bien au niveau pécuniaire que de la réputation ? Les domaines très prisés des femmes (comme le domaine littéraire par exemple) n’ont fondamentalement pas moins d’utilité que ceux affectionnés par les hommes.
On compte pourtant bon nombre de « jobs à la con » ou bullshit jobs avec très peu d’intérêt pour la société qui sont extrêmement bien vus et bien payés, au contraire de professions méprisées, bien qu’indispensables, comme celles de la propreté ou de l’alimentation.
En réalité, si les emplois choisis massivement par les femmes sont mal rémunérés, c’est peut-être aussi précisément parce qu’ils sont exercés par les femmes. Une façon de faire comprendre que leurs tâches valent bien moins que celles du genre dominant.
De fait, dans une société patriarcale, le prestige doit rester associé aux hommes. Cette façon de penser, consciente ou inconsciente, n’est pas sans conséquence. D’après la « théorie de la pollution » émise par l’économiste Claudia Goldin, certains hommes tiendraient tellement à conserver leur position qu’ils se mettraient à quitter une profession réputée lorsque celle-ci commence à se féminiser.
Cette logique de domination n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle du capitalisme néolibéral pour qui tout le monde doit entrer en concurrence avec tout le monde tout en sauvegardant l’ordre établi. Bien évidemment, là aussi, le but est surtout de permettre aux puissants de se maintenir en place. Dans ce système, les règles du jeu sont biaisées et chacun ne part pas sur un pied d’égalité. En particulier les femmes.
– Simon Verdière
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Photo d’entête @delia-giandeini/Unsplash Grève féministe suisse de 2019, slogan syndicaliste.