Le jour du dépassement était particulièrement médiatisé en juillet dernier. Quelques semaines plus tard, c’étaient les incendies géants ravageant les forets du monde qui prenaient la tête de l’actualité, d’abord en Sibérie, puis en Amazonie et ailleurs. Si une actualité choc semble en remplacer une autre, n’est-il pas temps de ne rien oublier et de faire les liens entre ces observations ? Depuis les incendies jusqu’au jour du dépassement de plus en plus précoce, tout semble lié.
Personne n’a pu échapper à cette dramatique information : les forêts du monde sont en flammes depuis plusieurs semaines et chacun retient son souffle en attendant la fin de l’été. Outre l’Amazonie, la forêt de « Chiquitania » en Bolivie est touchée, ainsi que la forêt d’Afrique subsaharienne et une large partie de la taïga sibérienne, sans oublier des feux « locaux » ravageurs un peu partout sur la planète. Au delà de l’évidente catastrophe écologique d’envergure, il est plus qu’intéressant de replacer cette actualité dans le contexte global de l’année 2019.
D’après l’ONG Global Footprint Network, l’humanité a consommé la totalité des ressources renouvelables sur une année le 29 juillet dernier. Cette date survient près d’un mois plus tôt qu’en 2012, et deux mois plus tôt qu’il y a vingt ans. Très largement relayée sur les réseaux sociaux, dans les milieux écologistes mais également dans la sphère politique, cette date semble être devenue le symbole de notre fuite en avant collective. Mais comment cette donnée est-elle mesurée ?
Sur le papier, le calcul est plutôt simple. Il s’agit d’effectuer le rapport entre la biocapacité de la planète, c’est à dire sa capacité de production en ressources et en fixation de CO2 ; et l’empreinte écologique de l’humanité. On obtient ainsi un ratio qui permet de déterminer avec précision la date à laquelle toutes les ressources renouvelables sont épuisées. Après cette date, nous prenons davantage que ce que la terre peut nous donner, générant une dette écologique de plus en plus profonde.
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Le rapport avec nos catastrophes naturelles actuelles
Dans un article paru en 2018 dans NewScience, Mathis Wackernagel (président de Global Footprint Network) compare la dette écologique au plus vaste système de Ponzi de tous les temps : la pérennité de ce système ne repose que sur la capitalisation du futur. Ce système est donc voué à s’effondrer dans un paradigme où l’espace et les ressources sont limitées. Or, l’industrialisation et le marché, bien loin de ralentir, semblent plus que jamais donner la cadence dans un monde qui ne jure que par la croissance et le mythe assumé que celle-ci pourrait être infinie, notamment grâce aux améliorations techniques. D’après Wackernagel, les symptômes de l’éclatement de la bulle écologique seront : l’effondrement des populations de poissons, l’érosion et l’appauvrissement des sols, l’assèchement des nappes phréatiques, et bien entendu, une chute drastique des surfaces forestières.
La plupart de ces symptômes sont d’ores et déjà observables, et de nombreuses ONG tirent la sonnette d’alarme dans leurs domaines respectifs. Cette année 2019 est tout particulièrement catastrophique au niveau des surfaces forestières, une de ces bulles écologiques. En effet, le président du Brésil Jair Bolsonaro n’a jamais caché son dédain pour le poumon de la planète et ses autochtones, mais de récents documents viennent officialiser ses positions profondément anti-écologiques. Ces incendies semblent tomber à pic dans un pays où la demande en surface agricole ne cesse d’augmenter (monocultures intensives et élevages…).
Nous avons donc actuellement un préambule très visible illustrant ce que Global Footprint Network nous annonce depuis plusieurs années. Leurs calculs, basés sur les données de l’ONU et consultables sur cette page, indiquent que la demande en espaces productifs nécessaires à l’humanité est de près de 20,9 milliards d’hectares (à noter que le terme « d’espaces productifs » comprend la production de nourriture, de bois, mais également les surfaces fixatrices de CO2 atmosphérique comme les forêts et les océans). Or, la surface totale pouvant véritablement être exploitée à ces fins de façon durable sur notre planète n’est que de 12,2 milliards d’hectares. L’humanité utilise donc l’environnement 1,7 fois plus vite que ce qu’il est capable de régénérer. Avec ces récents incendie, la dette écologique est soudainement davantage alourdie. Le bilan 2020 risque ainsi d’être, par voie de conséquence, pire encore.
Tous ces éléments sont les annonciateurs de la fin du système de Ponzi sur lequel reposent les sociétés occidentales. Que ce soit l’effondrement de la biodiversité ou la diminution des surfaces forestières, les compteurs sont désormais au rouge. À noter cependant que le jour du dépassement a reçu des critiques du fait de sa méthode de calcul. En cause : certaines données comme la vitesse d’érosion des sols ou encore la perturbation du cycle de l’eau ont été établies approximativement du fait de la difficulté à les quantifier via les méthodes actuelles. Cependant, malgré les éventuelles imprécisions du modèle, on ne peut que constater que les prévisions de l’ONG collent aux observations actuelles.
Par conséquent, bien qu’à ne pas prendre au pied de la lettre, le jour du dépassement reste un bon outil de communication et de sensibilisation à l’urgence environnementale. Et pour répondre à cette urgence il devient de plus en plus impératif de changer notre mode de consommation destructeur.
Émeric Mahé
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