Produire des fruits et légumes bio aux mille couleurs, faire de l’agroforesterie et, surtout, se passionner pour son travail : c’est le défi que s’est lancé Florian, agro-écologue à Madagascar.
Au sein de Mr Mondialisation, nous essayons de maintenir un équilibre entre journalisme d’information et d’analyse d’une part, et journalisme de solutions, d’autre part, qui valorise les initiatives alternatives au système capitaliste et ses schémas d’oppression. Le courrier de Florian, agriculteur bio à Madagascar, s’est donc présenté comme une brèche respirable, inspirante et constructive idéale à vous partager.
Cette interview est l’occasion de se plonger, l’espace de quelques minutes, dans cet « après » dont on entend tant parler, sans toujours en saisir la substance ni le sens profond.
C’est une manière d’imaginer un modèle agricole soutenable, respectueux des traditions et des cultures locales, mais aussi de la santé des êtres humains comme non-humains. C’est également un moyen de nous rappeler qu’une autre voie est possible et que de plus en plus de personnes se dirigent silencieusement (ou non) vers elle.
Du moins, silencieux à côté du vacarme et de la place prise dans l’espace médiatique par les forces conservatrices et réactionnaires. Enfin, cette interview, c’est l’allégorie de la passion. De la passion pour un travail, mais pas seulement : pour la vie. A travers les mots de Florian, cet « après » semble tangible. Une bouffée d’air, plus que nécessaire dans l’actuelle ambiance délétère.
Mr Mondialisation : Bonjour Florian, est-ce que tu peux te présenter à nos lecteurs et lectrices ?
Florian : Après avoir eu ma licence d’écologie à Paris 11, je suis parti un an au Sénégal. Je pensais « aider », j’ai surtout appris. J’ai ensuite poursuivi en master d’écologie et botanique tropicale, ce qui m’a permis de partir au Cameroun la première année et en Polynésie la seconde. J’ai toujours eu envie d’entreprendre quelque chose, et s’il y a bien quelque chose que l’on oublie de nous apprendre à l’école, c’est bien l’entrepreneuriat. Je n’aime pas les ventes, ni l’argent, ni le business, mais j’aime faire.
J’ai vainement cherché un boulot, et puis je me suis dit « zut », il faut partir. Et je suis parti ! Je dirais que depuis, je suis devenu un (mini) patron, bien que je n’en apprécie pas plus le terme que ça, qui essaye de partager le plus possible ce que j’ai avec mes employés, mes plantes, mes semences, mon savoir. Et l’argent que je gagne, je le dépense à planter. Je suis désormais producteur de semences à Madagascar et je cultive des fleurs, des légumes, des arbres. Mais aussi un idéaliste rêveur, plutôt de gauche et un peu anarchiste.
Mr Mondialisation : D’où est venue cette envie de devenir agriculteur à Madagascar ?
Florian : Je ne suis pas devenu agriculteur par passion, ni envie. C’est un peu par la force des choses. Après plus de 600 CV envoyés en France suite à l’obtention de mon master, je n’ai eu qu’une seule réponse positive pour faire du volontariat à Madagascar dans une association. Je devais « apprendre aux agriculteurs à cultiver selon les préceptes de l’agroécologie, et monter un site vitrine d’agroécologie ». Moi qui ne savais à l’époque pas planter une salade ni une pomme de terre. Vous saisirez l’ironie.. bien que cette expérience ait changé le cours de ma vie ! J’ai d’ailleurs gardé de très bons contacts avec les personnes de cette association.
Encore une fois, j’ai appris. Beaucoup. J’ai rencontré ma future femme, qui était fille de paysan dans mon village. Ils n’étaient pas bien riches, même pas du tout. J’ai finalement appris le travail de paysan avec ma belle famille. J’ai acheté un petit bout de terrain de 180 m2, suffisant pour commencer des essais, où j’ai fait orgueilleusement tel que je pensais bien faire et, sans jeu de mot, je me suis bien planté. Puis j’ai suivi les conseils de ma belle mère, et ça marchait bien mieux. Au troisième jet, et jusqu’à maintenant, j’ai mélangé les deux, en mettant toujours d’abord en avant la pratique paysanne malgache, ensemencé d’idées écologiques et de techniques que je décrirais après.
Pour résumer, faute de pouvoir faire ce que je voulais au départ, à savoir protéger les forêts tropicales, je suis devenu par défaut agriculteur à Madagascar. Par la force des choses, par la force de l’amour … et cela m’a aussi permis de renouer avec mes premières passions, l’écologie et les forêts car je cultive des arbres et des espèces endémiques.
Mr Mondialisation : Tu as fait le choix de ne pas labelliser tes produits « biologiques ». Pourquoi ?
Florian : Il paraît que les tarifs de labellisation bio ont diminué depuis quelques années dans le pays, mais cela reste toujours cher. Je ne comprends pas cette manie de faire payer aux producteurs et aux consommateurs la non-utilisation de produits chimiques. Le vieux dicton « pollueurs payeurs » me parait bien plus sensé.
J’ai aussi la chance d’avoir une belle communauté Facebook qui me suit et le bouche à oreille, les partages, ont fait le reste. A ceux qui m’ont demandé l’assurance que je ne traitais rien, j’ai simplement répondu que si la moindre trace de produit de synthèse était trouvée sur mes semences, je leur offrais mon entreprise en retour. C’est impossible car je n’ai jamais rien utilisé en 7 ans. Ce qui m’a valu de nombreux échecs, mais aussi de belles réussites !
Mr Mondialisation : La collection de semences locales est également un de tes fers de lance. Peux-tu développer pour nos lecteurs ?
Florian : J’ai commencé la première année à cultiver des légumes « rigolos et sexy », à travers l’idée d’une ferme aux mille couleurs. C’est d’ailleurs le nom de ma ferme :
cette idée est née du fait que ma femme adore le violet, et que je voulais l’intéresser à faire ce que moi j’aimais.
J’ai cherché des légumes violets, j’en ai trouvé de toutes sortes et, finalement, aussi de toutes les couleurs. Au départ, je voulais vendre des légumes multicolores. A Madagascar, la diversité des variétés des fruits et légumes est devenue très faible et peu nutritive, à cause de la standardisation des semences. La clientèle n’était pas habituée à nos produits et cela a donc été un échec. Alors j’ai commencé à produire des semences, afin que ce soient nos clients qui produisent leurs propres légumes « rigolos et bizarres ». Ça a plutôt bien marché.
Fort de cette expérience, j’ai commencé depuis deux ans à collectionner aussi les variétés malgaches. Le travail est plus simple car les variétés sont déjà parfaitement adaptées à Madagascar, puisque 100% locales. Mais c’est aussi compliqué, car les variétés locales sont peu valorisées et n’intéressent pas la clientèle que nous avons.
Je me suis entre autres passionné pour les haricots qui, d’après une amie qui travaille au ministère de l’agriculture, comptaient pas moins de 600 variétés dans le pays. Pour moi, sauver ces variétés locales de l’oubli et en faire une banque de graines, c’est aussi sauver une partie de patrimoine humain, c’est sauver le travail d’un peuple qui a sélectionné, créé ces variétés, totalement adaptées à Madagascar ; au détriment de variétés importées qui, elles, nécessitent de nombreux traitements car non adaptées localement.
Je commence aussi à tâtonner sur les récoltes de semences endémiques d’arbres et de fleurs malgaches pour deux desseins: après les avoir cultivées, les semences pourront être vendues, soit pour réinvestir les villes avec une biodiversité locale quasi disparue et ainsi prendre à contre courant le processus d’anéantissement de la biodiversité dans les villes. Le deuxième objectif ? Avoir des pieds semenciers d’espèces endémiques et locales afin d’en avoir à disposition lorsque des processus de reboisement prenant en compte les espèces locales auront lieu, si ces espèces ont disparu. Sur ce second point, je sais qu’il est mille fois plus utile de conserver une forêt que d’en replanter une, mais je n’ai pas les moyens de le faire.
Mr Mondialisation : A côté de la sélection de semences rares et de la culture, tu es aussi investi dans l’agroforesterie.
Florian : Effectivement, l’agroforesterie est un point extrêmement important pour moi. Il me permet égoïstement de renouer mes premiers amours, les forêts, et avec mon travail, l’agriculture. J’ai essayé d’inventer des systèmes, qui ne sont pas 100% inédits, mais sur lesquels j’ai brodé et innové, afin d’intégrer les arbres et arbustes dans nos parcelles. Pour le moment, les deux formes d’agroforesterie les plus abouties que j’ai mises en œuvre sont l’agroforesterie fourragère et humifère.
L’agroforesterie fourragère, ça consiste à planter des arbres et des arbustes comestibles pour les vaches. Là-dessus, je n’ai rien inventé, cela existait et existe encore un peu en France, et j’ai connu la grande majorité des arbres que j’ai intégré à mes plantations en parlant avec les gardiens de zébus un peu partout dans le pays. Ce qui est drôle de constater, c’est que lorsque je posais la question : « quels arbres consomment les zébus ? ». On me répondait sans cesse que les zébus ne consomment pas d’arbres. Mais lorsque je demandais précisément « vos zébus mangent-ils cette plante ? », en désignant un arbre, alors on me disait oui ou non. C’est ainsi que j’ai pensé à planter des forêts fourragères (5000 arbres cette année) afin, encore une fois, de prendre à contre courant ce qui a lieu ici : la destruction des forêts. Évidemment, bien que certaines essences ne soient pas d’ici, j’essaye aussi de miser sur les espèce locales et endémiques: le dingadingana, les afotra (dombeyas), baobabs, tsilavina, voala hiroa dont l’espèce reste à déterminer, voamerika … Une cinquantaine d’espèces à ce jour, locales, endémiques ou importées.
Le deuxième type d’agroforesterie, celle que j’ai qualifié d ‘humifère, consiste à planter des arbres ou arbustes locaux pour produire de l’engrais vert en grosse quantité. Le plus efficace de tous, pour moi, est le tithonia diversifolia que l’on trouve un peu partout à Madagascar, considéré comme une mauvaise herbe, mais pouvant produire 200 tonnes de matière verte par an. Il est deux fois plus riche que le fumier de vache, pérenne, et repousse très facilement après les coupes. Mais il y a aussi le tephrosia, le cassia spectabilis, le flemingia, ou encore le vernonia. Ces arbres sont plantés en haie vive dans mes champs, à raison d’ une haie vive toutes les 3 plates bandes de 1,2 mètre de large. Ces haies vives n’ont pas vocation à devenir immenses, elles ne doivent pas dépasser les 1,5 à 2 mètres de haut afin de ne pas gêner les cultures. Elles sont coupées tous les deux à quatre mois suivant la période de l’année, afin d’en faire soit du compost (en bout de ligne afin de limiter la logistique de transport), soit du paillage vert. C’est pourquoi j’ai choisi d’intégrer des arbres à la décomposition de la matière verte très rapide (une semaine pour le tithonia et le vernonia), moyennement rapide (1 mois pour le tephrosia et le cassia), et lente à très lente (flemingia, bauhinia): la matière verte se décomposera progressivement en enrichissant le sol presque dès l’installation du paillage jusqu’à plus de 6 mois après. Cette technique me permet d’être indépendant en engrais.
Mr Mondialisation : Un dernier message à transmettre à nos lecteurs ?
Florian : Faites vous plaisir ! Bosser à en être heureux, c’est magique. Et soyez libres et indépendants. Quels qu’en soient les sacrifices. Moi cela m’a coûté mon pays, mes amis et ma famille, le confort aussi. Mais j’aime ma vie, aussi dure soit elle. Et c’est un luxe que de moins en moins de personnes ont : se faire plaisir au boulot.
-Propos recueillis par Camille Bouko-levy
Pour suivre Florian et sa ferme aux milles couleurs : la page de la ferme ; la page professionnelle de Florian ; ainsi que la page de vente.