A l’instar du réchauffement climatique, la fonte du pergélisol reste souvent perçue comme un vieux serpent de mer agité par des écologistes en colère, et l’objet fréquent d’articles alarmistes, sans doute à raison. Car le pergélisol est une véritable bombe à retardement dont le décompte a commencé depuis plus de 20 ans. Si l’incertitude plane sur la progression du phénomène, les dégâts qu’il provoque sont bien réels. Dans le Grand Nord, 4 millions de personnes, leurs villes, leurs économies et leurs territoires font désormais les frais de cette bombe souterraine. Alors que GIEC (Groupe des experts Intergouvernemental sur l’Evolution du climat) a rendu une partie de son rapport sur l’impact du changement climatique, il est grand temps d’envisager des solutions au niveau local et individuel pour freiner le thermostat. Le point sur un phénomène urgent trop souvent survolé.

Le pergélisol (ou permafrost en anglais) désigne un sol perpétuellement gelé dans les régions polaires – cette couche du sol située entre 15 à 250 cm de profondeur.

La plupart de ces sols datent de la fonte des calottes glaciaires il y a 8 000 ans. Au total, le pergélisol recouvre 30 millions de km² dont la moitié en Sibérie, au Canada et en Alaska, et accueille 3 à 4 millions d’habitants.

Si la presse fait souvent choux gras des virus et microbes congelés sous terre, le risque de pandémie liée à la fonte des sols est mineur.

« Le risque zéro n’existe pas, mais nous n’en sommes pas loin. Les dangers de la fonte des glaces sont plus à chercher dans la libération potentielle de gaz à effet de serre ou dans la montée des eaux que dans celle d’un risque de pandémie »partage Jean-Claude Manuguerra, virologue à l’Institut Pasteur. 

 

Des congélateurs à carbone

Ces terres gelées retiennent d’immenses quantités de carbone : environ 1 700 gigatonnes, le double du carbone déjà présent dans l’atmosphère et le triple des émissions humaines depuis 1850.

Outre le CO₂, le pergélisol contient aussi du méthane, un gaz à l’effet de serre 25 fois plus puissant que le dioxyde de carbone – même s’il perdure 12 ans dans l’atmosphère contre des siècles pour le CO₂.

La fonte du pergélisol est un cercle vicieux : la hausse des températures accélère le dégel des sous-sols, libérant des gaz à effet de serre qui réchauffent l’atmosphère … Mais ce dégel est dur à prévoir tant l’influence des facteurs qui jouent sur le phénomène augmente à mesure que la planète se réchauffe. La survenue d’événements climatiques plus extrêmes ( fortes pluies, feux de forêts libérant massivement du carbone,…), la perturbation du cycle de l’eau et des saisons, etc. accélèrent tous la fonte des glaces. Une bombe à retardement dont le décompte s’égrène de plus en plus vite.

Pergélisol discontinu – Yukon 2012 – COPER group of the Alfred Wegener Institute in Potsdam @Boris Radosavljevic/Flickr

Quelques semaines seulement après la parution du 2e volet du rapport du GIEC, une étude britannique publiée dans Nature jette encore un froid parmi les chercheurs : les tourbières de permafrost en Europe et en Sibérie pourraient commencer à fondre dès 2040 – des terres qui contiennent actuellement 39 milliards de tonnes de carbones, soit le double du volume de carbone stocké par l’ensemble des forêts mondiales…

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Dans leur étude, les scientifiques ont élaboré différents scénarios selon les efforts fournis par les pays pour réduire leurs émissions de gaz. D’ici 2060, le permafrost d’Europe (Scandinavie, partie occidentale de la Russie) et de Sibérie pourrait fondre de 75% en cas d’efforts modérés … et de 81% à 93% en cas d’efforts limités, voire nuls.

@NASA Earth Observatory by Joshua Stevens, using Landsat data from the U.S. Geological Survey. Story by Adam Voiland.

Pour rappel en 2019, le GIEC prévoyait une fonte des pergélisols lente et graduelle d’ici 2100 dans le cadre d’un réchauffement global de +1.5°C, un scénario probablement à écarter…

 

Des explosions géantes de méthane

Car elles connaissent déjà une hausse des températures, les tourbières d’Europe pourraient amorcer leur dégel avant celles de Sibérie, annoncent les auteurs de l’étude.

Une menace pour 70% des routes, gazoducs, oléoducs, villes et usines bâties sur ces sols, et une épée de Damoclès pour les 4 millions de personnes qui les peuplent. Dans l’Arctique russe, près de la moitié des champs pétroliers et gaziers sont situés dans des zones à risques par le permafrost.

En 2020, près de Norilsk en Sibérie, une citerne s’est brisée quand ses fondations se sont enfoncées dans le sol … déversant 20 000 tonnes de gazole dans les rivières alentour.

Dans la toundra sibérienne, le dégel cause même des explosions soudaines de méthanes, à l’origine de cratères gigantesques.

« Lorsque mes collègues ont entendu parler pour la première fois de tous les débris qui gisaient à des centaines de mètres du cratère, ils ne pouvaient pas croire que c’était un processus naturel » confie Evgueni Tchouviline, chercheur en chef au Centre d’extraction des hydrocarbures de l’Institut de science et de technologie de Skolkovo. Durant l’été 2020, celui-ci a mesuré un cratère profond de 30 m et large de 20. Selon le chercheur, c’est le 17e cratère de ce type présent en Sibérie. Ces événements ne sont qu’une infime partie émergée de l’iceberg.

 

4 millions d’habitants menacés

Ces dernières années, le dégel a rendu de nombreux sols instables, causant la fermeture d’écoles dans le Yukon canadien et des dommages aux pistes de l’aéroport international Iqaluit, au Nunavut.

Dawson City. Maisons affaissées à cause de la fonte du pergélisol @martescam/Marthe

La fonte des sols menace aussi certains sites archéologiques comme la côte de Beaufort au Yukon et le Parc Naturel du Auyuittuq au Canada. De fait, c’est tout l’écosystème arctique dans chacune de ses dimensions qui est menacé…questionnant la survie de ses populations.

Le GIEC rapporte qu’en Alaska, certaines communautés prévoient déjà de se reloger suite à la hausse des eaux liés au dégel des sols. En Sibérie, ce même phénomène a fait déborder la rivière Alazaya en 2007, augmentant les risques de maladies gastro-intestinales pour les tribus alentours considérées à l’époque comme les « premiers réfugiés climatiques ».

La fonte du permafrost accroit aussi la dégradation des économies et modes de vies de ces tribus nomades. Mais si le tableau est sombre, rien n’est encore perdu, estime Richard Fewster, chercheur de l’Université de Leeds responsable de l’étude publiée dans Nature le 14 mars. Dans l’état actuel des choses, des mesures drastiques pourraient aider à sauver 35% des terres gelées en Europe et Sibérie occidentale

 

De la désillusion à l’action

Compter sur l’action autonome et motrice des gouvernements est sans doute inutile. Bien sûr, certaines initiatives ont déjà été lancées. C’est le cas du projet de Zimov, une réintroduction de chevaux et d’herbivores dans la toundra pour compacter les sols et empêcher son dégel. Mais contre l’impact de notre modèle de société sur l’environnement, nous avons tout intérêt à réinvestir notre pouvoir citoyen et collectif.

Rien qu’en France, les émissions d’équivalent CO₂ avoisinent les 11 tonnes par habitant depuis environ une vingtaine d’année. Un volume stable mais incompatible avec l’urgence du réchauffement de la planète en deçà des 2°C prévus par les accords de Paris d’ici 2050. L’objectif ? 2 tonnes par habitant en France ; un doux rêve, diraient certains. 

Pourtant, un élan domestique couplé d’actions citoyennes fortes peuvent faire la différence. Bien sûr, l’effort individuel est important : se fournir en vrac et circuit-court, cultiver une autonomie alimentaire et solidaire, privilégier une alimentation végétale, s’habiller en seconde-main et opter pour un mode de vie globalement plus sobre sont des initiatives plus saines pour soi et l’environnement. Mais le geste citoyen est indispensable : notre rôle d’influence ne se limite pas à notre consommation, mais peut et doit se jouer sur le terrain politique au sens de gestion de la « cité ». Rejoindre des Jardins ou Zones à Défendre, se réapproprier l’espace public, créer des espaces partagés, lancer des actions en justice, rejoindre et renforcer des associations comme Extinction Rebellion, occuper, refuser, inventer, imposer, remplacer,… La lutte paye !

Si le changement climatique est d’envergure, il nous force à puiser dans nos ressources pour vivre mieux autrement… grâce à notre créativité, notre envie de coopérer et nos facultés d’adaptation.

– Oscar HART

Quelques liens pleins de ressources pour réduire son empreinte carbone domestique :

Sur le plan citoyen, (re)lire pour agir :

Photo de couverture @ Hannes Grobe 21:14, 26 October 2007 (UTC) Stone rings of permafrost — Svalbard region, northernmost Norway./Wikicommons

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