Une nouvelle étude menée par Alex Gardner, chercheur à la NASA, et son équipe de spécialistes internationaux, basée sur des données fournies par l’agence spatiale, a permis de cartographier avec précision le phénomène de fonte des glaces en Antarctique. Les résultats sont aussi graves qu’on pouvait l’imaginer. Mais à présent, le scientifique et son équipe espèrent que ces images, plus précises, pourront aider à anticiper les conséquences de la montée des eaux sur les continents auprès des populations et structures concernées, dont la disparition de nombreuses îles françaises.
De nouvelles données fournies par la NASA
En recoupant un très grand nombre d’images et de données-satellites récentes fournies par la NASA, les scientifiques de l’Administration nationale de l’aéronautique et de l’espace ont ainsi pu tirer une image très précise des mouvements de la calotte glaciaire et ainsi étudier avec précision le phénomène de fonte des glaces en Antarctique. Les résultats publiés dans le journal scientifique The Cryosphere pourront alors servir de fondements pour de nouvelles études et à la création de modèles scientifiques nécessaires pour obtenir des projections sur la situation future, mais aussi alerter sur les risques encourus pour l’humanité.
Les résultats ainsi obtenus confirment donc les conclusions et intuitions des précédentes études : la fonte des glaces de l’Antarctique, principalement à cause du réchauffement climatique, de l’effet de serre et des éminences de CO2, vient alimenter la hausse du niveau des mers. Pire, les résultats obtenus par l’équipe d’Alex Gardner mettent en avant une accélération – jamais mesurée jusqu’à aujourd’hui – de la fonte des glaces sur la côte Ouest et Sud-Ouest de l’Antarctique.
New NASA study confirms accelerating ice losses in West Antarctic Ice Sheet and reveals a steady flow of ice in East Antarctica. https://t.co/s9yAi6lwhr pic.twitter.com/GfhqnlBHF9
— NASA Earth (@NASAEarth) February 20, 2018
Les scientifiques mesurent ainsi une forte accélération de la fonte de la « barrière de glace de Getz » une couverture de glace longue de plus de 500 km et d’une largeur allant de 30 à 100 km, bordant la côte sud-ouest de l’Antarctique. La couche de glace s’étant affinée avec le temps, elle est aujourd’hui encore plus sensible au phénomène. À l’instar du permafrost, on semble observer une sorte d’emballement du phénomène. Ils constatent également une accélération record, probablement due au réchauffement des océans, de la fonte des glaciers de la baie de Marguerite sur la période 2010-2017. Ils ont aussi pu mesurer la constance à laquelle fond l’Est-arctique (bien plus large que l’Ouest) et ainsi confirmer les anticipations de la communauté scientifique sur le sujet.
Au total, la fonte des glaces de l’antarctique représenterait environ 1929 gigatonnes en 2015, soit une hausse d’environ 36 gigatonnes par an depuis 2008. La fonte de l’ouest antarctique (le secteur de la mer d’Amundsen, la barrière de glace de Getz et la baie de Marguerite) représenterait à elle seule 89% de ce phénomène.
« Nous entrons dans une nouvelle ère »
Alex Gardner, spécialiste de la cryosphère (l’ensemble constitué par les glaces qui sont à la surface du globe terrestre, n.d.l.r), partage les avancées que peuvent offrir cette évolution cartographique : « Quand j’ai commencé à travailler sur ce projet il y a 3 ans, il n’y avait qu’une seule carte rendant compte de la fonte des glaces, publiée en 2011 et construite sur des données collectées sur 10 ans. Ce fût une véritable révolution ! Aujourd’hui on peut cartographier la fonte des glaces chaque année sur tout le continent. Grâce à ces nouvelles données, on va pouvoir commencer à travailler sur les mécanismes sous-jacents à l’accélération et au ralentissement de la fonte des glaces en fonction des conditions environnementales ». (Traduit de l’anglais). On réalise à quel point nous commençons à peine à comprendre le phénomène.
D’après la NASA et les chiffres publiés dans les Comptes-rendus de l’Académie américaine des sciences, l’accroissement de la fonte des glaces au Groenland et en Antarctique serait la principale source de l’accélération du rythme de la montée des océans. Si le phénomène continue, le niveau global des mers s’élèverait de plus de 65cm d’ici 2100. De quoi laisser songeur quand on sait qu’une grande majorité de grandes métropoles se trouvent sur les côtes du monde. Le travail de longue haleine fourni par l’équipe scientifique va permettre d’ouvrir la voie à de nouvelles pratiques scientifiques et à de nouvelles études permettant de mieux appréhender le phénomène et ainsi, pouvoir en anticiper les conséquences notamment pour ces zones côtières menacées.
Le permafrost indique la même tendance :
Extreme #permafrost warming on #Svalbard pic.twitter.com/7KNOUCUGHl
— Ketil Isaksen (@Ketil_Isaksen) January 24, 2017
Une évaluation précise de la montée des mers ?
Quantifier l’élévation du niveau des mers est un exercice complexe tant les incertitudes concernant les paramètres responsables de sa hausse sont nombreuses. Il est en effet très approximatif de pouvoir estimer avec précision cette hausse lorsqu’on ne connaît pas avec certitude le niveau d’émission futur de gaz-à-effet de serre, ou, comme nous l’avons vu précédemment, de la fonte des glaces.
Afin d’apporter une réponse la plus objective possible, Benjamin Horton, Géologiste des Sciences Marines et professeur à l’Université de Rutgers aux États-Unis a décidé de mener un sondage auprès de 90 experts sélectionnés pour leurs niveaux d’implication dans la recherche sur la hausse du niveau des mers (la plus grosse mobilisation scientifique dans le domaine). Les experts ont donc tous publié au moins 6 articles sur le sujet au cours des 5 ans précédents l’étude.
Deux tiers des enquêtés (65%) ont proposés des estimations supérieures à celles du GIEC déjà alarmantes (de 28 à 98cm d’ici 2100). Pour des estimations hautes (à émissions non atténuées, c-à-d si la quantité de gaz à effet de serre émise ne diminue pas) 51% des enquêtés ont proposé au moins 1,5m d’élévation et 27% ont proposé 2m ou plus d’ici 2100. Pour l’année 2300, la majorité des experts (58%) anticipent une hausse de 4m ou plus. La planète entière en serait défigurée.
Des conséquences plurielles devant être anticipées d’urgence
Les zones les plus sensibles à l’échelle humaine sont les grandes villes bordant les littoraux. La hausse du niveau des mers combinée au phénomène d’affaissement des sols (lié à l’urbanisation des littoraux couplée aux processus naturels d’érosion) accentue les risques pour des mégalopoles telles que Tokyo, Osaka ou Shangaï pour qui le niveau de la mer devrait augmenter de 4,3m d’ici 2100, exposant ainsi la moitié de sa superficie à de graves risques d’inondations. D’autres zones tels que le delta de la rivière Rouge au Vietnam, le delta du Mississippi aux États-Unis ou encore Manille aux Philippines sont aussi concernées.
Selon Céline Bellard, Camille Leclerc et Franck Courchamp, chercheurs au laboratoire Ecologie, systématique et évolution (CNRS/Université Paris-Sorbonne), les principales victimes de cette hausse seraient les îles et leur biodiversité. Les scientifiques se sont ainsi intéressés aux 2050 îles françaises de plus d’un hectare, donc susceptibles d’abriter de la végétation et des communautés animales. En croisant les profils de relief de 1269 îles françaises aux modèles d’élévation du niveau des mers, et en tenant compte de la non-homogénéité de cette hausse, ils ont ainsi montré que si le niveau des mers augmenterait de 1m, la France perdrait alors 6% de ses îles et 12% pour 3m d’élévation. Les zones les plus touchées étant les archipels Polynésienne et de Nouvelle Calédonie. En extrapolant leurs résultats, l’équipe de chercheurs estiment que sur les 180 000 îles que comptent le globe, entre 10 000 et 20 000 disparaitraient au cours du siècle.
Les zones les plus concernées sont malheureusement riches en biodiversité (20% de la biodiversité mondiale se situe dans les îles) et en espèces endémiques (« il s’agit d’espèces animales ou végétales naturellement présentes sur un territoire donné. Par exemple, le koala est endémique à l’Australie », n.d.l.r). L’Indonésie, les Philippines et la Nouvelle Calédonie abriteraient au moins 300 espèces endémiques, majoritairement des plantes, gravement menacées par la hausse du niveau des mers. Cette estimation étant la plus basse donnée par l’équipe de chercheurs, car ne considérant que les espèces dont le territoire serait totalement immergé d’ici 2100, et non des espèces qui perdraient 70, 80 ou 90% de leur territoire. Elles ne prennent pas en compte non plus l’augmentation probable de l’intensité des catastrophes naturelles ou de la modification des territoires liés à d’autres facteurs naturels.
À l’heure ou de grands dirigeants remettent en cause des phénomènes observables, comme Donald Trump qui piétinait encore le climat l’été dernier au nom de l’économie, il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire d’écouter et d’agir en coopération avec la communauté scientifique. Leurs outils nous permettent de mieux comprendre et de mieux anticiper les phénomènes auxquels nous devront faire face et contre lesquels nous devons lutter aujourd’hui. Qu’attendent les puissants pour légiférer de manière contraignante sur les émissions de gaz à effet de serre ? Le prix à payer demain sera bien plus élevé que notre inaction aujourd’hui : multiplications des catastrophes naturelles, développement de nouvelles zones à risques, ou encore perte de biodiversité et dangereuses modifications des écosystèmes… Mais alors que certains anticipent déjà les bénéfices qu’ils pourront tirer de la fonte des glaces, il semblerait que la soif de profit ait provoqué chez nos leaders une myopie généralisée face à un désastre économique, écologique et social annoncé.
G.M
Sources : Goodplanet.info / NASA.gov / Mr Mondialisation
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