Une fois de plus, le monde s’endeuille d’un attentat meurtrier, à Manchester cette fois-ci. Déjà, les chaînes d’informations en continu surmédiatisent la terreur et transmettent cette idée selon laquelle nous ne somme plus en sécurité nulle part. Le vocabulaire de la guerre et de l’affrontement domine les discours et chacun appelle à renforcer la sécurité intérieure des pays, à fermer un peu plus les frontières et à intervenir militairement au nom de la lutte anti-terrorisme. Preuve de plus que nos vieilles croyances perdurent, selon l’adage « Qui veut la paix prépare la guerre ». Pourtant, des voix s’élèvent contre cette façon de considérer le vivre ensemble et la sécurité, et osent promouvoir une autre idée de la paix. Thomas d’Ansembourg et David Van Reybrouck font partie de ces voix inspirantes et nous offrent « La Paix ça s’apprend », un ouvrage audacieux qui nous questionne sur notre rapport à soi, aux autres et au monde et qui nous propose de guérir de la violence et du terrorisme. Le message est fort : la paix n’est pas seulement l’absence de guerre et il appartient à tous d’œuvrer en son sens. Nous avons eu la chance de rencontrer Thomas d’Ansembourg et de lui poser quelques questions afin d’en savoir plus sur cette belle initiative.
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La paix ne tombe pas du ciel
On pourrait penser qu’un petit livre n’est pas suffisant pour commencer à « apprendre la paix ». Et pourtant… En moins de 100 pages, les deux auteurs viennent bousculer l’ensemble de nos croyances et questionner nos idées reçues. Un livre terriblement à propos, qui nous explique qu’éviter les conflits meurtriers et promouvoir la paix, sont deux choses complètement différentes et que, aux vues de notre actualité, il serait irresponsable de continuer à appréhender la notion de paix avec nos vieux schémas de pensée. C’est d’ailleurs après les attentats de Paris et de Bruxelles que les deux auteurs ont décidé d’alerter et de proposer une autre voie. Car, comme ils le disent si bien, si pour la guerre nous avons « un ministre et un ministère, une administration et une armée de fonctionnaires, des moyens considérables de recrutement, d’entrainement, de communication, d’espionnage, de recherche scientifique une couverture médiatique et une légitimité historique. En revanche, qu’est ce qui nous apprend la paix ? »
Et la paix, contrairement à ce qu’on pourrait penser, n’est pas seulement l’absence de guerre. Thomas d’Ansembourg nous explique qu’avant toute chose, le livre nous propose de comprendre que nous sommes conditionnés à apprendre comment bien faire la guerre, comme s’y préparer, mais jamais comment bien faire la paix.
« J’ai moi-même fait un service militaire en Belgique, il était encore obligatoire. J’étais contraint de le faire, et j’ai choisi de le faire de façon rigoureuse en me disant « autant en tirer profit » et je me suis donc engagé dans les parachutistes comme officier. L’entraînement était très très rigoureux. Et j’ai réalisé qu’en quelques semaines volaient en éclats toutes mes croyances frileuses sur ma condition physique, ma capacité de résister à la faim, à la fatigue, à travailler en équipe. Tout d’un coup, je réalisai que j’étais infiniment plus compétent et résistant que ce que je croyais. Et je me suis dit qu’on nous apprend à dépasser nos limites dans un objectif de guerre, mais est-ce qu’on ne pourrait pas nous apprendre à dépasser nos limites dans un objectif de paix ? La Belgique fournissait 14 mois de formation coûteuse avec sauts de parachutes, hélicoptères etc. pour former à la guerre. Si on ne consacrait ne fusse que trois mois à aider les gens, à mieux se comprendre, on ferait un pas considérable pour l’humanité. Et comme je suis devenu thérapeute il y a bientôt 25 ans, j’ai mesuré combien nous sommes habitués à des rapports de pouvoir, domination, soumission, agression, démission, et peu habitués à des rapports d’écoute, d’empathie, de partage, de bienveillance. Et donc c’est juste un formatage. On a besoin de changer le formatage, c’est tout. »
Voilà donc le but de « La Paix ça s’apprend » : proposer au lecteur un nouvel éclairage sur la notion de paix, sur le rôle de chacun pour y contribuer et lutter contre le sentiment d’impuissance. Un ouvrage nécessaire, qui nous porte un message d’espoir et nous permet de comprendre que chacun de nous a un pouvoir, beaucoup plus grand que ce qu’on pourrait imaginer. Il nous appartient de nous rendre compte que nous pouvons décider de ne plus nous laisser manipuler par des idées de résignation, d’impuissance et que nous pouvons reprendre du pouvoir sur nos vies, nos relations et sur l’évolution de notre société. Il est tellement dommage, en revanche, de constater que de tels messages ne sont pas plus largement partagés. Il semble pourtant aujourd’hui évident que l’approche guerrière menée depuis des années par nos gouvernements est inefficace et engendre des effets pervers que rares osent questionner. Quand nous avons demandé à Thomas d’Ansembourg ce qui, selon lui, empêchait réellement cet apprentissage de la paix, il nous a répondu :
« C’est simplement l’ignorance. Nous ignorons que la paix s’apprend. Nous sommes conditionnés par la fatalité de la guerre et on peut le comprendre historiquement. Nous avons connu des guerres tous les 30 ans en Europe donc on peut comprendre que notre mentalité se soit encodée dans l’idée selon laquelle « on n’est pas là pour rigoler ». Et c’est un des vaccins anti-bonheur que j’identifie dans un de mes livres : on n’est pas là pour rigoler, on est là pour survivre dans une vallée de larmes. C’est un logiciel. Et donc on ignore que la paix s’apprend, que c’est une discipline, que c’est tout sauf bisounours et que ça demande une exigence, un engagement et qu’on ne va pas être en paix du jour au lendemain. Tout cela demande du travail et de la volonté. Le sens de notre petit livre avec David est de faire connaître deux choses : La paix s’apprend et ne tombe pas du ciel, et des outils extrêmement pertinents existent et ne sont pas encore mis à la portée du grand public et seulement exploités dans des réseaux de développement personnel et de thérapie. Mais qu’il est plus que temps de les faire connaître, c’est un enjeu de santé publique. »
Comment apprendre la paix ?
Le livre propose des outils pour se mettre en paix et ainsi pouvoir promouvoir la paix autour de soi. Mais avant toute chose, il propose de porter un autre regard sur la notion de paix que celui que la société nous offre. Il s’agit là du premier pas puisque selon lui « jusqu’ici, dans le grand public, à ma connaissance, c’est un truc sympa, complètement idéaliste. Cependant si vous demandez aux gens ce qu’ils cherchent ils voudraient être en paix, dans leur couple, avec leur famille, leurs enfants, patrons, voisins, propriétaires. En filigrane c’est la seule intention fondamentale : être en paix. Et cependant, la façon dont le grand public considère ça c’est que c’est inatteignable et que ça vaut même pas la peine d’y penser. Forcément, avec une conscience collective habitée de cette croyance très limitante, nous avons des dirigeants qui n’y croient pas plus, qui parlent de guerre, préparent la guerre, et des médias qui ne relayent pas l’information, et au contraire sont, non seulement sceptiques, mais cyniques par rapport à cette notion de paix. Beaucoup de gens voient quelque chose de très « petit nuage rose bisounours » alors que c’est plus que ça la paix. C’est accepter sa colère, la démanteler de l’intérieur, accepter sa tristesse et traverser les couches de tristesse pour voir la paix qu’il y a derrière, accepter les projections que l’on fait sur les autres, et comprendre ce qu’elles disent de nous. »
Loin de vouloir lister de façon exhaustive toutes les solutions qui s’offrent à nous pour se mettre en paix, et donc créer un climat de paix dans le monde, les deux auteurs en proposent trois : la Pleine Conscience, la Bienveillance et la Communication non-violente. Thomas d’Ansembourg qui s’est lui-même formé à la Communication non-violente pour sa pratique de psychothérapeute et qui a écrit un livre à ce sujet, « Cessez d’être gentil, soyez vrai » que nous recommandons vivement, explique cette pratique sous le spectre de son expérience :
« Dans mon expérience d’avocat, j’ai pu voir que beaucoup de conflits sont le fruit de malentendus et que les malentendus sont une combinaison de mal-exprimé et de mal-écoutés, et que si les gens apprenaient à mieux s’exprimer et exprimer ce qu’ils ressentent et ce qu’ils voudraient, avec des demandes claires, on aurait déjà gagné pas mal. Et, si par ailleurs ils avaient appris à mieux écouter et bien comprendre l’autre, on aurait gagné l’autre partie de l’enjeu. Je me disais que si on apprenait à être vrai et sincère dans l’expression de soi mais aussi vrai et disponible dans l’écoute de l’autre on gagnerait un temps précieux. Et puis je me suis occupé de jeunes de la rue dans une association à Bruxelles, de nombreuses années, et ça m’a permis de comprendre la mécanique de la violence, qui est au fond un manque de discernement et de vocabulaire pour mieux comprendre ce qu’il se passe en soi. Quand je n’ai pas le discernement et le vocabulaire pour réaliser que je me sens triste, déçu, défait, seul, impuissant, et puis que j’ai besoin d’appartenance, de reconnaissance, de trouver du sens à ma vie, de comprendre les choses, et bien la vie bouillonne en moi et tôt ou tard elle s’exprime par la violence. Je me suis rendu compte que nous aurions intérêt apprendre à être vrai c’est à dire à écouter vraiment ce que nous ressentons et à nommer vraiment nos besoins. »
Les auteurs portent donc l’idée que la première des choses à faire lorsque nous aspirons à la paix, c’est de faire ce travail de nettoyage intérieur qui est au service d’une qualité relationnelle féconde, solidaire et inspirante. La paix s’obtient quand nous nous mettons chacun en paix avec nous-même.
Alors comment s’éduquer à la paix ? Comment réussir à faire ce travail que personne ne nous a appris à faire au préalable ? Pour Thomas d’Ansembourg, c’est aussi simple que d’apprendre à se brosser les dents ! Pour lui, « tous les parents savent très bien que tous les enfants qui vont au lit n’ont pas tellement envie de se brosser les dents. Le rôle des parents est de les inviter à ce geste d’hygiène pour se protéger les dents mais aussi pour être de compagnie agréable pour les autres. Il y a un bénéfice personnel et un bénéfice relationnel à ce soin. Et tôt ou tard ils intègrent ce geste comme une évidence. Et bien ça s’apprend comme ça la paix. Au début, avec un peu de rigueur, et petit à petit ça s’intègre comme une hygiène bienfaisante dont on voit le bénéfice et ça devient une règle de vie, un art de vivre. »
Voilà donc que dans cette tourmente de violence et de terrorisme, l’enseignement de ce livre nous donne un nouveau souffle. Thomas d’Ansembourg et David Van Reybrouck ont le courage de ne pas céder aux sirènes alarmistes et nous invitent à les suivre dans cette résistance intellectuelle. Lorsque l’on demande à Thomas d’Ansembourg s’il a un message à faire passer à nos lecteurs, il nous répond qu’il voudrait « les encourager à s’ouvrir à l’idée que la paix ne tombe pas du ciel et qu’elle s’apprend comme les maths ou le foot, les encourager à s’ouvrir aux outils qui les intéressent, qui leur parlent, et il y en a beaucoup ». Et lorsqu’on lui demande, pour finir, s’il a une phrase à opposer au vieil adage « Qui veut la paix prépare la guerre », il nous répond en riant « Oui. « Si tu veux la paix, prépare-la. » Point ». À bon entendeur !
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Propos recueillis par l’équipe de Mr Mondialsiation