Face aux différents scandales qui secouent l’industrie agroalimentaire, les citoyens semblent de plus en plus soucieux de connaître parfaitement les produits qu’ils achètent, de leur production à leur marchandisation. Sous la pression de l’association écologiste L214, les géants de la grande distribution se sont engagés à bannir les œufs de poules élevées en batterie, Bloom n’est pas innocent dans l’interdiction du chalutage profond dans les eaux européennes et l’étiquetage des produits vendus en grande surface reste un sujet brûlant qui oppose les associations de santé et les lobbyistes de l’industrie. Chaque jour, des médias engagés rendent visibles les alternatives du monde de demain. Force est de constater que la provenance et la composition des aliments de nos supermarchés devient peu à peu un critère majeur de sélection de citoyens devenus « consomm’acteurs » conscientisés. C’est de cette tendance qu’est née La marque du consommateur, première marque qui propose au consommateur d’élaborer lui-même le cahier des charges de ses produits !

Un prix déterminé par le consommateur lui-même

Après avoir soutenu les producteurs locaux en créant le label Le Petit Producteur puis avoir lutté contre le gaspillage alimentaire avec Les Gueules Cassées, Nicolas Chabanne entend rémunérer plus justement les producteurs français, asphyxiés par les prix qui leurs sont imposés. C’est ainsi qu’en 2016 est lancée la première brique de lait équitable, dont le cahier des charges a été établi et validé par les consommateurs eux-mêmes. Sous la forme d’un questionnaire sur Internet, chacun a en effet pu s’exprimer sur les différents critères qui déterminent la composition de leur future brique. Le prix de base incompressible ayant été fixé à 69 centimes le litre, les consommacteurs pouvaient librement l’augmenter de quelques centimes en fonction de leurs exigences : comptez 1 centime de plus pour un lait produit en France, 5 centimes pour une alimentation animale sans OGM et 6 centimes pour une mise en pâturage de 6 mois. De 0 à 9 centimes supplémentaires par litre, c’est également la rémunération du producteur qui figure comme critère majeur de cette marque d’un nouveau genre. On y remarque par exemple que 4 centimes supplémentaires sont nécessaires pour que le « producteur ne perde pas d’argent ». De quoi s’interroger sérieusement sur les prix traditionnels du lait…

Contrer la crise du lait en rémunérant justement les producteurs

Cette initiative qui s’inscrit finalement dans la continuité du commerce équitable permet de franchir un nouveau cap en rendant mieux compte du coût réel des produits quotidiens de consommation. Nicolas Chabanne entend ainsi transformer le consommateur comme « pousseur de caddie un peu passif » en véritable individu conscient et influent. À quoi correspondent ces quelques centimes qui différencient une brique de lait d’une autre ? Comment expliquer un tel écart de prix entre deux produits pourtant similaires ? C’est pleinement conscient de toutes ces informations que le consommateur est désormais en mesure de s’engager contre les dérives d’un système qui contraint parfois les producteurs à vendre à perte. Ce sont plus de 6.000 citoyens qui ont été séduits par l’idée et ont ainsi pu participer à l’élaboration de cette brique de lait responsable et équitable. Commercialisée dès Octobre 2016, le prix a finalement été fixé à 99 centimes le litre, dont 39 sont directement reversés aux producteurs. En pleine crise du lait au cours de laquelle se sont affrontés les producteurs et Lactalis, La marque du consommateur a par ailleurs catalysé cette vague de contestation et a pu écouler en six mois plus de neuf millions de litres de lait via 8.200 magasins distributeurs. Le prix reste aussi largement abordable grâce notamment au peu de frais de publicité et communication et à la simplicité du contenant qui se résume à une simple brique de carton.

Changer les comportements de l’offre par la demande

S’il est encore trop tôt pour dresser le bilan d’une telle rupture dans les habitudes de distribution et de consommation, Martial Darbon, président de la coopérative Bresse-Val-de-Saône qui regroupe 51 producteurs, est particulièrement enthousiaste face à cette « solution vraiment innovante ». Les producteurs sélectionnés pour le projet, « issus de petites exploitations familiales en grande difficulté », voient déjà leurs revenus doubler puisqu’ils ne percevaient jusqu’alors que 20 centimes par litre de lait vendu, contre 39 grâce à La marque du consommateur. De plus, les grandes enseignes font face à des ruptures de stock régulières, preuve de l’engouement que suscite ces nouvelles briques bleues arborant le slogan volontairement déroutant « C’est qui le patron ?! ». Forte de cette première expérience particulièrement concluante, la société collective (SCIC) qui permet par ailleurs à chacun de devenir actionnaire ou partenaire du projet, ne compte pas s’arrêter là et entame la commercialisation d’un jus de pomme et d’une pizza équitables sur le même modèle. Toujours sur le même principe d’un questionnaire rempli par les consommateurs, ceux-ci sont disponibles en rayon depuis le 28 avril. Le beurre bio et la compote équitables sont en cours d’élaboration et la marque semble vouloir diversifier largement sa gamme de produits qui s’étendrait à terme aux œufs, à la farine, à la crème fraîche et même aux sardines ! La marque du consommateur parviendra-t-elle à s’imposer durablement dans les bonnes pratiques de la grande distribution ?

Rendre la grande distribution plus vertueuse

En tant que promoteurs réguliers des circuits courts, de l’alimentation locale et plus généralement d’un système différent, nous avons cependant bien conscience des scepticismes qui pourraient entourer ce type de projet. D’aucuns pourraient y voir une énième tentative de greenwashing de la part du secteur de la grande distribution, soucieux de bénéficier d’une image plus verte et plus lisse. Soutenue par des enseignes comme Carrefour ou Intermarché qui distribuent le produit, La marque du consommateur consiste davantage à rendre le système de distribution plus vertueux qu’à le modifier en profondeur. En effet, faute d’ambition politique, ceci risque de rester anecdotique à côté de l’écrasante majorité de produits non-équitables qu’on trouve dans ces grandes surfaces. L’intérêt écologique et social du projet n’en demeure pas moins vital : la transparence totale de l’information, la rémunération de producteurs modestes au juste prix, la promotion de produits de qualité et surtout l’implication active des citoyens dans leurs décisions de consommation nous apparaissent comme un premier pas significatif vers une société plus juste et équitable. Nous saluons donc le tour de force réalisé par Nicolas Chabanne, sa SCIC et les citoyens, principaux artisans du succès, qui sont parvenus à bouleverser les codes d’un secteur aux pratiques parfois bien opaques.

La marque du consommateur est en tout cas une preuve de plus du rôle majeur que peuvent jouer les citoyens dans la construction d’un monde plus juste et équitable. Chaque aliment acheté et consommé a un véritable impact social et environnemental et il est de la responsabilité de chacun de s’attarder un peu plus sur les conditions qui le mène jusque dans nos assiettes.

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Sources : lamarqueduconsommateur.com / up-magazine.info  / rtl.fr / bloomassociation.org / leprogres.fr

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