La session inaugurale de l’Assemblée constituante chargée de rédiger la nouvelle Constitution chilienne a démarré sur fond de tension alors que les élus s’apprêtaient à prêter serment et élire le président et vice-président de l’Assemblée. En effet, plusieurs affrontements entre civils et forces de l’ordre ont éclaté devant l’ancien Parlement à Santiago, forçant les élus à suspendre temporairement la session en guise de protestation contre les répressions se tenant le jour de la fête de la démocratie[1]. C’est finalement Elisa Loncon, linguiste et universitaire mapuche, qui est élue présidente de l’Assemblée constituante et qui sera chargée de piloter le processus de rédaction de la nouvelle loi fondamentale. À l’heure où le peuple chilien est frappé par les inégalités sociales et environnementales, la nouvelle présidente promet que « cette Constituante transformera le Chili en un pays plurinational et interculturel, dans lequel la Terre mère et les eaux seront sauvegardés »[2].

Bien qu’un régime politique démocratique ait été mis en place au lendemain de la chute de la dictature militaire en 1990, le Chili est toujours doté d’une constitution réalisée sous l’ère Pinochet qui perpétue les inégalités sociales dans le pays, en s’inscrivant dans un modèle ultralibéral et basé sur une privatisation de tous les secteurs de la société. Fin octobre 2019, des manifestations de grandes ampleurs ont éclaté dans les rues de la capitale, rassemblant jusqu’à 1,2 millions de chiliens dans la journée du 25 octobre. Suite à la naissance de ce mouvement social inédit dont l’objectif était de réclamer une société plus égalitaire, les partis politiques traditionnels chiliens se sont accordés sur la tenue d’un référendum pour l’adoption d’une nouvelle Constitution, finalement plébiscité à 79%[1].

Alors qu’il est un des pays les plus marqué par les inégalités sociales, l’élection de cette assemblée citoyenne marque l’aboutissement de ce combat pour une plus grande justice sociale et environnementale au Chili et laisse penser à un renouveau politique tant attendu pour la population chilienne. Comme le déclare Emilia Schneider, figure de proue du mouvement féministe chilien et première candidate ouvertement femme transgenre à la nouvelle Assemblée, « aujourd’hui nous pouvons apporter une façon de repenser la démocratie au Chili, construire une meilleure démocratie, plus profonde, plus directe, plus délibérative, paritaire comme ce processus de la Constituante, qui sera la première assemblée paritaire de ce genre dans le monde ».[2]

En effet, en plus de marquer un potentiel tournant dans le paysage politique et juridique chilien, la composition de cette assemblée revête un caractère inclusif historique en raison de sa large représentation des minorités et des grands perdants du modèle de société néolibéral, hérité de la dictature de Pinochet.

Peuple chilien dans les rues de Santiago réclamant plus de justice sociale

Première assemblée paritaire au monde

Les 15 et 16 mai derniers, les citoyens ont élu les 155 constituants chargés de rédiger la nouvelle loi fondamentale chilienne. La composition finale est apparue comme très hétérogène et inédite à plus d’un titre. Premièrement, il s’agit de la première assemblée citoyenne constituante composée sur base paritaire, avec un nombre égal d’hommes et de femmes, et présidée par une mapuche. À cet égard, peu de temps avant la tenue de cette élection, une loi garantissant l’attribution de dix-sept sièges de l’Assemblée constituante à des membres des différentes communautés autochtones avait été votée devant le Parlement, favorisant davantage la représentation des minorités ethniques dans le processus de rédaction de la nouvelle Constitution.

Par ailleurs, l’issue du scrutin s’est traduit par une victoire écrasante des listes indépendantes (40% des élus), au détriment des listes proposées par les partis traditionnels. Composée de militants écologistes, économistes, avocats, professeurs, journalistes, mécaniciens ou encore femmes au foyer, pour de nombreux politologues et analystes, cette constituante apparait comme représenter « le Chili réel »[1]. Avec un faible score d’environ 20% des suffrages, la droite au pouvoir, garante du système actuel, ne disposera pas d’un pouvoir de contrôle sur la manière dont les débats et les votes au sein de l’Assemblée seront menés, laissant enfin entrevoir l’espoir d’un réel renouveau.

Les constituants fraîchement élus auront entre 9 et 12 mois pour élaborer ce nouveau texte, qui sera ensuite soumis à un nouveau référendum en 2022. En cas de rejet, la Constitution chilienne actuelle restera en vigueur.

Elisa Loncón inscribe su candidatura al proceso constituyente 11 01 2021
Présidente de l’Assemblée constituante, d’origine Mapuche, fraîchement élue.

La lutte contre le néolibéralisme

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La Constitution chilienne actuelle, vestige de la dictature de Pinochet, laisse une place quasi-inexistante aux actions de l’État et favorise grandement la privatisation de tous les secteurs de la société. Dans un contexte particulièrement marqué par les inégalités sociales, les constituants se concentreront principalement sur la reconnaissance effective des droits fondamentaux pour tous les chiliens et un accès à un plus grande justice sociale, notamment en matière d’éducation, du travail, de la santé, ou de la retraite.

En effet, selon Jaime Bassa, avocat et professeur de droit constitutionnel à l’Université de Valparaiso, les enjeux principaux du travail de l’Assemblée seront de « sortir de la logique de ségrégation sociale de la Constitution de 1980 et construire des espaces de cohésion et d’intégration sociale est notre grand défi. Prenons l’éducation par exemple : elle n’est pas considérée constitutionnellement comme un droit fondamental mais comme un bien privé qui plus est reproduit les inégalités sociales grandissante, et font du système éducatif chilien l’un des plus privatisés au monde »[1].

Par ailleurs, les questions environnementales s’inviteront elles aussi à la table des discussions. Particulièrement sensible aux effets du changement climatique en raison de sa géographie et de ses climats extrêmes, les défis de l’eau risquent de devenir de plus en plus préoccupants au Chili. Dès lors, comme le préconise Sara Larrain, écologiste et femme politique chilienne, « la priorité est d’établir que l’eau est un bien commun contrairement à la Constitution de 1980 qui lui confère des droits de propriété. Ensuite, un accès à l’eau potable pour tous les chiliens doit être garanti par l’État. C’est le minimum qui doit être inscrit dans la nouvelle Constitution »[2].

Enfin, alors que le Chili est le seul pays avec l’Uruguay qui ne reconnaît pas constitutionnellement ses peuples originaires, la nouvelle Constitution apparaît comme une lueur d’espoir pour le futur des Premières Nations et de l’environnement, qui est souvent placé au cœur de leurs valeurs, traditions et coutumes ancestrales. Bien qu’on ne puisse prédire l’étendue des droits qui leur seront accordés par la future Constitution, la présence de membres des communautés originaires au sein de l’Assemblée, dont notamment à sa présidence, ne peut être qu’encourageante.

En tout cas, cette assemblée constituante, fruit d’une forme de gouvernance plus ouverte à la représentation et aux prises de décisions citoyennes, laisse imaginer la naissance d’un nouveau modèle alternatif de société basé sur la reconnaissance des droits sociaux et environnementaux, bien trop souvent bafoués par le néolibéralisme économique et les règles du marché.

Celebration du peuple chilien après la victoire du référendum pour une nouvelle Constitution (2020)

W.D.

[1] Esnault, M., « Au Chili, une nouvelle Constitution pour plus de justice et d’écologie » in Reporterre, 12 Novembre 2020, disponible sur : https://reporterre.net/Au-Chili-une-nouvelle-Constitution-pour-plus-de-justice-et-d-ecologie

[2] Ibid.

[1] France 24, « Chili : une assemblée hétérogène se met au travail pour élaborer une nouvelle Constitution » in France 24, 4 Juillet 2021, disponible sur https://www-proquest-com.ezproxy.ulb.ac.be/docview/2548204311?pq-origsite=primo

[1] France 24, « Vote historique au Chili pour une première Assemblée constituante », in France 24, 15 Mai 2021, disponible sur : https://www-proquest-com.ezproxy.ulb.ac.be/docview/2527447272?pq-origsite=primo

[2] Ibid.

[1] France 24, « Chili : une Indienne mapuche élue présidente de l’Assemblée constituante », in France 24, 4 juillet 2021, disponible sur : https://www.france24.com/fr/amériques/20210704-chili-une-assemblée-hétérogène-se-met-au-travail-pour-élaborer-une-nouvelle-constitution

[2] Montes, R., « Au Chili, l’assemblée constituante proclame sa diversité » in Courrier International, 7 juillet 2021, disponible sur : https://www.courrierinternational.com/article/tournant-au-chili-lassemblee-constituante-proclame-sa-diversite

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