Véritable essai philosophique à propos de la condition des êtres humains, La Particule humaine, nouveau film en noir et blanc du réalisateur turc Semih Kaplanoğlu, interroge subtilement l’avenir de l’humanité dans un monde en déclin. Sans céder aux excès de la science-fiction et aux fantasmes, l’auteur s’adresse aux spectateurs avec une question centrale : que sommes-nous une fois que tombe le vernis technologique qui nous entoure et que reste-t-il de nous quand la société se décompose ?
Dans un futur proche, les sociétés humaines sont menacées par un brusque changement climatique. De vastes territoires deviennent invivables, conduisant à des migrations sans précédent vers les villes qui, pour faire face à l’afflux, se protègent avec des murs magnétiques. Pour répondre à la baisse des rendements agricoles, les scientifiques multiplient les manipulations du vivant ; mais pour des raisons inconnues, les graines dépérissent après quelques cycles. Pour comprendre, Erol Erin (Jean-Marc Barr), ingénieur en génétique spécialiste des semences, part alors dans la région des Terres mortes, à la recherche de Cemil Akman (Ermin Bravo), un scientifique. Ce dernier avait très exactement formulé dans sa thèse l’hypothèse qu’une telle dégénérescence allait se produire. Mais il fut banni pour avoir exprimé publiquement cette possibilité. Commence alors un voyage à la recherche de nouvelles graines à travers des espaces abandonnés et des régions désertes.
Critique des dérives technologiques et de la propension des humains à vouloir régler tous les problèmes qu’ils rencontrent par un surcroit technologique, La Particule humaine revisite la science-fiction et nos imaginaires des futures en se distinguant des œuvres du genre les plus récentes. Les thématiques liées à un monde en déclin sont certes présentes : terre et air sont empoisonnés, les insectes ont disparu et les pluies acides menacent, les révoltes se multiplient en ville et les illusions du progrès font place au nouveau paradigme global, c’est-à-dire la nécessité d’assurer chaque jour sa propre survie. Mais le futur apocalyptique dépeint n’est pas un prétexte pour multiplier les scènes de violence spectaculaires et dépeindre un avenir où tout tournerait autour des ordinateurs. Au contraire, le réalisateur fait preuve d’une grande pudeur, de beaucoup de sobriété et certainement de réalisme, avec la volonté de se concentrer sur l’essentiel, le destin de l’humain dans un monde en déclin.
L’auteur nous livre un film volontairement lent, errance de deux êtres humains, entre parcours initiatique et réflexion philosophique qui laissent libres les interprétations. Le spectateur ne trouvera certainement pas de réponse définitive à nos maux, mais plutôt un appel à chacun et à l’humanité dans son ensemble à cesser de foncer tête baissée en multipliant les « fausses-solutions » dont nous ne pouvons pas connaître les conséquences par avance. Semih Kaplanoğlu explore également la difficulté de basculer vers d’autres modes de pensée dans un contexte où la science est généralement présentée comme unique échappatoire. Au contraire, suggère-t-il, il est temps de reconsidérer les humains, particules d’un tout, comme étroitement liés à l’environnement et à l’univers.
Aveuglement de l’humanité
L’ambition artistique, les références à Stalker d’Andreï Tarkovski et la tentative de questionner ce que sont les humains une fois les liens de la société rompus font de La Particule humaine un film hors cadre, surprenant, bouleversant. L’œuvre est l’aboutissement d’une réflexion sur la condition humaine et l’aveuglement qui nous pousse à poursuivre la destruction de l’environnement en dépit de notre connaissance du phénomène. « Avec chaque nouvelle technologie nous créons également un nouveau concept éthique pour chaque nouvelle situation dans le but de se convaincre que nos inventions seraient bonnes pour l’humanité et la nature », développe Semih Kaplanoğlu dans sa note d’intention. À ce titre, le réalisateur craint que nous ayons désormais construit un imaginaire tel que nous ayons perdu toute sensibilité pour ce qui nous lie au monde : « l’Homme rompt le lien, invisible mais tangible, qui l’attache à tout ce qui l’entoure sur Terre ».
La Particule humaine est au cinéma à partir du 10 octobre 2018.
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