De Tokyo à Paris en passant par l’Inde ou les USA, l’impact désastreux de l’uniformisation de notre alimentation sous des logiques industrielles n’est plus à prouver. Autant pour notre santé que pour l’environnement, il apparait désormais vital de changer notre façon de nous alimenter. Jordan et Marion d’Out Of The Box ont rencontré le secrétaire général du mouvement Slow Food, qui propose des solutions écologiques, économiques et durables pour changer notre système alimentaire. Image d’entête : ‘Ron and Cows’ par Ron English
Les modèles alimentaires se standardisent
Depuis une cinquantaine d’années, ce que l’on peut trouver dans l’assiette d’un Français ressemble de plus en plus à ce qu’on peut trouver dans celle d’un Canadien, d’un Japonais ou d’un Brésilien. Oui ! Même au Japon la passion pour le riz et le poisson perdent du terrain au profit des burgers. Partout, ce que nous mangeons perd ainsi en « culture » et en « local » pour gagner en uniformisation à des échelles transnationales, avec des codes hérités d’un certain softpower américain. Malheureusement, cette uniformisation se fait aussi au détriment de la qualité des produits ingérés et de l’environnement.
Alors que plus de 800 millions d’humains ne mangent pas à leur faim, 2 milliards de consommateurs souffrent de problèmes de santé liés à une alimentation trop abondante ou de mauvaises qualités. Le chiffre donne le vertige. Cette nourriture malsaine est majoritairement d’origine industrielle, et fait partie des principales causes de la dégradation des écosystèmes. Mais on ne se contente évidemment pas de produire de plus en plus vite, il faut également manger de plus en plus rapidement. Cette logique peut se résumer au mot « fast-food » hérité de l’industrialisation des cuisines de certains restaurants après la seconde guerre : gagner du temps au prix de sa santé et de l’environnement. Les couverts jetables, le suremballage et la médiocre qualité des ingrédients coûtent chers à l’environnement. Des externalités négatives dont tout le monde a désormais parfaitement conscience, sans pour autant insuffler un changement de cap majoritaire. Aujourd’hui, 1 enfant sur 3 aux États-Unis mange au moins une fois par jour au fast-food. Les coûts sur la santé de ces comportements sont tout juste colossaux. Les Français ne sont pas à l’abri pour autant : dans le pays de la gastronomie, 1 repas sur 6 est pris dans un fast-food. La restauration rapide a encore de beaux jours devant elle.
Le slow food : une réponse bonne, propre et juste
Heureusement, depuis 30 ans, le mouvement « slow food » essaie d’inverser cette tendance. Un travail long et pénible mais qui mérite d’y tendre l’oreille. Né dans le petit village italien de Bra en 1989, il a grandi et compte aujourd’hui des millions d’adeptes dans plus de 160 pays. Slow Food est même devenu une association internationale à but non lucratif dont la devise est « good, clean and fair » (bon, propre et juste). On peut retrouver ces valeurs en Europe à travers plusieurs projets d’écogastronomie et d’alterconsommation : l’Arche du goût, Terra Madre, le Presidia, le salon international du goût, etc.
Globalement, le besoin de retrouver du sens dans son alimentation fait peu à peu son grand retour. Pour le démontrer, Jordan et Marion d’Out Of The Box sont partis à la rencontre du mouvement Slow Food dans le cadre de leur websérie pour explorer l’alimentation de demain. Dans leur vlog publié sur Youtube, il se sont entretenus avec Paolo Di Croce, le secrétaire général de Slow Food. Celui-ci est catégorique : « notre système alimentaire est complètement brisé ». Leur principal défi ? « Complètement changer la façon de penser des gens, et c’est difficile ».
Malgré tout, ils y croient. Pour le mouvement Slow Food, il faut donner l’opportunité aux gens de comprendre pourquoi il faut diversifier l’offre alimentaire, consommer local, sans pesticides et en quantité raisonnable. Leurs actions consistent à parler aux gens, à les rassembler et à créer la conscience nécessaire pour faire les bons choix de consommation et les bons choix politiques. Car ce virage est si radical qu’il ne se fera pas sans décisions collectives courageuses.
« Ils sont géants, mais nous sommes une multitude »
Une de leur devise nous rappelle que nous pouvons tous contribuer à changer l’offre alimentaire. Pour marquer son opposition aux géants de l’industrie agroalimentaire comme Monsanto, Lactalis où Nestlé, pour ne citer qu’eux, le mouvement Slow Food propose manger un maximum local, biologique et de saison. Par ailleurs, il est conseillé de choisir des enseignes de restauration « non-rapide » ayant du respect pour les produits utilisés. Nous pouvons également penser à la façon dont est produite notre nourriture, et notamment la viande, pour orienter nos choix. Il est enfin possible de valoriser la grande diversité de chaque produit, notamment en favorisant les graines paysannes et les variétés vernaculaires, fruits d’un long mécanisme d’adaptation et de sélection à une réalité locale. À titre d’exemple, 90 % des pommes consommées dans le monde proviennent désormais de 5 variétés, alors qu’il en existe des milliers dans la nature. La standardisation précipite ainsi la chute de la biodiversité.
En plus de choisir des aliments savoureux, sain, écologiquement durable et garantissant une certaine justice sociale, Paolo Di Croce rappelle qu’il est important de prendre du plaisir. Bien se nourrir n’est pas une punition. « Si nous avons de la chance, nous mangeons deux fois par jour. Pourquoi manger de la mauvaise nourriture ? » argumente-t-il. Il ajoute qu’il est possible d’avoir du plaisir en s’alimentant sans être riche. Adopter le Slow Food ce n’est pas donc une question d’argent, mais de culture et de décision. La nourriture, c’est aussi notre identité et notre histoire.
Il termine sur un paradoxe ; de nos jours, nous dépensons parfois plus d’argent pour faire un régime que pour acheter de la nourriture. Alors qu’avec des choix quotidiens très simples, chacun d’entre nous peut contribuer à manger mieux, et peut-être moins. Comme en matière de vêtements ou d’objets du quotidien, la raison voudrait préférer la qualité à la quantité : mieux, mais moins !
Que voulons-nous manger demain ?
Certes, les alertes des scientifiques n’annoncent rien de bon pour l’avenir. Raison de plus pour changer tant qu’il est encore temps. Le mouvement Slow Food, autant que les adeptes de permaculture ou de l’agriculture paysanne ou forestière, porte l’idée qu’il est possible de changer notre façon d’aborder le système alimentaire. En améliorant la qualité de notre nourriture, nous impactons positivement les écosystèmes qui nous entourent ainsi que ceux qui travaillent à leur production. Même en ce qui concerne certains produits nécessairement importés, comme le café ou le cacao, là aussi des solutions éthiques existent.
« Suivons l’exemple de Slow Food : choisissons une nourriture bonne, propre et juste pour tous ! Bonne parce que saine et délicieuse, propre parce qu’elle veille à l’environnement, juste parce que respectueuse de celui qui la produit, la transforme et la distribue. » D’ailleurs, le logo en escargot de la Slow Food, proche du mouvement Décroissance, nous rappelle une fable : à la fin, ce n’est pas le lièvre qui gagne la course !
Tous les épisodes de la websérie d’Out of the Box — l’Alimentation de demain sont à retrouver gratuitement sur YouTube.
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