Créée par Maxime de Rostolan pour promouvoir de nouveaux types de production agricole plus soutenables d’un point de vue environnemental et social, l’association Fermes d’Avenir, qui a su retenir l’attention des médias et des politiques avec son slogan « On a 20 ans pour changer le monde », fête ses cinq ans. Son fondateur dresse un bilan d’étape critique dans l’interview qui suit et évoque les pistes d’action pour accélérer la transition agricole.
Mr Mondialisation : Bonjour Maxime, qu’est ce qu’une Ferme d’avenir ?
Maxime de Rostolan : L’association Fermes d’Avenir agit pour faire émerger l’agro-écologie et la permaculture sur les territoires. Elle travaille sur différents axes – production, formation, financement, influence – mais n’a pas de réseau ‘formalisé’ à ce jour. Par le biais des concours Fermes d’Avenir, des formations comme le parcours en compagnonnage bio, ou encore à l’occasion du Fermes d’Avenir Tour, nous constituons petit à petit un écosystème de fermes remarquables. Elles ont un socle de valeurs communes, des pratiques et des orientations agricoles qui peuvent être différentes mais se retrouvent sur les principes suivants, qui sont autant des pratiques très concrètes qu’un état d’esprit :
– Un lieu de production, à taille humaine, basé sur l’observation des écosystèmes naturels et locaux,
– Une production sous label biologique, sans usage des produits phytosanitaires chimiques,
– La régénération des écosystèmes et de la biodiversité en utilisant des pratiques agro-écologiques : rotation et diversité des cultures, y compris dans les variétés génétiques d’une espèce, préservation des variétés anciennes et locales, préservation des habitats de la biodiversité,
– Un ancrage local fort : vente locale privilégiée, ouverture au public, chantiers participatifs,
– Des solutions préfigurant une société décarbonée (pas ou peu de dépendance aux énergies fossiles : mécanisation limitée, constructions écologiques) et limitant les consommations d’eau,
– Des investissements réduits en capitaux financiers, au bénéfice de la création d’emplois,
– Un rôle de pédagogie sur les régimes alimentaires durables et le plaisir d’une alimentation saine,
– Une transparence sur les chiffres et les pratiques (temps de travail, budgets, production…),
– Une diversité des sources de revenus (vente directe, agro-tourisme…),
– Un partage équitable de la valeur créée sur le territoire,
– Une redécouverte possible des cultures variétales locales et leurs transformations (valorisation des arts culinaires et de l’artisanat) en vue d’affirmer davantage les identités des territoires.
Mr Mondialisation : Après 5 ans, quels sont les aspects les plus encourageants de la démarche et les limites que vous rencontrez ?
Maxime de Rostolan : La Ferme de la Bourdaisière était le projet originel de l’association. L’objectif annoncé était de « prouver que l’agriculture naturelle était plus rentable que l’agriculture chimique », mais nous avons dû changer de formule face à deux réalités.
La première : pourquoi demander à l’agro-écologie d’être rentable alors que l’agriculture chimique ne sait pas l’être ? Le modèle dominant bénéficie en effet de subventions directes et indirectes pour se maintenir en vie.
Les subventions directes pèsent pour 10Mds d’€ par an, par le biais de la PAC.
Les subventions indirectes sont, quant à elles, incommensurables puisqu’il s’agit de la prise en charge par les impôts des citoyens des impacts négatifs générés par les pratiques agricoles chimiques : problèmes de santé (chez les agriculteurs mais aussi bien sûr chez les consommateurs) liés aux perturbateurs endocriniens et à l’usage des pesticides, pollutions des nappes phréatiques dus à ces mêmes usages, accentuation du dérèglement climatique en raison des émissions de GES du secteur, érosion (ou plutôt « effondrement ») de la biodiversité, destruction d’emplois, inondations… Ces coûts sont portés collectivement par nos impôts alors que leurs responsables sont tout à fait identifiés.
En revanche, les impacts positifs des fermes agro-écologiques restent, eux, à la charge du paysan (le temps supplémentaire passé à cultiver ‘proprement’, le coût des infrastructures écologiques mises en place comme les arbres, les mares ou les dispositifs biodiversité).
Il existe donc une distorsion de concurrence ou une concurrence déloyale entre les deux modèles, ce qui est inadmissible.
La seconde réalité : la permaculture n’est pas une formule magique et il est illusoire de prétendre que s’en inspirer permet de gagner un salaire attractif. Comme nous le constatons sur le terrain, par exemple lors du Fermes d’Avenir Tour au cours duquel nous avons visité 220 fermes, certains s’en sortent bien, heureusement. Cependant, ils ne comptent pas leurs heures et font un choix de vie intégral qui n’est pas forcément désirable pour tous ceux qui, demain, pourraient vouloir travailler dans la production agricole sous réserve d’avoir un salaire et des horaires comparables à ceux d’autres métiers.
À la Ferme de la Bourdaisière, le parti que nous avons pris de donner au chef de cultures et au second maraîcher un statut à 35heures (annualisées), en payant les heures supplémentaires, est un pari osé qui contraint le bilan économique de la ferme. Mais nous assumons totalement cette posture, car pour trouver 200.000 volontaires prêts à s’engager dans cette voie, il faut nécessairement des dispositions de cet ordre.
Les résultats sur le terrain sont encourageants en termes de productivité par unité de surface, en termes de régénération des écosystèmes, en termes de bien-être au travail ou de satisfaction des citoyens vis-à-vis des produits.
Les limites sont toujours les mêmes : les aspects financiers et la formation. La part moyenne du budget des ménages consacrée à l’alimentation est passée de 30 % à 12 % en 50 ans. Le prix payé pour se nourrir ne couvre donc pas les frais de production et, si cela ne pose qu’un problème relatif pour les agriculteurs dits ‘conventionnels’ qui vivent en grande partie des subsides de la PAC, c’est bien plus ennuyeux pour les paysans bio et écologiques. Il convient donc de trouver des mécanismes financiers en mesure de rémunérer les services écosystémiques rendus par les paysans.
Une autre limite est la formation, ou plutôt le nombre de personnes formées prêtes à gérer une activité de production/commercialisation. Cet état de fait est un corollaire de la question de la rémunération, car il est évidemment difficile d’imaginer que l’on trouvera des millions de candidats à l’installation si l’on propose 350€/mois pour 70 heures de travail hebdomadaires. Dès que cette question de la rémunération sera résolue, la filière retrouvera de son attrait auprès des jeunes générations.
Mr Mondialisation : « 20 ans pour changer le monde » : est-ce un chiffre que vous avez déduit de données scientifiques ou est-ce le cadre dans lequel vous vous fixez des objectifs pour encourager l’émergence de l’agro-écologie ?
Maxime de Rostolan : Les scientifiques ne nous laissent pas 20 ans. Jean Jouzel nous en donne 3, Yves Cochet affirme que l’effondrement se manifestera avant 2030…Il suffit de regarder les courbes du rapport ‘Les limites de la croissance’ du Club de Rome pour constater que nous ne sommes plus très loin du point de basculement.
Mais d’un naturel optimiste et avec la volonté de fédérer largement autour du chantier participatif qui nous attend, j’ai pris l’habitude de cet horizon ‘à 20 ans’. Suffisamment éloigné pour espérer faire quelque chose (il y a 20 ans, Google n’existait pas…), mais pas trop loin car cela risque de déresponsabiliser (les conférences des parties, c’est-à-dire les COP, prennent 2100 comme référence…ce qui est pire que les calendes grecques et ne parle pas à grand-monde).
20 ans, c’est le temps d’une génération qui laisse toutes les portes d’espoir ouvertes.
Mr Mondialisation : En tant qu’ingénieur, comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux questions agricoles, jusqu’à en faire le principal moteur de votre engagement ?
Maxime de Rostolan : À vrai dire, je ne me suis jamais senti ingénieur. J’ai un peu ‘volé’ mon diplôme puisque je ne m’intéressais déjà pas, en école, à la chimie que l’on nous y enseignait et n’allais que très peu en cours, y préférant de loin de longues sessions de jonglage ou des voyages à répétition dans mon combi VW que j’ai toujours depuis cette époque et dont nous sommes maintenant 6 co-propriétaires pour partager les frais et les virées 😉
Beaucoup de voyages, donc. De rencontres, d’observations, de débats.
Après 2 ans de tour du monde sur le thème de l’eau, à l’issue de mes études, ma première activité professionnelle fut de développer une série d’outils pédagogiques sur les enjeux du développement durable. L’occasion de tisser des liens avec des experts de chaque sujet mais aussi de nouer des partenariats avec des entreprises ou institutions sensibles à ces sujets. Le deuxième effet kiss-cool : découvrir que mes interlocuteurs au sein des grosses entreprises n’avaient finalement pas une énorme marge de manœuvre pour changer leur approche en termes sociaux et environnementaux. Des rustines à mettre pour ‘faire moins mal’, ou ‘polluer moins’, mais cela continue d’aller globalement dans le mur.
C’est là que j’ai découvert le biomimétisme : le fait de s’inspirer de la nature et d’adapter les solutions qu’elle a développées (résilientes, ne fonctionnant qu’avec l’énergie du soleil et ne produisant pas de déchets) à nos enjeux de petits humains.
De fil en aiguille, je suis arrivé à la permaculture et, à la lecture du livre de Janine Benyus ‘Biomimétisme’, j’ai compris qu’il me faudrait sauter à pieds joints dans la question agricole. Elle explique en effet que nous avons divisé par 25 notre efficacité énergétique pour produire de la nourriture, ce qui m’a totalement alerté (comment se dire ‘évolués’ ou penser qu’il y a eu des progrès alors que nous ne saurons plus nous nourrir lorsque le baril de brut vaudra 200$… ?).
J’ai donc commencé mon chemin pour découvrir les réalités du secteur, les enjeux, les forces en présence et les brèches à travers desquelles nous pourrions glisser un nouveau modèle. Dès 2008, j’ai mis mon énergie en ce sens en créant, avant Fermes d’Avenir, la première plateforme de financement participatif (prêt et don) entièrement dédiée à l’agroécologie : Blue Bees.
Le projet Fermes d’Avenir s’est décidé en 2012 et a été lancé fin 2013.
Mr Mondialisation : Difficile de ne pas avoir le sentiment que les politiques sont à la traîne, en particulier pour des raisons de court-termisme économique. Comment intégrer la question environnementale au débat politique aujourd’hui ?
Maxime de Rostolan : Les politiques ont leurs contraintes, et doivent parler avec tout le monde. Certains de leurs interlocuteurs, les plus ‘convaincants’ ou puissants, défendent activement le modèle chimico-industriel et font précisément valoir les retombées économiques de court-terme.
Beaucoup d’élus, mais aussi de citoyens, ne savent évaluer un projet qu’à l’aune de ses retombées sonnantes et trébuchantes, l’argent est la seule richesse qu’ils considèrent. Ce n’est pas de leur faute, c’est ainsi que s’est dessiné le modèle économique qui, aujourd’hui et pour encore quelques décennies, régit tout. Il est donc important d’objectiver les coûts réels, systémiques, de nos modes de vie (pas simplement de production agricole).
Pour répondre à ce défi, sur le domaine agricole, nous avons procédé en plusieurs temps.
– Nous avons tout d’abord rédigé un plaidoyer pour chiffrer les externalités des pratiques, ce qui a permis de mettre en lumière, par exemple, que la dépollution des nappes nécessaires à cause de l’agriculture chimique coûterait 60Mds d’€ par an à la France, l’équivalent du PIB du secteur agricole… une hérésie en somme.
– Nous avons ensuite identifié, dans une pétition 10 propositions de loi, ou orientations politiques, qui permettraient d’amorcer une transition en profondeur.
– Enfin, pour approfondir ces questions, nous avons lancé un groupe de travail sur la ‘comptabilité en triple capital’, l’idée étant de compter ce qui compte vraiment. Cette méthode, en cours d’élaboration avec des cabinets spécialisés et des universitaires, permettra d’intégrer au compte de résultat et au bilan comptable d’une structure les capitaux naturels et humains, en sus du simple financier considéré à l’heure actuelle.
Cette nouvelle méthode permet de changer de prisme et d’évaluer une activité en considérant l’ensemble de ses effets, ce qui ouvrira à long-terme, nous l’espérons, sur une indexation intelligente des impôts sur les entreprises en phase avec les impacts qu’elles ont réellement sur l’environnement, la santé, et même pourquoi pas le bonheur induit !
Mr Mondialisation : Il s’agit donc d’une approche pragmatique. Mais au-delà, n’est-ce pas également de philosophie et de mode de penser qu’il faut changer ?
Maxime de Rostolan : Bien entendu, le côté pragmatique de notre approche ne peut s’affranchir de considérations plus profondes, comme la quête de sens et de résilience ou la remise en question réelle du modèle que l’on nous vend comme le seul qui vaille. Seule une élévation des consciences individuelles parviendra à rendre ce discours audible et majoritaire…
Le plus gros challenge, d’après moi, est de remettre l’argent à sa place, de démoder l’opinion selon laquelle c’est un indicateur de réussite et un ingrédient du bonheur. L’argent est nécessaire comme un moyen, un outil, pour fluidifier les échanges, mais il devient toxique lorsqu’il prend la forme d’un objectif à atteindre et qu’on en autorise l’accumulation à outrance, comme c’est le cas aujourd’hui….
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