Directrice d’une fédération qui défend les services d’aide à domicile non-commerciaux et services de soins infirmiers, Hélène Lemaire met en garde : si les financements de ces organismes continuent de décliner, elle craint la fermeture de ces derniers avec pour conséquence de laisser les personnes déjà victimes d’exclusion face au risque d’une précarité grandissante. Interview et explications.
Mr Mondialisation : Bonjour Hélène Lemaire, pouvez-vous vous présenter en quelques mots aux lecteurs de Mr Mondialisation ?
Hélène Lemaire : Je suis directrice d’une fédération qui défend les services d’aide à domicile non commerciaux et services de soins infirmiers, qui interviennent auprès de personnes âgées et en situation de handicap dans le Département du Nord.
Mr Mondialisation : Comment fonctionne exactement cette fédération dont vous avez la direction ?
Hélène Lemaire : Notre fédération fonctionne grâce à ses adhérents, qui sont des structures d’aide et de soins à domicile réparties sur tout le Département du Nord. Nous conseillons ces services dans leur gestion au quotidien et nous sommes leur interlocuteur pour les relations avec les pouvoirs publics.
En parallèle, nous avons constitué une association, Les Inséparables, qui regroupe plusieurs fédérations. Cela nous permet de défendre nos idées communes et de construire des projets ensemble au service de l’intérêt général pour permettre aux populations les plus fragiles et dépendantes de rester à domicile le plus longtemps possible dans de bonnes conditions, selon leur souhait.
Mr Mondialisation : Dans le détail, quels sont les services proposés par les structures adhérentes ?
Hélène Lemaire : A l’échelle du territoire national, les services d’aide et de soins à domicile permettent à 970 000 personnes de continuer à vivre à domicile (personnes âgées et personnes en situation de handicap).
Ils interviennent à plusieurs moments de la journée chez les personnes âgées et personnes en situation de handicap dépendantes, dans des prestations de soins d’hygiène, d’aide au repas, d’aide au lever et au coucher, d’entretien du logement… Ils constituent des partenaires essentiels pour le milieu hospitalier et les médecins gériatres : pour le maintien à domicile des personnes dépendantes, pour les retours à domicile à la suite d’une hospitalisation…
Ces services sont aussi indispensables pour la famille et les proches des personnes dépendantes. En effet, il leur serait particulièrement difficile de concilier vie professionnelle et personnelle avec la prise en charge d’un parent ou enfant dépendant sans l’aide d’un service d’aide et/ou de soins à domicile. Les interventions quotidiennes de ces services sont indispensables et évitent d’aggraver l’engorgement des hôpitaux et services d’urgence.
Mr Mondialisation : Comment se financent les services d’aide à domicile ?
Hélène Lemaire : L’activité principale des Services d’aide à domicile non commerciaux consiste à prendre en charge des bénéficiaires de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie), de la PCH (Prestation de Compensation du Handicap) et de l’aide sociale. Ils perçoivent une participation horaire dont le montant est encadré par le Département.
Ces aides sont attribuées à la suite de la visite d’un évaluateur du Département qui réalise le plan d’aide, qui encadre les temps d’intervention à domicile, et ce dans la limite d’une enveloppe budgétaire plafonnée par l’État. Ce dernier est transmis à un Service d’aide à domicile qui doit le mettre en œuvre dans les conditions qui y sont mentionnées.
Cependant, la part prise en charge par le Département n’est pas payée par le bénéficiaire de l’aide, mais par le Département, qui paie ses factures avec parfois plusieurs années de retard, faisant supporter les avances de trésorerie sur les services d’aide à domicile.
Mr Mondialisation : Comme une bonne partie du secteur lié aux soins, l’aide à domicile est en crise. Quelles sont les difficultés rencontrées ?
En effet le secteur sanitaire, ainsi que les maisons de retraite sont en crise, et la presse commence à s’emparer du sujet. Ces crises prennent leurs sources dans des causes multiples, qui peuvent être externes comme la dégradation des conditions dans lesquelles s’effectue le maintien à domicile.
Dans le Nord, les conditions de travail sont particulièrement mauvaises, car les interventions prévues par les plans d’aide sont très courtes et morcelées. Le Département en a conscience et a entamé un travail avec les fédérations et structures dans l’objectif d’améliorer cette situation. Nous sommes satisfaits de la démarche et nous espérons qu’elle pourra aboutir à des résultats concrets. Car ce sont bien des améliorations dans le contenu des plans d’aide qui pourront améliorer les choses.
Il est à craindre malheureusement que les bénéficiaires de ces aides demandent de réduire de plus en plus les temps d’intervention, pour répondre à une logique financière pour eux. En effet, compte tenu des baisses des montants de prise en charge par le Département de l’APA et de la PCH, qui sont désormais nettement inférieurs aux coûts des interventions pour les structures, c’est la personne dépendante qui paie de plus en plus de sa poche. Et cela va s’accélérer sur l’année 2019, car les montants de prises en charge n’évoluent pas avec les augmentations de charges subies par les structures, en augmentation constante… pour n’en citer que quelques-unes :
• La suppression des aides à l’embauche ;
• Les revalorisations successives du SMIC ;
• La garantie santé obligatoire, la hausse des tarifs des mutuelles…
Mais surtout pour les services d’aide à domicile, le frein principal au développement de la prise en charge de la dépendance réside dans les difficultés de recrutement. Dans les Hauts-de-France, le secteur d’activité « Santé humaine et action sociale » est d’ailleurs le premier demandeur d’emploi. Et pour cause, car les employeurs ont de plus en plus de difficultés à recruter, ils sont donc de plus en plus demandeurs…
Mr Mondialisation : Avec quelles conséquences pour le personnel ?
Hélène Lemaire : Des conditions de travail dégradées qui génèrent un absentéisme important, et désorganise le travail de chacun, crée de l’insatisfaction des personnes prises en charge. Cela contribue à augmenter le coût du travail, et donne une image dégradée de la profession, ce qui ne facilite pas les recrutements notamment pour répondre au turn-over.
Mr Mondialisation : Les logiques de privatisation, très fortes dans le secteur hospitalier, vous concernent-elles aussi ?
Hélène Lemaire : Des services privés commerciaux se sont développés depuis longtemps et disposent désormais des mêmes conditions tarifaires que les non-commerciaux dans le Nord. Cependant, ils rencontrent aussi les mêmes difficultés. Il y a cette croyance des pouvoirs publics que les services commerciaux pourraient être la solution pour répondre à la demande en cas de fermeture de nos services. C’est une illusion, car les services non lucratifs prennent en charge 60% des bénéficiaires de l’APA et de la PCH, et les personnes les plus en difficultés économiques. Le risque est plutôt celui d’une désorganisation générale laissant des personnes dépendantes sans prise en charge.
Mr Mondialisation : Qu’en est-il de la qualité des soins ? Est-elle en baisse selon vous ?
Hélène Lemaire : La politique tarifaire menée par le Département du Nord depuis un an engendre une moindre qualité des services rendus aux personnes âgées et en situation de handicap notamment du fait de l’impossibilité de mettre en œuvre la politique de qualification – qui augmente le coût du travail.
Mr Mondialisation : Quelles seraient les mesures les plus urgentes à prendre ?
Hélène Lemaire : Il y a différentes instances décisionnaires en charge de la politique de l’autonomie :
• L’État, qui distribue les enveloppes budgétaires aux collectivités locales et restreint leurs possibilités de dépenses alors que les besoins explosent ;
• Les Départements, qui répercutent ces réductions de dépenses notamment sur les services d’aide à domicile, qui subissent les ajustements budgétaires ;
• Les ARS (Agences Régionales de Santé), qui ne prennent pas encore la mesure de l’urgence sanitaire qui se profile.
Aujourd’hui, les arbitrages politiques sont en déconnexion avec la réalité des charges pour les services à domicile. Dans les mesures les plus urgentes, il y a celle de revoir les modalités de réalisation des plans d’aide, le socle de participation départemental et indexer les montants de prise en charge. Par ailleurs, nous souhaitons poursuivre les échanges avec le Département, dans une démarche co-constructive afin d’améliorer la situation rapidement.
Nous appelons de nos vœux que chacun se sente concerné par cette problématique, car nous aurons tous, en avançant en âge, besoin et envie un jour qu’un personnel bienveillant puisse encore être présent à nos côtés. Nous attendons des différents financeurs des actions concrètes et coordonnées pour améliorer le système, en réorganisant son fonctionnement. Pour l’instant nous avons surtout vu se multiplier les études et préconisations de cabinets extérieurs et des financements pour des actions qui ne répondent pas au problème… alors que l’urgence pour maintenir le service de base indispensable est bien là !
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