Le fromage fermier en danger. La faute aux vegans ? Pas vraiment non…

L214 - Ethique & Animaux; CC-BY 3.0

Poncif éculé au sein de la population française et dans le monde agricole, les végans seraient un danger (économique) pour l’agriculture alors qu’ils représentent à peine 2 à 3% de la population. Le problème se trouve pourtant sous nos yeux depuis plusieurs années. Il est à rechercher dans l’industrialisation de la production alimentaire. Dans l’actualité récente, le discret article 11 octies de loi agriculture, d’abord passé inaperçu, fait désormais des émules dans le monde paysan. En effet, son entrée en vigueur en l’état permettrait aux industriels d’apposer la mention « fermier » aux fromages, y compris ceux qui n’ont pas été entièrement produits à la ferme. Un nouveau coup de poignard dans le dos des derniers paysans qui doivent pouvoir réaffirmer l’identité de leurs produits pour se distinguer de l’agro-industrie aux yeux des consommateurs. 

Les végans feraient sombrer le monde agricole. C’est une thèse que l’on retrouve régulièrement défendue dans les commentaires sur les réseaux sociaux et qui est également exploitée par certains industriels. Ce sophisme qui ne repose sur aucun fait sert a balayer de la table les débats légitimes à propos de l’impact de l’industrialisation de la production alimentaire sur le monde paysan, la nécessité de faire évoluer nos régimes alimentaires, et les souffrances endurées par les animaux d’élevage au sein de ce processus industriel. Il occulte surtout que ce régime marginal est pour bien peu de choses dans les mutations du monde agricole des 70 dernières années. De quoi finalement bloquer tout débat de fond et donc évolutions possibles du secteur, créant une opposition fictive « végans VS paysans » et non pas « paysans VS industriels ».

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Savez-vous vraiment ce que vous mangez ?

Le monde paysan réduit à une peau de chagrin

Depuis l’après-guerre, on observe en effet un déclin rapide des petits paysans au profit des grandes exploitations aux pratiques déshumanisées, des monocultures prétrochimiques convetionnelles et des produits transformés. Rien qu’entre la fin des années 1980 et 2010, le nombre d’exploitations agricoles diminuait de 50 % pendant que leur taille doublait, apprend-on sur le site du Ministère de la transition écologique et solidaire.

Ces évolutions sont la conséquence d’un système qui a fait de la nourriture une marchandise comme les autres, soumise au jeu d’une économie mondialisée, des pressions exercées par les grandes surfaces et de consommateurs qui ne souhaitent plus allouer une part importante de leurs revenus à leur alimentation. La dictature des petits prix, la production de masse polluante, la quantité au détriment de la qualité du produit, le joug des marques distributeurs qui ne produisent rien mais en récoltent les fruits, sont quelques-uns des effets visibles. Au bout du compte, un tiers dess agriculteurs vivent désormais avec un revenu inférieur à 350 euros par mois en moyenne, selon la Mutualité Sociale Agricole. Bien évidemment, ces derniers subissent la double peine : celle de voir leur métier détruit par des logiques qui les dépassent, mais aussi de faire l’objet de critiques acerbes quant aux méthodes employées, toujours plus axées sur la productivité, mais toujours moins « humaines ». Leur donne-t-on seulement le choix ?

L’agriculture contemporaine et plus particulièrement les professionnels du secteur sont face à une impasse structurelle. Les maux des paysans sont à rechercher dans l’industrialisation effrénée de l’agriculture sous l’impulsion de politiques gangrénées par les logiques comptables, phénomène qui les a dépossédés de tout contrôle sur leur activité, aussi bien en ce qui concerne leur production que les prix de leurs cultures et élevages. Et si certains produits « vegans » sont sans aucun doute issus de processus industriels, les quelques pour cent de français et de françaises ayant adopté ce régime ne sont pas plus responsables que l’ensemble des consommateurs français, des forces économiques et des pouvoirs publics, d’un modèle agricole qui n’a plus de racines. Bien au contraire : la mouvance végan se confond bien souvent avec associations locales et partis dont les revendications vont dans le sens d’une agriculture de proximité, des circuits-courts et de revenus décents. Directement ou indirectement, avec ou sans viande, ces logiques profitent à un renouveau de l’agriculture paysanne.

La loi agriculture et alimentation encourage l’industrialisation des fromages

Déjà critiqué pour le peu d’ambition en matière de réduction de l’usage des pesticides (dont le glyphosate), l’introduction timide de menus végétariens dans les cantines ou le manque de contrôle des abattoirs, le projet de loi Egalim fait surtout la part belle à l’industrie de l’agroalimentaire.

L’article 11 octies du projet de loi alimentation et agriculture adopté en 1ère lecture à l’assemblée nationale et confirmé (pour cet article) par le sénat, n’a d’abord pas retenu l’attention de grand monde. Il ouvre pourtant la voie à la standardisation des fromages en permettant d’apposer la mention « fermier » sur des produits qui n’ont pourtant pas été entièrement fabriqué à la ferme. Depuis plus de dix ans, l’usage de la qualification est encadrée par le décret du 28 avril 2007. Selon les termes du texte, « La dénomination « fromage fermier » ou tout autre qualificatif laissant entendre une origine fermière est réservée à un fromage fabriqué selon les techniques traditionnelles par un producteur agricole ne traitant que les laits de sa propre exploitation sur le lieu même de celle-ci ». Grâce à ce garde-fou, les paysans peuvent – pouvaient ? – valoriser la spécificité de leur travail auprès des consommateurs et se distinguer.

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Si la mesure devait être retenue après les nouveaux débats parlementaires qui s’ouvriront dans les jours à venir, puisque l’Assemblée nationale et le Sénat n’ont pas encore trouvé d’accord définitif sur le texte de la loi, c’est une nouvelle standardisation des fromages qui se dessine, mettant en péril une paysannerie française déjà très fragilisée. Mais des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour que les élus fassent marche arrière. La Confédération paysanne a ainsi mis en ligne une pétition pour empêcher la « récupération » du terme fermier par le monde industriel et dénonce que « les producteurs seront lésés, les consommateurs trompés ». Dans les coulisses de l’assemblée nationale, le bras de fer pour sauver une agriculture paysanne se poursuit. Pendant ce temps, le débat public continue d’être miné par des accusations sans fondement contre les végétariens, ce qui aura notamment entrainé un amendement interdisant des expressions françaises telles que « steak de soja », ou encore « fromage vegan » et bien d’autres associations de mots liés à l’alimentation non-carnée. Motif évoqué par le gouvernement ? « Éviter la confusion du consommateur ». Le monde à l’envers.

berger transhumance


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