Amateur de poésie et du verbe, Didier Morisot est un peu un Jean de La Fontaine des temps modernes. Il dépeint et ridiculise les puissants sous le prisme du royaume animal et des rimes au regard de la politique actuelle. Un régal.

Le lion et l’épouvantail

Le climat était lourd au palais du Roi-Lion,

Car l’heure était toujours à la contestation :

Les gens, depuis de nombreux mois,

Manifestaient à tour de bras.

« Nous sommes dans une impasse, disait le Roi, morose ;

Messieurs les conseillers, trouvez-moi quelque chose !

…mais non, j’ai la réponse : il nous faut une guerre

Pour déplacer le trouble au-delà des frontières ! »

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Personne ne prenait la parole,

N’osant bouger, lorsqu’une chouette

Descendue de son Acropole,

Arriva sur ces entrefaites.

« Majesté, ces révolutions

Qui mettent à mal votre royaume

Ne sont en fait que le symptôme

D’un monde en décomposition ;

Voyez l’état de la planète,

La mort des oiseaux, des insectes…

La peur, confusément, fait que les gens défilent

Car ils savent bien aussi leur espèce en péril… »

En attendant d’aller en guerre,

Le lion se gratta la crinière.

« Mais que dis-tu, la chouette, où veux-tu en venir… ? »

« Je vais vous expliquer ; Sire, en fait je veux dire

Que vous avez raison, il nous faut un combat,

Que dis-je, une croisade qui pourrait à la fois

Sublimer le pays et sauver l’avenir

Autour d’un grand projet qui saurait nous unir ! »

Délaissant alors la crinière,

Le lion se gratta le derrière.

« Tu es aussi limpide qu’un avocat d’affaires :

Clarifie ton propos, je ne suis pas d’humeur. »

« Sire, le temps est venu, prenez de la hauteur :

Arrêtons pour de bon d’empoisonner la Terre !

Proposez au pays une vraie révolution,

Limitons la chimie, limitons les avions…

Remettons à sa place ce qui est mécanique,

Cessons de commercer de façon frénétique !

Et sauvons le climat tant que nous le pouvons,

Vous aurez tout l’amour de la population… »

C’est alors que l’autruche interrompit la chouette,

Lui volant dans les plumes, jouant les trouble-fêtes.

« N’écoutez pas, Sire, ces propos,

Ces sottises de vieille écolo :

Agir comme il est énoncé

Reviendrait à nous suicider ! »

Le renard, aussitôt, bondit sur l’occasion ;

« Sire, mon amie l’autruche a tout à fait raison,

Il serait vraiment saugrenu

De saboter l’économie,

De faire sombrer tout le pays

Pour une cause déjà perdue !

Si l’on veut faire l’union, faisons-la autrement :

La peur est à mon sens le plus fort des ciments…

Ce qu’il faut, Majesté, c’est un épouvantail,

Quelque chose d’inquiétant qui rende les gens dociles :

J’ai dans mes connaissances un virus oriental

Capable de tuer un habitant sur mille ! »

Le Roi était perplexe devant un tel sermon ;

Ce discours était-il du lard ou du cochon ?

« Renard… en fait d’épidémie,

Tu conseilles de semer la peur ? »

« Oui, Sire, un peu de comédie :

Donnons le statut de tueur

À ce nouveau virus qui pourrait bien, d’ailleurs,

Faire que certains malades bousculent au portillon ;

Soutenez l’hôpital, posez-vous en sauveur !

Et tant que nous y sommes, freinons la contagion

En maintenant les gens cloitrés à la maison ;

Nos rues seront indemnes de manifestations… »

Son derrière étant bien gratté,

Le Lion se nettoya le nez.

« Renard, je suis le Roi, le Père de la Nation,

Mais toi tu es un maître en manipulation… »

La morale est très simple : vous manquez d’envergure ?

Que l’ennemi, alors, soit à votre mesure :

Dépourvu de courage, et qu’il mette en péril

Surtout ce qui est vieux, malchanceux ou fragile…

– Didier Morisot

Isaac van Amburgh and his Animals. 1839. Royal Collection, Windsor
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