Il existe un matériau disponible à volonté et gratuitement que l’humanité utilise depuis les débuts de l’architecture : la terre crue. Le béton l’a largement supplantée à notre époque moderne mais les défis environnementaux incitent notre regard à se (re)tourner vers elle. C’est justement le propos du nouveau film de Jérémie Basset : Toucher terre, sur la renaissance de l’architecture en terre crue.
Toucher terre nous fait suivre un chantier participatif où des jeunes apprentis bâtissent une habitation avec des techniques et outils rudimentaires. Ce chantier artisanal constitue le fil rouge du film. Son avancée est ponctuée par les interventions d’experts spécialisés en histoire, en archéologie, en architecture, en artisanat…
Les réflexions issues de ces profils variés porter des considérations philosophiques et humanistes. Qu’est-ce que l’architecture en terre, son abandon et sa redécouverte dit de l’humanité, de son rapport à elle-même comme à son environnement ? Autant de questions auxquelles le film donnera des éléments de réponses.
La terre aux origines de l’architecture
L’utilisation de la terre crue dans l’architecture est aussi vieille que l’architecture elle-même, du fait de ses nombreux avantages. La terre est abondante, il n’y a littéralement qu’à se baisser pour en trouver. Elle est aussi facile à extraire, à transporter et à utiliser, le tout sans nécessiter des outils sophistiqués. Des murs en terre crue offraient une protection efficace contre la chaleur dans les régions les plus arides.
Les traces les plus anciennes de construction en terre ont été retrouvées en Mésopotamie et sont vieilles de 11 000 ans. Des vestiges ont parcouru les siècles jusqu’à nous comme ceux d’Uruk (actuelle Irak), considérée comme l’une des premières villes de l’humanité, majoritairement bâtie en briques crues.
Une grande variété de techniques de construction en terre crue sont nées et se sont développées dans le monde entier à travers les siècles. Et pas seulement pour des habitations de taille réduite. On retrouve la présence de terre crue dans des monuments aussi célèbres qu’imposants.
En témoignent les imposantes ziggourats mésopotamiennes bâties entre 2 100 et 600 ans avant notre ère. La grande mosquée de Djenné, au Mali datant de 1907, demeure l’un des plus grands édifices en terre crue au monde. La ville fortifiée de Shibam
Parmi les monuments les plus célèbres : la Grande Muraille de Chine dont certaines portions ont été bâties en terre crue. Rien de plus logique au fond. Les bâtisseurs s’adaptant aux ressources qu’ils trouvaient sur place.
Mais la construction en terre ne se cantonne pas au Moyen-Orient ou aux régions arides. Elle est aussi présente en Europe. Tel le château de Baños de la Encina en Andalousie, bâti au 10ème siècle, le palais de l’Alhambra à Grenade (13ème siècle), ou même en France avec des immeubles du quartier de la Croix-Rousse à Lyon, partiellement construits en terre au 19ème siècle et toujours habités.
Au milieu du 20ème siècle, le plus ancien matériau de construction a laissé la place au béton de ciment perçu comme moderne. La terre, le bois, la pierre, les fibres végétales (chanvre, paille), autant de matériaux naturels et locaux qui ont alors été délaissés. Après la Seconde Guerre Mondiale, le béton a permis de reconstruire rapidement et à bas coût des logements confortables, aérés et lumineux.
À notre époque, le béton est employé à l’échelle mondiale dans le bâtiment, créant un style international commun – et sans âme – dans les grandes villes. « On a une technique qui devient hégémonique, et une perte de liens avec les ressources locales » commente Arnaud Misse, architecte et chercheur au laboratoire CRAterre.
La terre écologique et émancipatrice
Cette boulimie mondiale de béton et cette déconnexion des territoires engendrent des conséquences environnementales désastreuses : urbanisme débridé, perte de la biodiversité, surconsommation de sable, érosion des sols, émissions de CO2 contribuant au dérèglement climatique… Alors, dans le secteur du BTP, la question de rendre le bâti plus écologique se pose depuis quelques années.
Un impératif car si le secteur du bâtiment était un pays, il serait le 3ème émetteur mondial de GAS après la Chine et les USA. Il représente ainsi 37% des émissions de CO2 (en comptant la construction et la consommation d’énergie résidentielle) selon un rapport de l’ONU qui appelle à réduire l’emploi du béton en faveur de matériaux bio-sourcés et renouvelables.
À ces enjeux de réduction de la consommation d’énergie et de ressources, d’émissions de gaz à effet de serre, le matériau terre amène justement des réponses comme nous le rapportions dans un précédent article.
C’est avant tout un matériau naturel et local, ne nécessitant donc nul transport ou transformation énergivores et polluants. Seul l’eau permet de la façonner, pas de recours au feu, ni aux énergies fossiles. Une habitation en terre dispose de régulations naturelles : sa forte inertie thermique lui permet d’absorber la chaleur pour la rediffuser plus tard, amenant du confort tant en hiver qu’en été.
Elle absorbe aussi l’humidité excédentaire pour venir ensuite rééquilibrer l’humidité relative d’une pièce. La consommation d’énergie liée au chauffage et à la climatisation s’en trouve réduite. Enfin, elle offre une isolation acoustique et améliore la qualité de l’air puisque dépourvue des polluants chimiques exhalés par les matériaux industriels.
Un bâtiment en terre crue se révèle plus durable que le béton. Il peut résister plusieurs siècles s’il est bien entretenu. Et si on veut le démolir, sa destruction ne nécessite pas de recyclage : il suffit de rendre la terre à la terre ou de la réutiliser directement.
Les atouts de la terre s’étendent aussi au delà du champ de l’écologie pour toucher au social. Ainsi, l’architecte Anna Heringer déclare dans le film :
« Avec la construction en terre, il n’y a pas de lobby, car vous ne pouvez pas amasser de l’argent ainsi. Il n’y a pas de brevet sur la terre parce qu’elle est partout différente. C’est un matériau local. C’est un matériau très émancipateur. »
N’importe qui peut se lancer dans la construction en terre, avec seulement ses mains, avec ou sans expérience. Nul besoin d’un attirail de protection sophistiqué comme pour couler du béton ou manipuler des produits industriels nocifs. Il existe des outils mais leur utilisation n’est pas indispensable. D’où selon elle, son caractère inclusif et son pouvoir social à reprendre car « notre société a vraiment besoin de meilleures relations ». Ce retour à la terre peut resserrer les liens entre individus.
D’une dimension artisanale à une grande échelle
Extraire la terre, la rassembler en cône pour y verser de l’eau, puis la malaxer ramène immédiatement à des souvenirs d’enfance. Mais la construction en terre à une échelle plus large et plus technique existe également. Elle est d’ailleurs souhaitable pour remplacer l’hégémonie du béton.
En évitant toutefois (re)tomber dans ses travers par le développement d’une économie circulaire locale et humaine. Des machines industrielles savent compacter la terre pour former des pans de murs calibrés qui seront ensuite assemblés sur site. Il est aussi possible de bâtir en terre sous des climats humides, il suffit d’un bon toit et de fondations en pierre pour éviter les remontées capillaires.
Pour l’architecte Philippe Madec, l’avenir du bâtiment, organisé autour du béton, se trouve dans l’adaptation à la réalité éco-responsable contemporaine. Il est nécessaire privilégier les matériaux locaux peu transformés, les filières sèches et réserver l’emploi du béton aux seuls endroits qui en ont besoin :
« Nous pouvons choisir le bon matériau au bon endroit. Et ne plus avoir des bâtiments qui n’ont mis en œuvre qu’une seule matière. »
Philippe Madec ajoute que l’humanité doit cesser de se croire toute puissante sur la Terre. Une Terre qui, à l’occasion de catastrophes naturelles, sait rappeler sa force et ramener l’humanité à l’humilité.
Toucher terre sort au cinéma le 16 octobre.
– S. Barret
Photo de couverture : @Toucher terre