Le 28 avril dernier, la Reine Elizabeth II donnait son assentiment à la proposition de réforme du gouvernement britannique concernant la politique d’asile du pays. Désormais inscrites dans la loi, ces mesures prévoient notamment le renvoi de certains demandeurs d’asile britanniques vers le Rwanda, le durcissement des conditions d’octroi de visas ou encore l’emprisonnement des migrants qui débarquent sur les plages d’outre-manche sans autorisation. Si Priti Patel, la Ministre de l’Intérieur, se félicite en qualifiant ce moment d’”historique”, les organisations internationales et associations s’attristent de cette nouvelle réforme, alors que plus de 28 000 personnes avaient tenté de rejoindre les côtes britannique en 2021. L’une d’entre elles à d’ores et déjà attaqué le gouvernement en justice pour non-respect de ses obligations internationales en matière de protection des réfugiés. Explications.
Boris Johnson aura tenu ses promesses : après le Brexit, le Royaume-Uni se réapproprie définitivement ses frontières, notamment au regard des mouvements migratoires que connaît le pays. C’est en tout cas ce qu’a annoncé Priti Patel, la Ministre de l’intérieur connue pour sa fermeté sur le sujet, dans une vidéo de plus de deux minutes publiée sur son compte Twitter. Qualifiant le moment d’”historique pour le pays”, elle se félicite de la nouvelle réforme du droit des étrangers finalement adoptée qui constitue selon le gouvernement de Londres “la plus grande refonte du système d’asile au Royaume-Uni depuis des décennies”.
🇬🇧 With The Borders Act secured, we will ensure our immigration system protects those in genuine need while cracking down on abuse and evil people smuggling gangs.pic.twitter.com/M2WbEzMpOy
— Priti Patel MP (@pritipatel) April 28, 2022
Une politique anti-immigration assumée
Et pour cause, aujourd’hui détaché des traités européens, le Premier Ministre britannique entend durcir les conditions d’immigration vers le royaume. Avec ce projet de loi intitulé Nationalité et frontières, il met en place une panoplie de nouvelles mesures destinées officiellement à lutter contre le trafic d’êtres humains aux frontières et à la multiplication de passeurs. En réalité, les acteurs associatifs du secteur comme la Croix-Rouge ou Amnesty International dénoncent une réforme xénophobe et inhumaine.
Le gouvernement britannique entend criminaliser et sanctionner sévèrement les tentatives d’entrée illégale en Angleterre. Les migrants qui débarquent presque quotidiennement sur les plages du Kent encourent désormais des peines de prison, même s’ils souhaitent demander l’asile et sont donc potentiellement victimes de persécutions.
Externaliser les demandes d’asile ?
Priti Patel a également passé un accord avec le Rwanda, rendant désormais possible l’externalisation du traitement des dossiers d’asile. Concrètement, certains réfugiés pourraient donc être renvoyés au Rwanda le temps de l’examen de leur demande d’asile, soit une période qui s’étend souvent sur plusieurs mois, voire plusieurs années dans les cas les plus complexes.
Dans le cas où leur demande de protection serait acceptée, ils ne bénéficieront plus que d’un statut temporaire au Royaume-Uni, régulièrement réévalué et potentiellement révoqué. De même, leur accès aux prestations sociales sera considérablement réduit. Pour les autres, ils seront “rapidement” expulsés du pays, selon la Ministre de l’Intérieur.
Le problème ? Criminaliser et sanctionner lourdement les personnes qui entrent illégalement sur un territoire en vue d’y demander l’asile c’est balayer d’un revers de main l’obligation de protection des individus victimes de persécution dans leur propre pays.
Actuellement, il n’existe aucune voie légale et sûre pour une personne qui désire immigrer en Angleterre si elle n’est pas en possession d’un visa. Or, il est impossible de réclamer l’asile au sein des ambassades britanniques. Il faut être sur le sol anglais pour espérer bénéficier d’une protection internationale telle que définie par la Convention de Genève de 1951.
Ouvrir des voies sûres et légales de migration
David Davis, ex-ministre de Theresa May, souligne cet état de fait dans les colonnes du Monde : « au lieu d’une stratégie se consacrant exclusivement à empêcher les arrivées, le gouvernement devrait créer des routes légales pour les authentiques réfugiés. Les migrants fuyant la répression en Iran ou la famine au Yémen ne peuvent pas réclamer l’asile dans les ambassades britanniques. Leurs seules options sont illégales, ou dangereuses, ou les deux. »
A propos de ce discours, on relèvera tout de même la différenciation biaisée et de plus en plus répandue qui est faite entre « bon » et « mauvais » migrant : un prisme politique qui charrie en réalité de lourdes problématiques sur le plan sociétal et moral comme l’explique Jocelyne Streiff Fénart, chercheuse au CNRS, dans une Tribune du Monde : Des « bons » et des « mauvais » immigrés ? ». Ou comment nous avons fini par adopter la « désignation d’une catégorie d’indésirables en contrepartie de notre « générosité » envers ceux que nous jugeons dignes d’en être bénéficiaires »…
L’agence des Nations-Unies pour les Réfugiers (HCR) déplore elle aussi l’adoption des propositions du gouvernement britannique qui est, selon le Haut-commissaire Filippo Grandi, “en porte-à-faux avec la législation internationale et la pratique en matière de protection des réfugiés”.
Ce dernier si dit également préoccupé par l’intention du Royaume-Uni d’externaliser leurs obligations en matière de protection des réfugiés et des demandeurs d’asile vers d’autres pays, en l’occurrence le Rwanda, qu’il estime être “à l’encontre de la lettre et de l’esprit de la Convention relative au statut des réfugiés, à laquelle le Royaume-Uni a adhéré”.
Une première action en justice contre la réforme
C’est d’ailleurs sur ce point qu’une première action en justice a été intentée contre le gouvernement britannique. Déposée par le cabinet d’avocats InstaLaw, la contestation judiciaire stipule que les propositions du ministre de l’Intérieur sont contraires au droit international et à la convention des Nations Unies sur les réfugiés, ainsi qu’à la loi britannique sur la protection des données. Leur client, un demandeur d’asile iranien, craint d’être envoyé à Kigali dans l’attente de l’examen de son dossier et de ne pas bénéficier de l’accompagnement adéquat.
Larry Bottinick, représentant par intérim du HCR en Grande-Bretagne, le rejoint sur ce point dans un article du média The Observer : « il y aura des problèmes aussi fondamentaux que l’interprétation pour les locuteurs vietnamiens et albanais. Les principaux arrivants au Royaume-Uni comprennent également des Iraniens, des Irakiens et des Syriens. Nous avons de sérieuses inquiétudes quant à la capacité du Rwanda à intégrer ces groupes.” Il est à peu près certain que d’autres actions de ce type suivront dans les prochains mois, mettant à mal le dessein du premier ministre britannique.
En attendant, l’adoption de ces nouvelles mesures condamne des milliers de migrants à un avenir encore plus flou, dangereux et insécurisant. Alors que les pays seront de plus en plus fragilisés qu’ils ne le sont déjà par un contexte de crise climatique, et donc sociale, grandissante, nous devrions faire plus que jamais preuve de solidarité et de cohabitation. Comme le souligne Steve Valdez-Symonds, directeur du programme Droits des réfugiés et des migrants à Amnesty International UK, « c’est un jour bien sombre pour les réfugié·e·s qui fuient les conflits et les persécutions à travers le monde”. C’est un jour bien sombre pour notre humanité.
L.A.
Autres sources :
- https://www.infomigrants.net/fr/post/40187/royaumeuni–la-reforme-controversee-du-droit-dasile-inscrite-dans-la-loi
- http://www.espoirdasile.org/artc/Royaume_Uni__Reforme_du_droit_d_asile/1168/fr/article/
Photo de couverture gauche @euronews/Flickr