D’après une nouvelle étude réalisée conjointement par des chercheurs de l’Académie chinoise des sciences et la Société zoologique de Londres, le dugong aurait officiellement disparu des eaux chinoises après les avoir fréquentées pendant plusieurs centaines d’années. Le dugong été autrefois présent en abondance dans les eaux côtières de l’Afrique de l’Est au Vanuatu, en passant par la Nouvelle-Calédonie et le Japon. Le développement des activités humaines et les pertes de plus en plus considérables de son habitat menacent désormais l’avenir de ce mammifère marin dans l’ensemble de ces régions du globe.
Bien que le dugong ait rejoint la liste des espèces protégées par le Conseil d’État chinois en 1998, ce mammifère qui a longtemps inspiré les légendaires et mythiques sirènes dans les récits marins n’a plus été observé dans les eaux du Sud de la Chine depuis 2008.
« Nos recherches apportent des preuves solides de la disparition d’une énième espèce de mammifère marin en Chine, et ce une fois de plus sous l’effet des pressions exercées par les activités humaines non durables », s’est attristé M. Turvey, l’un des auteurs de l’étude publiée dans le magazine scientifique The Royal Society Open Science.
L’étude se base sur une large enquête scientifique menée dans quatre provinces chinoises auprès des communautés locales et de différentes parties prenantes impliquées dans l’utilisation des ressources marines, au cours de laquelle ont été analysées les données historiques sur la répartition des dugongs dans les eaux chinoises. Sur les 788 personnes interrogées, 5% d’entre elles ont rapporté avoir observé le mammifère dans le passé, avec une date moyenne remontant à 23 ans. Seules trois personnes ont indiqué l’avoir possiblement aperçu au cours des cinq dernières années.
Selon les auteurs de l’étude, les enregistrements historiques du dugong atteignent un pic au début des années 60 et diminuent rapidement à partir de 1975. Enfin, aucun enregistrement n’est documenté après 2008, et aucune observation de terrain vérifiée après 2000.
Face à ce constat, les résultats de cette étude révèlent qu’après avoir connu un effondrement de ses populations au cours des dernières décennies, les dugongs sont aujourd’hui considérés comme étant fonctionnellement éteints en Chine.
Destruction de leur habitat naturel
Contrairement aux lamantins, leurs cousins d’eau douce, les dugongs vivent principalement dans les eaux océaniques subtropicales et sont les seuls mammifères marins à suivre un régime exclusivement végétarien.
Surnommés les « vaches des mers », leur survie est intimement liée aux prairies marines. Dépendant de ces écosystèmes pour leur quête de nourriture, ils participent également à leur sauvegarde. En broutant les herbes marines, ils favorisent la régénération de ces écosystèmes fondamentaux pour la préservation de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique.
En effet, les pairies marines servent d’habitat et de nurserie, et représentent une source de nourriture pour de nombreuses autres espèces marines. Elles protègent également les côtes en absorbant l’énergie des vagues, participent à la production d’oxygène, et surtout constituent de véritables puits de carbone.
Hélas, le développement côtier, la pollution de l’eau et l’intensification des phénomènes d’eutrophisation, processus au cours duquel la prolifération des algues est exacerbée en raison de l’augmentation du rejet de nutriment dans les eaux par les activités humaines, empêchant ainsi la photosynthèse des herbiers, ont accéléré la réduction et destruction de leur habitat naturel. À cette catastrophe écologique s’ajoute les conséquences de la chasse, l’augmentation des chocs violents avec les coques des bateaux et l’enchevêtrement mortel dans les engins de pêches.
Classés comme espèce vulnérable sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union International pour la Conservation de la Nature, les dugongs se sont déjà éteints dans nombreuses régions du monde.
Projet de restauration des herbiers marins
« La présence ou l’absence de dugongs nous en dit long sur la santé d’un écosystème, sa diversité et ses niveaux de pollution », a déclaré Mirey Atallah, cheffe de l’unité « Climat pour la nature » du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Alors que les populations de dugongs sont globalement menacés, Abu Dhabi a récemment établi un plan visant à restaurer 12 000 hectares de mangroves, récifs coralliens et herbiers marins afin de lutter contre la disparition du seul mammifère marin herbivore de l’océan.
Avec l’élaboration de ce plan, les scientifiques espèrent rétablir les populations d’antan qui se comptaient par milliers au large des côtes des pays du Golfe, deuxième plus grande population de dugongs après l’Australie. Par ailleurs, ils espèrent également que ces politiques de restauration agissent comme effet parapluie pour de nombreuses autres espèces de la région, dont notamment 4 espèces de tortues marines, trois espèces de dauphins, et pas moins de 500 espèces de poissons menacées par la détérioration des récifs coralliens et prairies marines au large des Émirats Arabes Unis.
La restauration des écosystèmes comme solution naturelle pour la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de la biodiversité sera notamment à l’ordre du jour de la prochaine conférence de l’ONU sur la biodiversité qui se tiendra en décembre à Montréal.
Face à l’effondrement de la biodiversité, il est important de rappeler que sans elle, notre futur à tous est compromis.
– W.D.
Dugong Marsa Alam (Egypt), 2008 @Julien Willem/Wikicommons