L’agriculture verticale est avantageuse en matière de gain de place, de temps de culture et de consommation en eau. Elle peut répondre, en complémentarité avec l’agriculture traditionnelle, à des situations critiques de l’écologie actuelle. Pour autant, elle présente aussi quelques limites qu’il ne faudrait pas invisibiliser. Analyse en demi-teinte.

Bien que récente, cette agriculture verticale, hors sol et urbaine, s’inscrit en prolongement de techniques millénaires comme l’aquaponie, l’aéroponie et l’hydroponie. Pour autant, cette pratique ressemble plus à une innovation technologique, quand elle est exercée intensivement, qu’à un savoir-faire ancestral. À partir du témoignage d’un fervent pratiquant de l’agriculture verticale et de l’exemple d’initiatives existantes, en voici un état des lieux.

Militer pour une agriculture verticale

Santiago Helou milite pour la protection de l’environnement. Il vit depuis longtemps au Canada et s’est intéressé de près à l’agriculture verticale dans les centres urbains environnants qu’il fréquente. Il va d’ailleurs chercher sa roquette à Goodleaf, une ferme verticale située à 70 km de Toronto, dans la ville de Guelph.

Ce type d’agriculture l’a rapidement captivé tant pour son aspect dynamique, dans un milieu où l’agriculture est un métier qui attire de moins en moins de main d’oeuvre, que pour son adaptabilité aux enjeux climatiques : « L’agriculture verticale est l’une des nombreuses solutions nécessaires pour créer une industrie agricole plus durable, à la fois écologique et capable d’éliminer l’insécurité alimentaire. Il ne s’agit pas d’une solution miracle et elle devra faire partie d’une stratégie plus large qui implique une restructuration radicale des institutions de notre société ».

Une réponse adaptée aux enjeux climatiques

La crise climatique pourra entrainer une catastrophe pour l’agriculture mondiale dans les années à venir. S. Helou alerte sur cette déflagration potentielle pour laquelle il faut être préparé : «Le moindre changement climatique peut avoir des conséquences dramatiques sur l’agriculture, ce qui peut créer une crise de pénurie alimentaire sans précédent. Cette agriculture permet de créer un environnement contrôlé moins gourmand en eau que l’agriculture traditionnelle ».  L’eau est, en effet, une ressource rare de plus en plus privatisée, l’agro-industrie en est aussi une grande consommatrice.

Selon S. Helou, l’agriculture verticale permet de réduire drastiquement les dépenses liées aux transports entre le lieu de production et le lieu de vente. Les aliments sont cultivés plus près de leur lieu de consommation. La part de l’empreinte carbone est ainsi diminuée car l’agriculture verticale se développe uniquement dans des circuits courts. 

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Ces fermes verticales peuvent aussi être un rempart au manque de réactivité des institutions : « Compte tenu de l’inaction des gouvernements et des entreprises du monde entier face à la crise climatique, il est probable que nous devions commencer à développer ces infrastructures ! ». En soulignant le manque d’aide des institutions concernant la sphère agricole, S. Helou touche aussi du doigt, la question de l’autonomie alimentaire qui, comme nous avons pu en être alerté pour notre dépendance au blé russe ou ukrainien ou encore pour la mondialisation constante de nos échanges agricoles en flux-tendu et hors-saison, est une question épineuse mais prioritaire.

Des fermes verticales en pleine expansion

L’agriculture verticale se serait développée dans les années 2000 au Japon. Elle est actuellement en pleine croissance aux États-Unis. Aux Pays bas, avec la montée des eaux, placer les cultures en hauteur permet de contourner cette difficulté. En France, on en est encore aux balbutiements de l’exploitation de cette agriculture.

Dickson Despommiers en serait l’inventeur en mettant en place à la fin des années 90, des fermes urbaines et verticales. Son souhait était alors de répondre à l’augmentation exponentielle de la démographie et aux exigences propres à cette urbanisation. L’agriculture urbaine verticale voit fleurir depuis plusieurs années d’autres types de structures comme les murs et le mobilier urbain végétalisés.

Dans un temps plus lointain, les supposés jardins de Babylone étaient des jardins suspendus, ancêtres de l’agriculture verticale, reposant sur des systèmes d’irrigation ascendants nommés vis hydrauliques

Il faut savoir que ces systèmes d’agriculture verticales reposent sur des techniques déjà existantes comme l’aquaponie : système de culture qui unit les plantes aux poissons. Dans une version plus technique de l’agriculture verticale, les plantes y sont cultivées dans de grands systèmes intérieurs plongés dans le noir uniquement éclairées par des LED. Ces cultures s’appuient sur des systèmes de capteurs automatisés et des IA, pour certaines.

Une approche à mi chemin entre technique et agriculture traditionnelle

En France, l’exemple de la cité maraichère de Romainville est évocateur. Il s’agit d’une serre hors-sol sur substrat circulaire composé à partir de biodéchets. Des pleurotes et certains fruits y sont cultivés. 

Depuis 2020, la Pousseraie à Nice investit ce style d’agriculture urbaine en utilisant le moins de place possible, un atout dans la ville, là où les prix du foncier explosent. 

« Nous cultivons principalement des herbes aromatiques : micro pousses, feuilles, plantes-feuilles. Notre cycle de culture est relativement court : inférieur à deux mois de culture. S’agissant d’une agriculture hors-sol, nous utilisons des substrats inertes comme le chanvre et le coco. Nous avons recours à l’aquaponie. Nous n’utilisons pas de produits phytosanitaires tout en faisant des économies d’eau en comparaison d’une agriculture traditionnelle » affirme Damien, cofondateur de la Pousseraie avec Blanche et Juliette.

Des cultures issues de l’agriculture verticale. Photo de la Pousseraie

Les trois fondateurs se revendiquent cultivateurs car ils réalisent le processus agricole de A à Z : « On sème, on cultive en réinvestissant le cycle complet de la graine. Nous cultivons dans une atmosphère contrôlée avec une production constante, sans grande dépendance à trop de facteurs externes sauf pour l’électricité ».

Damien est convaincu qu’il s’agit d’une agriculture qui va se développer en parallèle de l’agriculture traditionnelle. Même si l’agriculture verticale ne peut pas être la seule réponse, elle peut possiblement aider les populations. « On a privilégié une approche low tech permettant une réduction au niveau des coûts. On a fait un compromis entre le technique et le traditionnel », assure t’il. Ils ont par exemple mis en place un système hydraulique gravitaire qui permet de verser de l’eau dans les cultures en faisant appel à la gravité plutôt que des systèmes de pompes complexes et automatisés. 

Exemple de micropousses. Photo de la Pousseraie

En Afrique ou au Moyen-Orient, les problématiques de sécheresse toujours plus fortes entrainent un intérêt accru envers ce type d’agriculture. En Ouganda, des femmes pratiquent désormais l’agriculture verticale.

Une agriculture végétale innovante mais énergivore

L’agriculture verticale recèle aussi quelques limites. En effet, la sélection encore étroite des cultures, comme le signale S. Helou, ne va pas dans le sens de la nécessaire diversité agricole : « Les légumes verts à feuilles et les cultures courtes poussent bien dans cet environnement, mais il n’est actuellement pas adapté à la culture des céréales ou à des cultures plus hautes ».

Autre problématique ? Le prix de l’électricité qui est très utilisé dans ce type d’agriculture. S. Helou montre que les énergies renouvelables peuvent être une solution. « Les progrès réalisés dans ce domaine ont été considérables au cours des deux dernières décennies et il n’y a aucune excuse pour ne pas utiliser ces technologies afin de garantir que nos réseaux énergétiques soient alimentés à 100 % par des énergies renouvelables » s’exclame t’il.

Les lumières artificielles entraînent un coût certain pour la Pousseraie : « Nous sommes une entreprise avec des moyens financiers modestes ce pourquoi nous n’avons pas pour objectif de nourrir le plus de personnes possible comme certaines grandes infrastructures le projette ». Pour produire il faut des investissements conséquents en termes de structures.

Et qu’en est-il justement de cette vision techniciste de l’agriculture ? N’y a t’il pas un risque de perdre ce qui fait l’essence même de l’agriculture, à savoir la naturalité, l’agroécologie ou encore le savoir-faire paysan ? Certaines agricultures verticales hyper modernes peuvent renforcer la tournure mercantile et industrielle amorcée par l’agroindustrie. Gageons qu’il soit possible de parvenir à un équilibre entre technique et traditionnel pour justement ne pas renforcer la dépendance de cette agriculture à des ressources énergétiques limitées et aux nouvelles technologies.

– Audrey Poussines


Photo de couverture : Visite de la ferme verticale urbaine « RusEco » (S. Sobianine ; novembre 2019). Wikicommons.

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