La Commission internationale des journalistes d’investigation (ICIJ) qui a rendu public le scandale des Panama Papers a publié un clip dénonçant les conséquences sociales des sociétés pratiquant l’évasion fiscale. Prostitution d’orphelins mineurs en Russie, approvisionnement en carburant occulte de l’aviation syrienne, soustraction au fisc d’un pays ravagé par la pauvreté : ceux qui exigent des peuples qu’ils fassent des sacrifices ne reculent devant rien pour mettre à l’abri leur butin, quitte à encourager les pires exactions.

Avec ses 2,6 téra-octets de données et quelque 11,5 millions de fichiers, les révélations autour des Panama Papers sont loin de toucher à leur fin. Si, jusqu’à présent, beaucoup a été dit et écrit au sujet des auteurs d’évasion fiscale (dictateurs et dirigeants élus, dirigeants capitalistes, personnalités du sport, narcotrafiquants…), l’attention ne s’est pas encore portée sur les victimes de ces forfaits fiscaux et les conséquences concrètes de l’évasion fiscale sur le monde.

Pourtant, le caractère secret et massif de cette évasion fiscale, estimée entre 17 et 26 000 milliards d’Euros par an, a des causes et des conséquences très graves. La plus évidente, bien entendu, est la perte de revenus pour l’État, donc d’investissement dans les infrastructures et services publics (santé, éducation, justice…). Sous l’effet d’une application têtue des dogmes néolibéraux (coupes des dépenses publiques, privatisations…), et au prétexte d’une pseudo-crise, divers pays européens – en particulier la Grèce, l’Espagne ou le Portugal – ont vu fondre au soleil leurs services publics. Mais ce qui est déjà lourd de conséquences dans des pays relativement riches, l’est encore plus dans des pays pauvres et corrompus.

Soustraire 400 millions de dollars au fisc dans un pays de misère

Ainsi, ce court-métrage du Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), réalisée avec le Centre Pulitzer, révèle le cas d’une des sociétés clientes du cabinet d’avocats Mossack Fonseca (qui organise des centaines de sociétés-écrans et a déjà été impliquée dans le grave scandale d’État brésilien Petrobras), une compagnie pétrolière en Ouganda. Pour éviter de payer 400 millions de dollars d’impôts, le pétrolier a mandaté Fonseca pour réaliser une simple formalité : déplacer l’adresse de la société d’un paradis fiscal à un autre. « Dans un pays où une personne sur trois vit avec moins d’1,25 dollar par jour, 400 millions de dollars représentent plus que le budget annuel pour la santé« .

La société en question, spécialisée dans l’exploitation de gaz et de pétrole, est Heritage Oil, sise dans le paradis fiscal de Jersey. Grâce à Mossack Fonseca, Heritage Oil a évité l’acquittement de 400 millions de dollars au fisc ougandais après la vente en 2010 de champs pétroliers à une autre société pétrolière Tullow pour 1,5 milliard de dollars, révèle un article de CBC. Des documents issus des Panama Papers montrent que Heritage Oil a demandé le déménagement de sa compagnie le paradis fiscal de l’île Maurice. Autrement dit : la société qui exploite à son profit le pétrole d’Ouganda s’est efforcée de ne pas payer ce qu’elle doit à ce pays. « Pendant ce temps, à l’ombre des champs pétroliers, les hôpitaux manquent d’argent pour les équipements les plus rudimentaires. Les patients dorment à même le sol ; on leur demande d’apporter leur propre matériel médical stérile, comme des gants ou des pansements ».

Ainsi, ce sont des citoyens déjà précarisés qui souffrent visiblement de cette évasion organisée à l’échelle mondiale. Et ceci ne représente qu’un seul des nombreux cas observés.

povery_panama_papersPhotographie : Nixon Segawa

Prostitution de mineurs et approvisionnement clandestin de l’armée syrienne

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Mais l’ICIJ va plus loin en pointant du doigt des hommes d’affaires Russes qui ont « kidnappé des orphelines parfois âgées de 13 ans, les ont violées, puis les ont vendues comme esclaves sexuelles (…). L’un des chefs de ce réseau était un client de Mossack Fonseca. Lorsque la société a découvert qu’il était un pédophile, elle a décidé qu’elle n’avait aucune obligation légale de déclarer le business offshore de son client« . Le phénomène est connu : d’après l’association Children’s Hope Chest, 60% des orphelins entreraient dans la prostitution pour survivre et, d’après le Washington Post, « des centaines de filles auraient disparu, passant d’orphelinats à la prostitution, leurrées par la promesse d’un emploi, pour certaines d’entre elles, et d’autres enlevées ». L’estimation de la police russe donne le chiffre de 50 000 victime du trafic sexuel à Moscou en 2007, dont une majorité a tout au plus 16 ans.

Fonseca, qui, on ne cessera de la rappeler, n’est qu’une des nombreuses sociétés du genre, aurait donc volontairement fermé les yeux sur ces activités illégales. Pire encore, l’ICIJ signale le rôle de Mossack Fonseca dans les bombardements de l’aviation civile syrienne sur les populations du pays. Le cabinet panaméen aurait en effet permis, par la création de sociétés-écrans, que des entreprises privées puissent continuer à fournir en combustible l’aviation de Bachar el-Assad, alors que l’Union européenne et les États-Unis avaient prononcé des sanctions contre elles. En dépit des divisions idéologiques sur la question syrienne, la manœuvre aura permis à des géants de l’industrie fossile de faire du profit sur un conflit qui finira par s’envenimer au-delà de toute proportion.

Et maintenant ?

L’affaire Panama Papers a le mérite majeur de souligner un phénomène d’envergure, face cachée d’une mondialisation de connivence : la finance occulte, l’amoralité des institutions du capital et la soustraction forcenée d’une élite aux obligations fiscales. La chose est, évidemment, d’autant plus choquante que, parmi les noms révélés, figurent de nombreux dirigeants élus qui, par l’avancement de politiques d’austérité et de démantèlement des services sociaux, exigent des populations de faire davantage de sacrifices. Mais le cabinet Mossack Fonseca n’est, peu ou prou, que l’arbre qui cache la forêt : d’après The Economist, le cabinet détiendrait « seulement 5 à 10% du marché global des sociétés-écran. » Ainsi, bien d’autres scandales risquent d’éclater, seulement si on laisse la liberté d’expression aux lanceurs d’alerte à l’heure où l’Union européenne renforce le secret des affaires.

NB : L’ICIJ a annoncé qu’elle publiera début mai la liste complète des sociétés et des personnes impliquées.


Sources : LeMonde.fr / El-Nacional.com / Wikipedia / un article de CBC.ca / WashingtonPost.com / HopeChest.org / Economist.com / PanamaPapers.ICIJ.org

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