Les petits pas ne suffisent pas ! est d’abord un livre né du ras-le-bol de la dessinatrice Muriel Douru et de l’activiste Nicolas Hulot qui semble vouloir prendre une posture plus radicale. Celui de voir que, dans la grande lutte contre la destruction du vivant, notre inertie générale l’emporte sur les véritables actions. C’est ensuite un album qui remet les pendules à l’heure, à travers des illustrations pédagogiques, des chiffres et des scénettes explicites sur l’urgence écologique. Et c’est enfin une synthèse exceptionnelle de notre situation. À celles et ceux qui n’y voient plus très clair et ont besoin d’un bilan efficace, de relancer leur motivation ou de mettre à jour leurs connaissances : présentation d’un ouvrage clef.

Pour la réalisation de Les petits pas ne suffisent pas!, Muriel Douru a mis ses talents d’illustratrice et ses expériences d’activiste au service d’une histoire de vie, aussi riche que complexe, celle de Nicolas Hulot. Les rencontres marquantes de l’ancien photographe devenu ministre, ses explorations, ses préoccupations, ses arguments, mais aussi ses remises en questions, ses désillusions, ses échecs et ses erreurs… Voilà le fil rouge à travers lequel nous saisirons, page après page, l’étendue du désastre dans lequel nous nous trouvons collectivement. 

Guidé par les aventures du célèbre environnementaliste, l’ouvrage se permet d’aborder un large spectre d’enjeux et de nommer de front les causes profondes du drame environnemental. Pas question pour les auteurs de parler jardinage : la lutte écologique est politique, et ils comptent bien en rendre compte. Comment ? En nous donnant accès à des sphères inhabituellement exposées, comme à des données scientifiques essentielles. La vue d’ensemble offre alors l’occasion de faire le point sur un réalité parfois glissante et, de fait, on ne peut plus paralysante.

 

Présentation : Muriel Douru et Nicolas Hulot à la barre.

« Défendre la nature, c’est DÉFENDRE l’être humain, ce n’est pas un combat secondaire, optionnel, à remettre plus tard, c’est un combat prioritaire, car si la nature peut se passer de nous, nous ne pouvons pas nous passer d’elle…mais le temps presse ! » – Nicolas Hulot

Si le nom de Nicolas Hulot nous est tous plus ou moins familier, pour avoir été le présentateur phare de l’émission Ushuaïa de 1998 à 2021, puis avoir créé sa Fondation pour la Nature et l’Homme en 1995 et enfin, plus récemment, pour avoir été le ministre de la Transition écologique et solidaire en 2017 sous le mandat d’Emmanuel Macron, peu connaissent son parcours en détails.

Dévoué à la cause environnementale, Nicolas Hulot s’est toutefois également confronté à des désapprobations, notamment pour avoir rallié le gouvernement En Marche. Il a aussi été en proie, comme beaucoup qui tentent de changer les choses depuis l’intérieur, à des contradictions qui n’ont pas manqué de lui être reprochées. Mais connaît-on vraiment les réflexions cachées derrières ces décisions ? Quelles forces dont nous n’avons pas conscience agissent loin des écrans TV et des actualités ?

Tout en assumant les paradoxes qui le traversent et l’évolution permanente à laquelle il se prête volontiers, Nicolas Hulot nous livre ici, sous l’apparence de son personnage illustré, les nuances de sa pensée écologique, les murs auxquels il s’est heurté, les espoirs qu’il a cultivés et ceux qu’il a dû abandonner. Mais il ne s’agira pas que de lui. L’ouvrage se sert en réalité du parcours multidisciplinaire de l’ancien présentateur pour nous plonger dans les différents aspects qui jalonnent la cause environnementale. Des agriculteurs aux politiciens, en passant par les lobbyistes ou les relations étrangères : la vie de l’ex-présentateur nous emmène au cœur des structures sociétales et de leurs problématiques pour mieux comprendre notre stagnation. Et pour, qui sait, enfin emboîter le pas à l’inertie vers une véritable lutte en faveur du vivant.

Pour mettre en scène avec authenticité les aléas de Nicolas Hulot au pays de l’impuissance écologique, l’ouvrage a pu compter sur une co-auteure et illustratrice : Muriel Douru. A l’origine de plusieurs bandes dessinées qui abordent l’homosexualité, le féminisme et la PMA (procréation médicalement assistée), dont Beyond the Lipstick, chroniques d’un coming out, Muriel Douru s’est aussi faite connaître dans la lutte contre les inégalités et la défense animale. Elle reçoit notamment le prix Out d’Or en 2017 pour ses Chroniques d’une citoyenne ordinaire engagée.

En 2020, la rencontre de ces deux activistes, soucieux de l’avenir du vivant, permet l’aboutissement d’un album graphique frappant de près de deux cents pages. Suffisant pour faire un état des lieux du tourbillon complexe dans lequel nous sommes emportés ? Les deux auteurs nous en font la démonstration.

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La crise écologique, à qui la faute ? 

Penser l’écologie, littéralement la science de l’habitat, c’est savoir aborder sans détour : les conséquences du néo-colonialisme, celles de l’agriculture intensive, celles des intrusions lobbyistes et de la puissance industrielle, les contradictions de la chasse, nos propres contradictions citoyennes, les ventes d’arme, celles des produits toxiques, la disparition irréparable des espèces, celle de la démocratie et, plus généralement, la gravité inestimable des décisions politiques et législatives, enclines à prioriser l’économie sur les écosystèmes dont nous faisons pourtant partie… Autant de thèmes qui n’ont définitivement pas échappés aux deux auteurs, déterminés à éveiller les consciences sur tous les aspects insoupçonnés de la défense environnementale.

Sur les privilèges de classe, le livre rappelle par exemple que « La puissance matérielle d’une partie de l’humanité, la plus privilégiée, est telle que les chercheurs l’envisagent désormais comme une force géologique capable de modifier le système Terre ». Or : « Nous avons une communauté d’origine et une continuité de destin avec le vivant, mais parce que nous nous sommes hissés tout en haut de la pyramide, tant d’un point de vue éthique que technologique, nous l’avons oublié ». Autrement dit, il n’y aura pas d’écologie sans remise en question de nos modèles verticaux ou de notre héritage anthropocentriste, ni sans lutte sociale contre le monopole de privilèges démesurés, en mesure de détruire la planète contre l’avis de tous.

 

Page 31, la BD aborde notre enlisement quotidien dans les petites tâches pour illustrer à échelle individuelle combien nous sommes loin de l’essentiel : nous avons été coupés de la nature, de son rythme, de ses besoins, de nos besoins fondamentaux. Supermarchés, rendez-vous médicaux, administratifs, injonctions sociales, professionnelles : « Nous vivons « Hors-sol », dans des décors urbains, qui occultent complètement l’environnement ». Une conclusion qui fait écho à l’inconfort et au stress généralisés de notre siècle, amputés que nous sommes des résonances du vivant, dont l’interaction continuelle avec nos sens est pourtant primordiale.

Les pages suivantes se consacrent, sinon, aussi bien aux forêts rasées et remplacées par des champs artificiels d’arbres consommables, qu’aux diktats de l’audimat télévisuel qui nivellent nos réflexions vers le bas et empêchent sans bruit le développement de notre connaissance nuancée du monde et de notre esprit critique, ou à l’état des lieux dystopique de nos océans.

Mais plus loin, et le sujet est assez rarement abordé pour le souligner, il est aussi question de néo-colonialisme. Nicolas Hulot, à travers le trait de Muriel Douru, explique le rôle éminemment important que joue la domination occidentale politique et industrielle sur d’autres pays dans la destruction de notre planète : « Le schéma est toujours le même : les grandes multinationales repèrent dans les pays du Sud des gisements de matières premières, elles donnent de quoi construire un hôpital ou un aéroport en contrepartie des concessions d’exploitations et elles repartent avec 97% des richesses. Les 3% restant allant directement dans les poches des personnalités locales corrompues ».

Longtemps considérés comme séparés, isolés les uns des autres, indépendants de leurs voisins, certains pays se sont permis et se permettent encore aujourd’hui les pires politiques sur d’autres territoires en imaginant qu’elles y resteront consignées. Trafics de déchets illégaux à destination de décharges à ciel ouvert au cœur de régions pauvres, extraction et intoxication des terres, exploitation d’une main-d’oeuvre piégée dans des conditions sanitaires désastreuses : en réalité, nos modes de vies 2.0 jouissent principalement du néocolonialisme économique de territoires qui sont pourtant intrinsèquement liés aux nôtres.

Nous parcellisons tout, à rebours du fonctionnement globalisé des organismes terrestres. Et, ainsi, de la même manière que nous avons oublié notre lien indéfectible avec la nature, nous avons omis de penser celui qui nous tient tous ensemble sur Terre.

Bien sûr, le livre ne se prive pas de représenter l’enfer des abattoirs qui repose sur notre morale spéciste et l’écran flamboyant de la publicité : « 2000 bêtes sont tuées par seconde pour fournir la viande que nous consommons, soit 65 milliard d’animaux par an, 150 milliards si on y ajoute les poissons, une véritable hécatombe qui s’organise, à l’échelle industrielle et en toute impunité, loin de nos yeux et de nos assiettes ». Et la chasse n’est pas en reste souligne-t-on plus loin, tout comme la bétonisation grandissante des espaces, ou encore la pollution des transports… Autant de constats alarmants qu’on entend pourtant depuis des années se répéter sans solutions efficaces. Alors que faire ? Pourquoi n’en sort-on pas ?

 

Le rôle vedette revient à la politique…

Réguler. Réglementer. Légiférer. Nicolas Hulot, s’il reconnaît que nous avons chacun un rôle à jouer en tant que citoyen dans la mise en action de nos convictions, conclut aisément que les détenteurs du pouvoir politique direct sont en grande partie responsables de l’inertie sociétale. Un paradoxe, pour lui qui fit ministre de l’écologie sous Macron ? Si impuissant face à la machine libérale qu’il finit par démissionner.

D’abord en tant que conseiller, puis au poste de ministre, la figure emblématique de la lutte écologique s’est rapidement retrouvée piégée dans les règles du monde politique : les grands effets d’annonces y produisent en boucle des petits pas. L’ouvrage, en plus de répertorier ces lâchetés quotidiennes et médiatisées, en inventorie les origines : court-termisme, économie sacralisée, enjeux électoraux, lobbyisme, conflits d’intérêts, privilèges… Tout y est archivé, décortiqué, analysé, depuis les coulisses.

Pourtant, ayant notamment murmuré à l’oreille de Jacques Chirac concernant certaines décisions requises en termes d’écologie les années précédentes, Nicolas Hulot avait bien dû affronter quelques désillusions ? C’est que l’urgence se fait de plus en plus sentir et que l’inaction semble de plus en plus insupportable, suggère l’album graphique. Les petits pas ne suffisent décidément pas, et les promesses d’écologie sociale du président actuel ont d’autant plus été attendues que leur application était cruciale. Sans surprise, l’absence totale d’objectifs et d’engagements à la hauteur de l’éveil s’avère donc encore plus écrasante.

Or, puisque face aux obstacles gigantesques et labyrinthiques qui se dressent devant la lutte pour le vivant, la politique se défile : que nous reste-t-il ? Sans aucun doute : les actions citoyennes de terrain. « Citoyennes », parce qu’il ne s’agit pas tant d’inciter les lectrices et lecteurs à trier leurs déchets, mais à agir structurellement sur la cité à travers des dispositifs d’action directe : soit par voie associative, via des développements collectifs et collaboratifs diverses, qui existent déjà ou qui restent à inventer, soit par voie militante, en invectivant de mille et unes manières (législatives, artistiques, politiques, médiatiques, éducatives…) la poignée de décideurs du monde contemporain, du sommet des multinationales jusqu’aux institutions.

Mais pour en savoir plus, accéder à davantage d’inspiration ou de motivation, ou bien enrichir une connaissance primordiale à tout engagement : retrouvez la superbe BD Les petits pas ne suffisent pas!, Rustica Editions, (Imprim’vert, imprimé en France), en librairie indépendante.

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