Le peuple vs Shell : la victoire des écologistes néerlandais

Fin mai, aux Pays-Bas, une décision historique a été rendue par le tribunal de la Haye. La Royal Dutch Shell a été reconnue responsable des dommages causés à l’environnement par l’exercice de ses activités d’extraction pétrolière. Pour la première fois, la responsabilité d’un géant pétrolier (figurant notamment dans le triste palmarès des dix entreprises les plus polluantes du monde[1]) s’est vue engagée par une décision de justice pour avoir directement contribué au réchauffement climatique. Suite à ce verdict, Shell doit impérativement réduire ses émissions de carbone tout au long de sa chaîne d’approvisionnement, afin de minimiser les risques d’un changement climatique irréversible et dévastateur. Avec cette décision, assisterions-nous enfin au déclin du secteur de l’énergie fossile et de la quasi-impunité des entreprises énergétiques ultra-polluantes ? Affaire à suivre…  

Intentée contre la Royal Dutch Shell en 2019, l’action en justice portée par plusieurs ONG, (dont la branche néerlandophone de Friends of the Earth – Milieudefensie) et soutenue par plus de 17 000 citoyens néerlandais, s’est récemment traduite par une victoire des activistes environnementaux. En effet, dans l’affaire intitulée « le peuple contre Shell », le tribunal de La Haye a ordonné au géant pétrolier de réduire ses émissions de C02 nettes de 45% d’ici à la fin de 2030 par rapport à 2019, ainsi que de se conformer au jugement avec effet immédiat. La politique climatique actuelle de Shell n’étant pas assez concrète pour respecter l’objectif des Accords de Paris qui visent à limiter l’augmentation de la température à 1,5 degré Celsius[2].

À la suite de cette décision historique, Donald Pols, directeur de Friends of the Earth Nederlands, n’a pu s’empêcher d’exprimer son enthousiasme face à ce verdict qui pourrait potentiellement marquer un tournant dans la résolution des litiges relatifs au changement climatique et la préservation de l’environnement : « Il s’agit d’une victoire monumentale pour notre planète et nos enfants, et d’un pas en avant vers un avenir vivable pour tous : Shell est à l’origine d’un changement climatique dangereux et doit cesser son comportement destructeur dès maintenant »[3].

Cette décision de justice présente un caractère historique à plus d’un titre. Premièrement, elle représente une première dans la jurisprudence relative au droit de l’environnement. Pour la première fois, une entreprise pétrolière est tenue responsable pour les dommages causés à l’environnement, ainsi que pour sa contribution au réchauffement climatique. Selon la juge Larisa Alwin : « la Dutch Royal Shell a l’obligation de contribuer à la prévention contre les effets dangereux du changement climatique à travers ses politiques corporatives » et considère que l’exercice de ses activités liées à l’exploitation des énergies fossiles viole notamment « le droit à la vie »[4].

Unité de distillation de pétrole brut à la raffinerie de pétrole Shell à Montréal. Source : commons.wikimedia

Par ailleurs, cette affaire est particulièrement inédite en ce que la décision stipule que Shell doit non seulement réduire de 45% ses émissions de carbone d’ici à 2030 provenant de l’exploitation des énergies fossiles en tant que telles, mais aussi celles qui découlent des activités impliquées dans de l’approvisionnement de ses produits finis (notamment les opérations d’extraction, le raffinage du pétrole et le transport maritime). Autrement dit, le champ d’application de la décision s’étend à toutes les émissions émises jusqu’à ce que le pétrole ou gaz soient effectivement exploités par le consommateur.

Shell a déjà annoncé qu’il fera appel de la décision qu’il considère comme « décevante »[5]. À l’heure où nous sommes en passe d’atteindre les points de basculement qui engendreraient des conséquences désastreuses pour le système climatique mondial et l’écologie planétaire[6], la décision de justice est porteuse d’espoir et apparaît comme potentiel cadre d’orientation pour les futurs litiges relatifs à la réduction des émissions de carbone des entreprises, où les efforts de réduction devraient être encore plus ambitieux et radicaux. En effet, tel que déclaré par Donald Pols, « Ce verdict constitue un énorme pas en avant pour le mouvement international en faveur du climat. L’un des plus grands pollueurs du monde a enfin été tenu pour responsable. Je suis rempli d’espoir pour l’avenir, car nous savons que la crise climatique n’attend pas et ne s’arrête pas à nos frontières. C’est pourquoi il est si important que le juge oblige, maintenant, Shell à assumer la responsabilité de ses actes. C’est aussi un signal clair aux autres grands pollueurs qu’ils doivent aussi agir dès maintenant. »[7]

Compagnies pétrolières dans la tourmente

Outre-Atlantique, le géant pétrolier américain ExxonMobil a récemment subi un revers pour le futur développement de ses activités pétrolières lors de son assemblée générale. Le hedge fund (ou fonds spéculatifs/activistes) Engine n°1 est parvenu à faire élire trois représentants au conseil de surveillance du groupe. Bien que détenant moins d’un pourcent du capital d’Exxon, le fonds activiste a su convaincre trois investisseurs institutionnels et actionnaires majeurs de la compagnie pétrolière, Blackrock, Vanguard et State Street, de l’importance d’opérer sans plus attendre une réelle transition énergétique et écologique. En effet, Engine n°1 estimait que la politique d’Exxon, centrée principalement sur l’exploitation du pétrole, risquait à terme de mettre l’avenir de la compagnie en sérieux danger[8].

À cet égard, les actionnaires de Chevron, seconde plus grande compagnie pétrolière américaine, ont eux aussi voté en faveur d’une proposition visant à réduire substantiellement les émissions de type 3, à savoir celles provenant des produits qu’elle fabrique[9].

Le nouveau nom de Total : TotalEnergies. Source : commons.wikimedia

En France, les actionnaires de Total ont largement soutenu la stratégie climatique du groupe (91,88% des votes), ainsi que le changement de nom de la compagnie en TotalEnergies (99% des votes) afin de marquer son souhait de se réinventer en une compagnie multi-énergies. Malgré qu’un certain nombre d’actionnaires minoritaires souhaitaient s’y opposer, jugeant cette nouvelle stratégie insuffisante et peu ambitieuse, le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, s’est dit satisfait de l’issue du résultat, tout en dénonçant notamment « ceux qui se comportaient plus comme des activistes que comme des actionnaires »[10].

Toutefois, son arrogance et ses prétentions pourraient prochainement déchanter suite aux récents évènements qui ont démontré que le combat climatique n’était plus uniquement défendu par les activistes et militants écologistes. Ce combat est désormais porté par les investisseurs, actionnaires et praticiens du droit qui plébiscitent à l’avenir des actions concrètes et ambitieuses permettant d’opérer une réelle transition écologique et énergétique.

W.D.

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Notes

[1] « Les 20 entreprises les plus polluantes de la planètes » sur 24heures, 10 octobre 2019

[2] « Historic victory : judge forces Shell to drastically reduce CO2 emmissions » sur Milieudefensie, le 26 Mai 2021

[3] Ibid

[4] « The people vs. Shell », Rechtbank Den Haag, le 26 Mai 2021

[5]  « Shell response to climate case verdict », Shell, le 26 Mai 2021

[6] « Le changement climatique précipite la planète vers un dangereux point de non-retour » Leahy Stephen, National Geographic, décembre 2019

[7] « Historic victory : judge forces Shell to drastically reduce CO2 emmissions » sur Milieudefensie, le 26 Mai 2021

[8] « Climat : accusé de ne pas lutter contre le réchauffement, Exxon subit un camouflet historique de la part de ses actionnaires » Leparmentier Arnaud, Le Monde, le 27 avril 2021

[9]  « Climate activists hail breakthrough victories over Exxon and Shell » Brower D & Raval A, Financial Times, le 26 Mai 2021

[10] « Total : la direction obtient le soutien des actionnaires sur sa stratégie climat » AFP, RTL Info, le 28 Mai 2021


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