Alors que les promesses pour des Jeux Olympiques plus vertueux que jamais se succèdent, le constat reste inchangé. À mesure que ces méga-événements se suivent, les associations et experts dénoncent les désastres écologiques et humains causés par des projets toujours plus démesurés. Paris n’échappe pas à la règle : si ses organisateurs assurent des Jeux « utiles et ouverts sur les enjeux de la société », les réalités observées dans les rues de la ville jusqu’aux plages tahitiennes laissent entrevoir un revers de la médaille bien moins reluisant.

Paris, été 2024. La ville dévoile toute sa grandeur à l’occasion d’un événement unique et rassembleur. Les Jeux Olympiques embrasent la ville lumière et l’écho des supporters résonnent dans le monde entier. Chaque français arbore un sourire de fierté sur son visage : « nous l’avons fait », se disent-ils en choeur. Les JO 2024 sont parvenus à tenir leurs promesses et même à dépasser tous les pronostics. La célébration du sport s’allie enfin avec les enjeux de notre siècle : neutralité carbone, zéro déchet, alimentation durable, inclusivité, etc… Tous les paris sont remportés.

Une image utopique des JO Paris 2024 est dressée par les organisateurs. Source et crédits : Presse, Paris 2024.

Si l’image séduit, cette projection n’a pourtant aucune chance de se réaliser, au grand regret de Tony Estanguet, Président du Comité d’organisation des jeux 2024, qui entend fermement « partager cette fête unique avec le plus grand nombre et proposer les Jeux d’un nouveau modèle, ouvert aux gens, en phase avec leurs aspirations, notamment celles des jeunes générations ».

Des engagements à n’en plus finir

Pour y parvenir, le programme est exhaustif : offre alimentaire bas carbone, diminution du plastique à usage unique, énergie verte, bâtiments bas carbone, incitation à l’utilisation des transports en commun, pas de gaspillage alimentaire, recyclage des déchets… et même compensation carbone.

Paris s’engage « à diviser par deux l’empreinte carbone des Jeux par rapport aux précédentes éditions et souhaite proposer un nouveau standard d’organisation des événements sportifs, aligné sur l’Accord de Paris sur le climat ».

Au delà de ses efforts, le Comité « soutiendra des projets de compensation permettant la captation de carbone ou l’évitement équivalent à l’empreinte carbone totale des Jeux », répondant aux « meilleurs standards internationaux existants et (…)  situés sur les cinq continents ». Ces Jeux seront donc « responsables » ou ne seront pas.

Pour Daniel Wolfe, ce pari fou est déjà perdu d’avance. Le chercheur au Département de géographie et de durabilité à l’Université de Lausanne (Suisse), dénonce les revers des Jeux Olympiques bien éloignés des modèles de durabilité présentés. Dans une étude parue dans la revue Nature en 2021, il s’emploie à faire une étude systémique de la durabilité des jeux organisés de 1992 à 2020.

« Les Jeux Olympiques prétendent être des exemples de durabilité, visant à inspirer des avenirs durables dans le monde entier. Pourtant, aucune évaluation systématique de leur durabilité n’existe », explique le chercheur.

Pour pallier ce manque de données, son équipe a créé un modèle avec neuf indicateurs pour évaluer la durabilité des 16 éditions des Jeux Olympiques d’été et d’hiver entre 1992 et 2020, représentant un coût total de plus de 70 milliards de dollars. « Nous définissons les Jeux Olympiques durables selon trois dimensions : avoir une empreinte écologique et matérielle limitée, renforcer la justice sociale et démontrer l’efficacité économique ».

Neuf indicateurs, répartis dans trois domaines, sont pris en compte pour évaluer la durabilité des jeux olympiques. - Source : Müller, M., Wolfe, S.D., Gaffney, C. et al. An evaluation of the sustainability of the Olympic Games. Nat Sustain 4, 340–348 (2021). https://doi.org/10.1038/s41893-021-00696-5
Neuf indicateurs, répartis dans trois domaines, sont pris en compte pour évaluer la durabilité des jeux olympiques. – Source : Müller, M., Wolfe, S.D., Gaffney, C. et al. An evaluation of the sustainability of the Olympic Games. Nat Sustain 4, 340–348 (2021). 

Aucun Jeux Olympiques n’a jamais été durable

Le constat est sans appel : il n’existe pas de Jeux olympiques qui obtiennent des résultats élevés dans tous, voire dans la majorité, des indicateurs du modèle de durabilité mis au point par l’équipe de chercheurs. Plus scandaleux encore, des villes comme Vancouver et Londres, qui se sont présentées comme des modèles de Jeux Olympiques durables et ont conseillé d’autres hôtes olympiques en matière de durabilité, obtiennent des scores inférieurs à la moyenne. « Ce résultat suggère que le discours sur la durabilité ne correspond pas aux résultats réels en matière de durabilité », dénoncent les scientifiques.

Sur le podium, des Jeux Olympiques organisés dans les années 90, alors que depuis 2010 les organisateurs assurent mettre la durabilité au centre du projet des Jeux. – Source : Müller, M., Wolfe, S.D., Gaffney, C. et al. An evaluation of the sustainability of the Olympic Games. Nat Sustain 4, 340–348 (2021). 

Ils constatent également que contrairement aux discours des pouvoirs organisateurs, la durabilité des Jeux olympiques a considérablement diminué au fil du temps.

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« Certains Jeux Olympiques récents ont une très mauvaise durabilité, comme les Jeux d’hiver de 2014 à Sotchi et les Jeux d’été de 2016 à Rio de Janeiro. Et ce malgré la priorité largement annoncée d’organiser des Jeux durables depuis au moins les années 2010 ».

Un « nettoyage social » des rues de Paris déjà à l’oeuvre

Si concernant les Jeux de Paris, les détails ne sont pas encore disponibles, certains événements tirent toutefois la sonnette d’alarme. À la fin du mois d’octobre, une soixantaine d’associations françaises dénonçaient dans une lettre ouverte le « nettoyage social » en cours dans la capitale. Craignant « le délogement des sans-abri, la réduction des places d’hébergement d’urgence, la fermeture des points d’accueil et de distribution d’aide alimentaire », les acteurs associatifs et solidaires appellent le Comité d’organisation des jeux et les pouvois publics à une prise en compte urgente des personnes en situation d’exclusion, nombreuses en Île-de-France.

Paul Alauzy, porte-parole de l’ONG Médecins du monde pour la région parisienne, confirme l’urgence de la situation auprès de l’AFP, à l’occasion d’une action de mobilisation du secteur associatif : « ça a déjà commencé très fort (…). Il y a un impact négatif des JO sur les personnes à la rue, c’est ce revers de la médaille, ce nettoyage social des rues qu’on veut rendre visible : on parle de centaines, voire de milliers de personnes dont on détruit les lieux de vie informels ».

Le collectif Schaeffer, signataire de la lettre ouverte, estime quant à lui que plus de 4100 personnes, principalement des ressortissants du continent africain, ont été déplacées après le démantèlement de leur lieu de vie à Saint-Denis. À cela s’ajoute les 1600 personnes transférées depuis six mois dans des « sas » d’hébergement en régions, malgré les problèmes de saturation déjà martelés par les acteurs du secteur. Tout porte à croire que Paris s’inscrit dans une dynamique de « nettoyage social » des rues au vue de ce méga-évènement sportif, selon les signataires.

Des écosystèmes menacés

De l’autre côté du globe, la population de Teahuppo, à Tahiti, s’insurge contre un projet de construction d’une nouvelle tour d’arbitrage destinée à l’épreuve de surf des JO 2024. « Installer une tour de 14 mètres de hauteur sur 12 nouveaux plots en béton au milieu du lagon, ça ne se fera pas sans sacrifier le corail et sa biodiversité, dont vit la population locale. La tour doit être connectée à la terre par une canalisation de plusieurs centaines de mètres. Pour la poser, il faudra naviguer entre les coraux », explique Astrid Drollet, secrétaire d’une association locale à la tête de la mobilisation, à Vert dans un article dédié au sujet.

Une pétition demandant le renoncement à la nouvelle tour d’arbitrage, aux forages du platier et aux canalisations sous-marines a déjà été signée par plus de 180 000 personnes. Si Tony Estanguet assurait utiliser « au maximum les infrastructures existantes » et ne construire « que des équipements dont la population locale a vraiment besoin », la promesse semble en réalité déjà dure à tenir à six mois des Jeux…

Tony Estanguet, Président du Comité d’organisation des jeux 2024, à la cérémonie de remise des médailles du Biathlon – Individuel Femmes aux Jeux Olympiques de la Jeunesse d’hiver 2020 à Lausanne le 11 janvier 2020. Wikimedia

Des mesures drastiques nécessaires

Pour les experts, au-delà des promesses de compensation, qui représentent pour beaucoup un engagement « problématique » à l’efficacité douteuse, des réformes incisives sont nécessaires en vue d’assurer une réelle durabilité des Jeux Olympiques à l’avenir. A cet effet, l’équipe de Daniel Wolfe pointe trois actions réalisables à court terme qui entraineraient des des améliorations majeures en matière de durabilité :

  • Réduire considérablement la taille de l’événement : « cela entraînera un gain sur presque tous les indicateurs de durabilité en réduisant les besoins en ressources. Il réduira les émissions de carbone des visiteurs et réduira l’empreinte écologique et matérielle en réduisant la taille et le coût des nouvelles infrastructures nécessaires » ;
  • Alterner les Jeux olympiques entre les mêmes villes : « de cette façon, toutes les infrastructures nécessaires seront déjà en place et les Jeux Olympiques pourront être organisés avec un minimum de perturbations sociales et écologiques et à un coût minime » ;
  • Améliorer la gouvernance en matière de durabilité : « cela signifie créer ou mandater un organisme indépendant pour développer, surveiller et appliquer des normes de durabilité crédibles. Cette action améliorera la situation actuelle, où chaque ville hôte des Jeux olympiques fixe ses propres objectifs de développement durable et reste irresponsable lorsqu’elle ne les atteint pas ».

Alors même qu’il en va de la préservation des conditions d’existences des êtres vivants, il existe actuellement une forte résistance parmi les acteurs olympiques à de telles réformes. En effet, elles pourraient mettre en péril les flux de revenus occasionnés, réduiraient l’attrait universel des Jeux olympiques et imposeraient des engagements stricts et non négociables. Elles semblent toutefois inévitables pour tout ceux qui oeuvrent sincèrement à la durabilité de tels événements… et du vivant sur Terre. Pour lutter contre ce saccage, déjà incarné aux jardins d’Aubervilliers, des activistes prévoient encore et encore d’intervenir. Une carte recense d’ailleurs les dommages autour de ces JO 2024.

– L.A.


Photo de couverture de Jonathan Chng sur Unsplash

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