Espèce emblématique de la faune sauvage, le castor a une histoire riche et complexe en Europe occidentale. Du statut de proie prisée à celui d’espèce en voie de disparition, son parcours reflète les évolutions écologiques et sociales qui ont façonné le paysage européen au fil des siècles. Découverte de cet animal méconnu. 

Malgré son rôle essentiel indiscutable au sein des écosystèmes, cet animal-ingénieur a pourtant frôlé l’extinction au siècle dernier à cause de la chasse intensive et demeure à ce jour source de controverses.

En effet, bien que le castor soit aujourd’hui une espèce protégée par la législation européenne, d’aucuns refusent obstinément la cohabitation, pourtant tout à fait possible et simple, et accusent le castor de perturber les activités humaines. Sa réintroduction, à partir du siècle dernier, continue de rencontrer l’opposition de quelques anthropocentristes endurcis, guidés par une peur moyenâgeuse du monde sauvage.

Un animal-ingénieur indispensable à la biodiversité –  allié de taille face au réchauffement climatique

Considéré comme étant le plus grand rongeur d’Europe, le castor européen (Castor fiber), mammifère appartenant à la famille des Castoridées, vit dans les zones humides, notamment les rivières, les étangs, les lacs et les marais. On peut également le retrouver le long des cours d’eau à débit modéré. Les castors vivent généralement en famille (deux adultes et leur progéniture) et sont plutôt territoriaux, c’est pourquoi leur population se régule naturellement.

Connus pour leurs compétences de construction hors-pair, ils érigent des barrages, structures complexes qu’ils bâtissent à partir de bois, de boue et de branchages, et qui ont pour but de créer des étangs leur assurant un accès sûr à leurs huttes (composées d’une entrée sous l’eau et d’une autre sur terre) sans être repérés par les prédateurs. Des structures qui symbolisent non seulement à elles-seules l’ingéniosité animale, mais qui, aussi et surtout, sont des éléments cruciaux dans la création et la préservation d’écosystèmes.

Les barrages et les huttes construits par les castors ont un impact conséquent sur le paysage et les cours d’eau, donnant naissance à des écosystèmes diversifiés. Les zones humides formées grâce à ces constructions favorisent la croissance de la végétation riveraine, créant des habitats propices à de nombreux organismes, autant de faune que de flore, contribuant grandement à la santé des écosystèmes aquatiques.

Ces étangs deviennent ainsi des épicentres de biodiversité, permettant d’abriter tout un éventail d’espèces différentes, incluant des plantes, des poissons, des amphibiens, des oiseaux et des insectes, avec des ramifications positives à tous les niveaux trophiques.

Castor fiber @RudoJureček /Flickr

Mais l’influence de la présence des castors ne s’arrête pas là : les barrages qu’ils construisent régulent le débit des rivières et permettent de mieux faire face aux fluctuations saisonnières. Ils freinent les inondations lors des saisons de pluies et, à l’inverse, maintiennent un débit d’eau constant lors des périodes sèches, préservant les habitats aquatiques.

Ces structures diminuent ainsi la violence des crues et ont même un impact positif face aux incendies dont ils réduisent la fréquence grâce à l’humidification de la végétation en amont.

En outre, les barrages construits par les castors sont des filtres naturels de l’eau. En piégeant les sédiments et les polluants, ils permettent de diminuer sa turbidité et de l’épurer, un processus crucial pour l’amélioration de la qualité de l’eau dans les écosystèmes fluviaux.

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North American beaver (Castor canadensis) @GlacierNPS /Flickr

Un animal en proie à l’insatiable cruauté humaine depuis la nuit des temps

Existant depuis des millions d’années, le castor a toujours joué un rôle primordial dans l’aménagement des cours d’eau. Il a pendant longtemps occupé une grande partie du continent européen, allant du nord de l’Espagne jusqu’à l’Europe centrale et du nord, des zones aux habitats propices à son épanouissement.

Longtemps prisé pour sa fourrure, sa viande, et ses sécrétions anales,il a été victime d’une chasse intensive qui a mis toute l’espèce en danger.

Sa vie au cours des derniers siècles n’a pourtant pas été de tout repos en raison des activités humaines. Longtemps prisé pour sa fourrure, sa viande, et ses sécrétions anales (le castoréum a été utilisé en médecine, de l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle, mais aussi par les parfumeurs et l’industrie agroalimentaire au XXe siècle, et continue aujourd’hui à être produit, bien qu’à des quantités moindres, aux États-Unis) il a été victime d’une chasse intensive qui a mis toute l’espèce en danger et a même été éradiqué de certaines régions d’Europe occidentale durant le Moyen-Âge.

Suite à sa quasi-extermination sur tout le continent européen à la fin du XIXe siècle (son cousin canadien a subi le même sort en parallèle), le castor devient le premier animal à bénéficier de mesures de protection en 1909. Toutefois, sa réintroduction ne commence réellement qu’à partir des années 1970, grâce aux prémices d’une prise de conscience quant aux conséquences de la dégradation des écosystèmes et de l’effondrement de la biodiversité.

Aujourd’hui, Castor fiber est une espèce protégée par la législation européenne (annexe III de la Convention de Berne et annexes II, IV et V de la directive Habitats – qui permet notamment de l’aider à recoloniser une partie de ses cours d’eau qui sont ses habitats naturels). Si la croissance des populations a été rapide au début de sa réintroduction, celle-ci a pourtant décliné depuis et le manque de diversité génétique rend vulnérable ce rongeur semi-aquatique d’après l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).

En outre, les activités humaines continuent de lui porter préjudice et de menacer sa survie sur le long terme. L’urbanisation et l’agriculture sont deux facteurs majeurs de la perte d’habitats naturels du castor, le second diminuant également les sources de nourriture disponibles pour cette espèce. La déforestation, quant à elle, réduit les ressources en bois nécessaires à la construction des barrages et des huttes.

A cela s’ajoute la pollution de l’eau (rejets urbains et industriels) qui peut affecter gravement la santé de ces animaux, comme d’autres espèces qui dépendent des écosystèmes aquatiques. N’oublions pas non plus les barrages construits par les humains qui ont une influence colossale sur la dynamique des cours d’eau et donc, sur les habitats naturels du castor.

Bever. The Eurasian beaver or European beaver (Castor fiber) @Harald Olsen/NTNU/ Flickr

Les castors sont également victimes, de manière générale, d’un conflit persistant avec les activités humaines. De rares dégâts causés sur les terres agricoles et les propriétés notamment conduisent parfois à leur déplacement forcé, voire leur abattage.

En Wallonie (Belgique) par exemple : 97 demandes de dérogations ont été demandées en 2023 pour la destruction de barrages et le déplacement ou l’abattage de castors. Cinq d’entre elles ont été accordées. La dernière en date a toutefois été suspendue pour réétudier la question, et ce grâce à l’action de plusieurs associations de défense de l’environnement. La lutte paie…

Vers une coexistence harmonieuse ?

Beaucoup demeurent à ce jour opposés à la présence du castor sur les territoires européens malgré son rôle crucial dans la préservation des écosystèmes que la dynamique capitaliste s’acharne à détruire graduellement.

Pourtant, la cohabitation est tout à fait possible et les difficultés rencontrées objectivement gérables. Il est essentiel pour cela d’informer les communautés locales sur le rôle écologique de cette espèce ingénieure et de l’impact positif de sa présence à la fois sur les écosystèmes, mais aussi sur la qualité de l’eau et la régulation de son débit qui est un atout de taille face aux inondations et au changement climatique.

Castor fiber vistulanus @Wikimedia Commons

L’aménagement des territoires joue un rôle important dans l’évitement des conflits. Aussi faut-il avant tout identifier les zones où des castors sont susceptibles de s’établir et préserver ces habitats en évitant notamment de déboiser les berges des cours d’eau afin de leur laisser un espace suffisant pour assurer leur rôle écosystémique et pouvoir se nourrir sans être perturbés par les activités humaines, ni eux-mêmes perturber celles-ci.

Il existe également d’autres mesures de prévention et/ou de réparation qui sont présentées notamment dans une brochure élaborée par le Service Public de Wallonie. Une coexistence pacifique est ainsi parfaitement possible avec un minimum d’efforts de la part des humains qui n’ont déjà que trop, et c’est peu dire, empiété sur le monde sauvage. En fin de compte, quelques inconvénients mineurs pour nos activités valent-ils réellement la destruction de toute une espèce ?

– Elena M.

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