Aux Pays-Bas, les prisons se vident à vue d’œil. Encore au nombre de 20 463 en 2006, les prisonniers n’étaient plus que 10 102 en 2016, soit deux fois moins en 10 ans. Certaines prisons sont désormais transformées en des centres provisoires pour accueillir des réfugiés, source d’une récente « success story » médiatique en France. Cette singularité est le plus souvent médiatisée très positivement dans les médias. Mais que cache réellement cette tendance ?
Alors que certains pays limitrophes sont empêtrés dans la délicate question de savoir comment gérer leurs prisons souvent surpeuplées, les Pays-Bas ne rencontrent pas ce genre de problème, bien au contraire. En 2016, le pays comptait seulement 10.102 prisonniers, ce qui correspond à 59 personnes en prison pour 100.000 habitants, contre 98 en Belgique et 110 en France, d’après le site prisonstudies.org. Dans ce triste classement, les États-Unis caracolent loin en tête avec pas moins de 693 personnes emprisonnées pour 100.000 habitants. En Belgique comme en France ou aux États-Unis, les chiffres stagnent ou baissent, mais très légèrement.
Des prisons transformées en centre d’accueil pour personnes réfugiées
Face aux cellules vides, le pays est confronté au problème de trouver un nouvel usage pour ces grands bâtiments. Certaines prisons, comme celle de Bijlmerbajes à Amsterdam en 2016, ont même fermé. Le plus souvent, les cellules sont transformées en des logements provisoires. L’espace de Bijlmerbajes, d’abord promis à accueillir des bureaux d’entreprises, pourrait être converti en de nouveaux habitats dans les prochaines années. À quelques pas de là se trouve un centre d’aide aux réfugiés, où environ 1000 personnes peuvent être logées. Le nouveau développement du quartier témoigne de la politique de la ville, qui s’est engagée à venir en aide aux personnes exilées et à les accompagner dans leur recherche de travail pour une insertion sociale efficace.
Aux Pays-Bas, le phénomène n’est pas isolé et d’autres prisons connaissent un sort comparable. Ainsi, rapporte NBC News dans un reportage photographique particulièrement marquant, la prison De Koepel à Harlem connaît un sort similaire. Ici 400 personnes ont pu trouver refuge. Mais cette nouvelle destination n’a pas été sans poser des problèmes : parmi les réfugiés, souvent venus d’Irak et de Syrie, certains voient d’un mauvais œil la possibilité d’être logés dans des cellules d’anciennes prisons, les ramenant à leurs souvenirs de guerre. Tout un débat.
Plus d’amendes, moins d’emprisonnements
Mais qu’est-ce qui explique qu’en matière carcérale, les Pays-Bas connaissent une trajectoire aussi différente que celle de ses voisins ? La France et la Belgique sont régulièrement pointés du doigt en raison de la surpopulation qui règne dans leurs prisons (68 974 prisonniers pour 59 765 places au premier janvier 2018 en France). Les prisons surpeuplées sont ainsi souvent accusées de devenir des « centres de formation » au crime pour les prisonniers, en raison d’un environnement qui n’encourage pas une réinsertion future dans la société.
Selon les observateurs, les différences remarquables tiennent essentiellement à la politique des Pays-Bas, qui a instauré des lois moins restrictives qu’ailleurs en ce qui concerne les drogues et pousse au développement de mesures de réinsertion. D’autres relèvent également que la criminalité y est en baisse. Mais ces premiers éléments ne suffisent pas vraiment à expliquer la tendance de manière globale. En toile le fond, c’est le comportement des juges qui fut déterminant, à travers le recours de plus en plus important à la surveillance électronique d’une part, mais aussi à la plus forte propension des juges à se tourner vers des peines alternatives, comme des amendes ou des condamnations à des travaux d’intérêts généraux. En d’autres termes, la seule dépénalisation du cannabis n’a pas eu d’effet miracle sur les prisons.
Certaines ONG restent donc prudentes face à un phénomène qui selon elles est parfois trop rapidement associé à un succès. Ainsi pour l’Observatoire international des prisons, la décroissance carcérale aux Pays-Bas est trompeuse et ne s’explique pas en raison des prétendues vertus de la politique du pays. Les statistiques flatteuses masquent des réalités plus complexes et certains évènements déterminants : fin des années 2000, le pays décide de relâcher les étrangers en situation irrégulière avant de les expulser en application du droit européen. Par ailleurs, la chute du nombre de prisonniers s’explique aussi par des raisons budgétaires : les juges sont encouragés à prononcer des journées en probation, bien moins coûteuses que celle en prison et bon nombre de suspects ayant commis de petits délits sont envoyés devant le procureur plutôt que devant le juge, le premier pouvant prononcer des peines non-privatives de liberté. La baisse de la population carcérale n’est donc pas forcément synonyme de la baisse de la criminalité.
À y regarder de plus près, les chiffres montrent une réalité surprenante : le nombre de condamnations à de la prison ferme reste élevé aux Pays-Bas par rapport au reste de l’Europe (23 % des condamnation dans le pays, contre 15 % sur le reste du continent). Dans le même temps, le pays a connu une forte hausse des peines non privatives de liberté : de 20 949 en 2002 elles sont passées à 38 500 en 2008. « Si on additionne peines privatives et non privatives de liberté, on se rend compte que le niveau global de condamnations est toujours en augmentation« , analyse l’Observatoire International des prisons, selon qui « pendant que la population carcérale se réduit, un nombre croissant de personnes sont soumises à des dispositifs de contrôle ». Autrement dit, alors que les prisons se vident, le nombre de personnes surveillées ou condamnées ne cesse d’augmenter. De quoi donner un tout autre visage à cette success story médiatique…
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