Des chercheurs de l’Université technologique de Nanyang à Singapour ont expliqué pour la première fois pourquoi le méthane continue de s’accumuler dans l’atmosphère à un rythme affolant, et ce, malgré la stabilisation des activités humaines responsables de sa libération dans l’air. La cause de cette accélération ? Le changement climatique lui-même. Il est jusqu’à quatre fois plus influent sur les taux de méthane que ce que prévoyait le dernier rapport du GIEC, publié en février 2022. Une nouvelle étude qui bouleverse les dernières certitudes en matière climatique et démontre une fois de plus l’ampleur du chantier environnemental auquel nous devons urgemment prendre part.
C’est le 23 juin dernier que Chin-Hsien Cheng et Simon Redfern, deux scientifiques de l’Université technologique de Nanyang basée à Singapour, ont publié leur nouvelle étude dans la revue Nature Communications. Intrigués par l’augmentation du taux de méthane dans l’atmosphère depuis 2007, les deux chercheurs ont voulu comprendre les raisons de cette évolution qui apparait paradoxale au vue de la stabilisation des activités anthropiques responsables de la libération de ce gaz à effet de serre dans l’atmosphère depuis le début du nouveau millénaire. Grâce aux données fournies par l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, les deux scientifiques ont fait une surprenante découverte.
En 2021, le taux de méthane était plus élevé que jamais dans l’atmosphère
Dans les colonnes du Guardian, Simon Redfern confie : « ce qui a été particulièrement déroutant, c’est le fait que les émissions de méthane ont augmenté à des taux encore plus élevés au cours des deux dernières années, malgré la pandémie mondiale, alors que les sources anthropiques étaient supposées être moins importantes ». En dépit de la crise sanitaire, et alors que le bégaiement de l’activité industrielle auraient pu freiner de nombreuses sources d’émission, les taux de méthane ont donc augmenté comme jamais auparavant en 2021.
« Pour expliquer pourquoi le méthane atmosphérique continue de croître, nous devons comprendre comment l’apport et l’élimination du méthane vers et depuis l’atmosphère sont équilibrés », détaille le géologue d’origine britannique dans son article publié dans The Conversation. En effet, si travailler sur les causes de production du gaz à effet de serre peut permettre une diminution des taux de méthane sur Terre, cela n’est pas suffisant. Encore faut-il que les phénomènes naturels d’élimination du CH4 dans l’atmosphère se poursuivent, et que la balance soit ainsi équilibrée, voire négative dans l’idéal.
Un processus naturel d’élimination du gaz à effet de serre
Comment ? Grâce aux radicaux hydroxyles, « un puissant agent oxydant présent dans l’air (…), qui a été appelé le détergent de l’atmosphère car il purifie l’air des traces de gaz nocifs ». Certains gaz à effet de serre, comme le méthane, sont alors éliminés par une réaction d’oxydation au contact de ces molécules. « Et cette réaction est de loin le moyen le plus important par lequel le méthane disparaît de l’atmosphère », assure Simon Redfern.
C’est en épluchant les quatre dernières décennies de données météorologiques disponibles que les deux universitaires ont remarqué que certaines conséquences du changement climatique conduisait à une baisse notable du taux d’élimination du CH4 dans l’atmosphère.
Changement climatique et réchauffement atmosphérique : un cercle vicieux infernal
Les feux de forêts par exemple, qui ont ont ravagé environ 340 000 hectares dans l’Union Européenne en 2020, génèrent énormément de monoxyde de carbone (CO). Ce gaz réagit également fortement avec les radicaux hydroxyles et s’oxyde pour former du CO₂. « En moyenne, une molécule de monoxyde de carbone reste dans l’atmosphère pendant environ trois mois avant d’être oxydée, tandis que le méthane persiste pendant environ une décennie. Ainsi, les panaches de monoxyde de carbone provenant des incendies de forêt utilisent rapidement le « détergent » hydroxyle, laissant moins réagir avec le méthane et l’éliminer », reprend le chercheur.
L’étude met ainsi en avant des liens inattendus et complexes entre dérèglement climatique et réchauffement de l’atmosphère, constatant la création d’un cercle vicieux infernal délétère à l’environnement, s’exprimant notamment lors des années de grosses chaleurs qui provoquent un bon nombre de feux de forêts.
Ces résultats sont « choquants », selon les deux experts, qui y voient une mise en évidence de la sous-estimation des effets du changement climatique sur le système terrestre. « Le monde ne peut ignorer la sensibilité inquiétante des émissions de méthane à l’augmentation des températures mondiales compte tenu de la force du méthane en tant que gaz à effet de serre », exhortent-ils. Et pour cause, le méthane apparait comme un gaz à effet de serre extrêmement nuisible, ayant en comparaison un pouvoir de réchauffement plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone molécule par molécule.
Des effets largement sous-estimés
Au final, les conclusions publiées dans la revue Nature Communications sont claires : le réchauffement climatique a quatre fois plus d’influence sur l’accélération des émissions de méthane qu’on ne l’avait estimé auparavant. La hausse des températures contribue non seulement à la production de plus de méthane (en accélérant l’activité microbienne dans les zones humides par exemple), mais ralentit également l’élimination du méthane de l’atmosphère (avec un nombre croissant d’incendies de forêt réduisant la disponibilité des agents oxydants), comme le résume Le Guardian.
Pour rappel, les activités humaines sont responsables d’environ 60% du méthane présent dans l’air. L’agriculture et en particulier les exploitations bovines et laitières, les puits de pétrole et de gaz, les stations d’épuration et les décharges sont les principaux facteurs de production du gaz à effet de serre. Dans son dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estimait que le taux de méthane présent dans l’air provoquait environ un tiers du réchauffement climatique.
Méthane : le grand absent des stratégies environnementales
Malgré ces données, le méthane reste le grand absent des négociations politiques et des stratégies environnementales. Dans un rapport de la Climate Policy Initiative (CPI) publié le 6 juin dernier, les chercheurs affirment que moins de 2 % des ressources financières destinées à lutter contre le changement climatique sont consacrées à l’atténuation du gaz en question.
Selon la CPI, « une multiplication par dix du financement de la réduction du méthane est nécessaire pour atteindre les plus de 110 milliards de dollars nécessaires pour aider à réduire les émissions de méthane à l’échelle mondiale ». De quoi revoir nos priorités d’action pour les années à venir et prendre conscience de l’ampleur de la tâche qui nous attend.
– L. Aendekerk