Si la diversité génétique des espèces terrestres représente une grande richesse pour nos écosystèmes, elle est également considérablement fragilisée. Selon l’Organisation des Nations-Unies (ONU), plus d’un million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui gravement menacées. Parmi elles, la tortue verte et la tortue imbriquée sont classées respectivement en danger et en danger critique d’extinction. Si cette faune fascinante a traversé les siècles, elle se heurte aujourd’hui aux centaines de touristes amassés sur les plages et aux prétentions inconséquentes d’une franche luxueuse de la population. Publiée le mercredi 7 septembre dans la revue scientifique Global Change Biology, une nouvelle étude dresse la première évaluation mondiale de l’exploitations illégales des tortues marines. Alors que pour la dernière décennie la tendance est à la baisse, ce commerce clandestin a fait plus de 1,1 millions de victimes ces trente dernières années.
Peuplant nos océans depuis plus de 150 millions d’années, les tortues marines ont surmonté bon nombre d’obstacles à leur survie et ont traversé les crises climatologiques les unes après les autres. Malgré ces formidables capacités d’adaptation, six des sept espèces vivantes sont aujourd’hui considérées comme vulnérables ou gravement menacées.
Recul des populations de tortues marines
En tête du triste classement se hisse la tortue imbriquée, reconnue pour sa carapace aux écailles teintées de nuances brunâtres et parfois orangées, ornées de motifs irréguliers en forme de stries claires ou foncées. Un peu plus loin derrière elle arrive la tortue verte, la plus grande de son espèce. Avec une carapace mesurant en moyenne 115 cm et un poids oscillant entre 80 et 130 kg, certains spécimens atteignent jusqu’à 300 kg pour une longueur de 1,5 m.
Présentes dans tous les océans du monde à l’exception de l’océan Arctique, les tortues marines font localement l’objet de protection ou de plan de restauration, « mais la pollution, le braconnage et les prises accidentelles par engins de pêche restent des causes préoccupantes de recul de populations déjà très relictuelles », déplore l’organisation WWF qui les reconnait comme espèces prioritaires.
Une première mondiale
Ce constat, c’est également celui de Jesse F. Senko et Kayla M. Burgher, chercheurs à la School for the Future of Innovation in Society de l’Université d’état d’Arizona (Etats-Unis). Grâce à l’analyse de plus de 209 articles de revues à comité de lecture différents, de rapports d’archives des médias, de questions et de rapports d’organisation de conservation, ces deux scientifiques et leur équipe sont parvenus à dresser la première évaluation mondiale de l’exploitation illégale des tortues marines à plusieurs échelles spatiales couvrant les trois dernières décennies.
Le résultat de leur recherche, relayé par le journal britannique The Guardian, est alarmant : « nous estimons que plus de 1,1 million de tortues marines ont été exploitées entre 1990 et 2020 contre les lois existantes interdisant leur utilisation dans 65 pays ou territoires et dans 44 des 58 RMU (sous-populations géographiques) de tortues marines du monde, avec plus de 44 000 tortues exploitées chaque année », déclarent les chercheurs.
Une exploitation humaine sans limite
Sans surprise, l’exploitation illégale de ces espèces entre 1990 et 2000 concerne principalement les tortues vertes (représentant 56 % des espèces braconnées et 81% en nombre absolu) et imbriquées (39 % en terme d’espèce et 67% en nombre absolu). Si ces chiffres restent alarmants, les chercheurs observent aussi une diminution de 28 % de l’exploitation signalée des années 2000 aux années 2010.
« Notre évaluation suggère que l’exploitation illégale semble avoir diminué au cours de la dernière décennie et, à quelques exceptions près, se produit principalement dans des populations de tortues marines importantes, stables et génétiquement diverses ».
Pour autant, « l’exploitation humaine de la faune pour la nourriture, la médecine, les bibelots, les aphrodisiaques et les artefacts spirituels représente un défi de conservation croissant au XXIe siècle », rappellent les scientifiques. Et pour cause : cette étude fait tout de même état d’environ 44 000 tortues tuées et exploitées illégalement chaque année au cours de la dernière décennie dans 65 pays du globe.
Pour le Japon, la tortue se consomme sous toutes ses formes
Selon le rapport, c’est principalement en Asie du Sud-Est et à Madagascar que la chasse aux tortues marines se pratique à forte propension. Le Vietnam est quant à lui l’endroit où le trafic illégal de tortues de mer commence, alors que la Chine et le Japon s’affichent comme les consommateurs les plus populaires de ces produits. Sous forme de soupes, aphrodisiaques, artefacts ou simples trophées, les tortues qui nageaient autrefois paisiblement dans l’Océan font alors la jouissance éphémère d’une franche de la population luxueuse qui exalte à l’idée d’en consommer les vertus.
Il est cependant difficile d’établir une carte claire de ce trafic, notamment parce qu’il se joint souvent à des structures criminelles organisées qui multiplient les activités. « Notre évaluation ne comprend pas non plus les œufs ou les produits de tortue, tels que des bracelets ou des boucles d’oreilles à partir de coquilles de tortues de mer qui ne pouvaient pas être facilement attribuées aux tortues individuelles », expliquent les auteurs de l’étude qui craignent peut-être d’avoir largement sous-estimé le nombre de tortues braconnées.
Des facteurs culturels et socio-économiques à prendre en compte
Dans tous les cas, « il est clair que les pays en développement continueront de fournir les tortues illégales tant que de pays à revenu élevé continueront de les exiger en tant que produits de luxe », regrette Jesse Senko, co-auteur de l’étude. « Dans plusieurs cultures, avoir une tortue empaillée dans votre maison peut être le symbole d’un certain statut social ».
Les scientifiques espèrent du moins que ces nouvelles données permettront aux législateurs et aux écologistes du monde entier de mieux cibler les trafics et d’ainsi améliorer la protection des populations de tortues marines à l’avenir, notamment en prenant conscience des facteurs culturels et socio-économiques qui se cachent derrière ce commerce illégal.
Si les tortues marines ont parcouru les siècles et les millénaires en réussissant brillamment le pari de l’adaptation, parviendront-elles à survire à leur principal prédateur actuel : l’humain ? La réponse ne dépend que de nous.
– L.A.