Depuis l’été 2015, l’Europe connaît un afflux de demandeurs d’asile sans précédent, lui-même consécutif d’une crise humanitaire mondiale d’une gravité exceptionnelle. Des milliers de personnes tentent de rejoindre les côtes européennes dans l’espoir d’une vie meilleure et plus sûre, malgré les routes migratoires semées d’embûches et de dangers. Beaucoup d’entre elles débarquent ainsi sur l’île de Lesbos, un des plus gros « hotspot » de la migration européenne. Si les conditions de vie dans les camps de fortune bâtis à la hâte pour accueillir les migrants sont extrêmement précaires et difficiles, des citoyens et des associations s’organisent pour améliorer le quotidien de ces milliers de personnes. C’est le cas du projet Lesvos Solidarity, qui oeuvre à travers différentes actions pour la réhumanisation de la crise et la valorisation de l’individu et de ses savoirs-faire. Convaincue que l’activité professionnelle et la créativité sont la clef du sentiment précieux de dignité et d’utilité, l’association propose aux personnes déplacées de créer des sacs et autres accessoires à partir des gilets de sauvetage échoués sur les plages de l’île. En plus de la revalorisation de déchets polluants pour l’environnement, le projet permet de sensibiliser le grand public à la crise migratoire tout en redonnant confiance et espoir aux personnes rémunérées pour participer à ces ateliers. Focus sur une initiative positive qui remet la solidarité au centre de la crise migratoire.
Si l’être humain s’est toujours déplacé et a traversé les frontières à la recherche d’opportunités, l’explosion du nombre de conflits violents à travers le monde, de persécutions à l’égard de minorités et la formalisation des contrôles aux frontières ont conduit à la plus grave crise humanitaire jamais connue depuis la Seconde Guerre Mondiale, d’après le Haut Commissariat pour les Réfugiés. Et pour cause, fin 2014, l’agence onusienne estimait le nombre de déplacés dans le monde à 59,5 millions de personnes, soit 8,3 millions de plus qu’à la fin de l’année 2013. Depuis, ce chiffre n’a cessé de grimper pour atteindre aujourd’hui plus de 82 millions de personnes contraintes à se déplacer à travers le globe.
La plus grave crise humanitaire depuis la Seconde Guerre Mondiale
Même si ces personnes se déplacent majoritairement au sein même de leur pays d’origine ou, à défaut, vers les pays transfrontaliers à celui-ci, plusieurs milliers d’entre elles sont parvenues jusqu’aux côtes européennes, principalement sur les îles grecques, en Espagne et au sud de l’Italie. En plus de surcharger administrativement et financièrement ces pays du pourtour méditerranéen, la politique inégalitaire de l’Union européenne provoque un afflux de personnes sur des îles de quelques milliers d’habitants et conduit à la construction précaire de « camps de réfugiés » dans lesquels les personnes en attente d’une régularisation de leur situation demeurent dans des conditions de vie inhumaines et dégradantes. Résultat : plus de 20 000 migrants s’entassent sur l’île grecque de Lesbos dans un camp initialement prévu pour 2 600 personnes et près de 7 000 à Samos pour un camp prévu pour 670.
Et alors que les négociations politiques européennes traînent et peinent à aboutir à une gestion humaine et solidaire de cette crise, des milliers de personnes demeurent coincées dans un système de prise en charge déshumanisé et extrêmement précaire. Sans accès à l’éducation, aux soins de santé de base et parfois même à l’eau potable, le quotidien des migrants s’organise malgré tout. Si ces conditions de vie insupportables amènent avec elles leur lot de dérives – violences, viols, trafic d’êtres humains et désordres psychologiques – elles voient également émerger de nombreuses initiatives porteuses d’espoir et de sens.
Initiatives citoyennes porteuses de sens et d’humanité
Tantôt organisées par des associations et ONG sur place, tantôt par des citoyens et habitants de la région, elles visent surtout à réhumaniser cette crise et à porter une attention toute particulière à l’individu. C’est en tout cas ce que s’évertue à faire l’association Lesvos Solidarity, qui organise depuis l’été 2015, entre autres projets, un atelier de confection de sacs à partir des gilets de sauvetage échoués sur les plages de l’île. « En raison de l’énorme quantité de plastique et de déchets qui jonchent les belles plages de l’île, nous avons ressenti le besoin de contribuer à l’effort de nettoyage des plages et de trouver un moyen de recycler. Plutôt que de laisser les gilets de sauvetage usagés s’enterrer dans le sol, nous voulions leur donner un nouveau sens et générer un rappel positif que « là où il y a une volonté, il y a un chemin », explique les porteurs de l’initiative.
Cet atelier est ainsi la clef de voûte de leur projet d’intégration et d’éducation puisqu’il permet de lier personnes réfugiés et habitants de l’île. Ensemble, ils s’entraident alors dans la confection de sacs et d’accessoires mais apprennent aussi à se connaitre, à briser les préjugés et resserrer les liens. Ces gilets de sauvetage sont ainsi le symbole du passage extrêmement dangereux que des millions de réfugiés sont contraints d’entreprendre en raison des politiques européennes inhumaines aux frontières. Mais dans l’action de les recycler et de les transformer, il y a aussi la volonté de prouver qu’un avenir meilleur est possible. Ainsi, l’association espère que ses ateliers pourront redonner espoir et sens au quotidien de ces personnes souvent privées d’humanité lors de leur arrivée en Europe.
Recycler des gilets de sauvetage pour redonner espoir
Ces créations sont aussi l’occasion de sensibiliser le grand public à la crise migratoire tout en donnant l’opportunité à chacun de soutenir les projets de l’association, puisque les sacs sont mis en vente en ligne et livrés partout dans le monde. Chaque article porte ainsi en lui l’histoire d’un voyage forcé, mais constitue aussi une preuve solide de solidarité et d’humanisme.
Le projet Lesvos Solidarity ne s’arrête pas là et bien d’autres actions sont menées sur l’île pour accueillir solidairement les migrants et réfugiés qui y accostent. Ainsi, l’association est à l’initiative d’un camp d’habitations complètement ouvert qui offre un lieu de vie décent et accueillant aux personnes déplacées, alors que la détention forcée et la surpopulation sont d’habitude usuelles au sein des autres camps de réfugiés. Elle propose également aux personnes les plus vulnérables des soins de santé et psychologiques, une éducation pour les enfants, un support juridique et bien évidemment l’accès aux besoins de base tels que l’eau et la nourriture.
À l’heure où l’on entend surtout parler de « vague », « d’afflux » de migrants ou d’autres termes abstraits et généralistes, il est primordial de remettre au centre de l’attention ces individus au parcours unique et à la personnalité singulière afin de redonner vie et humanité aux débats autour de l’immigration. Déshumaniser les discussions poussent chacun d’entre nous, politiques, instances internationales ou citoyens, à adopter un point de vue déconnecté de la réalité du terrain, égoïste et calculateur. Pourtant, l’Humanité s’apprête incontestablement à traverser de nombreuses crises, quelles soient sanitaire, sociale ou écologique. La seule crise climatique va générer des déplacements de population gigantesques dans les prochaines années. Et une chose demeure certaine, ce ne sont ni des tableaux Excel, ni des grillages aux frontières qui nous sauveront, mais bien peut-être notre capacité à faire preuve d’humanité et de solidarité pour survivre ensemble à ces grands bouleversements.
Sources :
- Le Pikpa Camp : https://www.aljazeera.com/features/2018/10/18/the-peaceful-refugee-camp-with-yoga-classes-and-lavender-bushes et https://www.thecanary.co/feature/2019/05/24/the-grassroots-refugee-camp-that-shows-europe-a-better-way-of-doing-things/
- Rapport MSF : https://www.msf-azg.be/fr/news/hotspots-en-gr%C3%A8ce-rapport-sur-les-souffrances-dues-aux-politiques-migratoires-europ%C3%A9ennes
- Analyse des mouvements migratoires : https://www.myria.be/files/Myriatics1__FR.pdf
- Analyse des cartes : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/09/04/comprendre-la-crise-des-migrants-en-europe-en-cartes-graphiques-et-videos_4745981_4355770.html