Le film Free Speech, Parler Sans Peur, interroge nos sociétés contemporaines au cœur et pose une question fondamentale à travers le regard de Tarquin Ramsay, jeune réalisateur de 23 ans : quel est le prix que nous payons lorsque nous renonçons à une partie de notre liberté d’expression ?
Il n’a certainement été que rarement autant question de liberté d’expression que ces dernières années. L’avènement d’internet a en effet eu la conséquence paradoxale de multiplier les échanges possibles d’une part – bien au-delà de ce qui était permis jusqu’au là -, mais aussi, d’autre part, d’accroître les possibilités de contrôler ces communications. Qui plus est, alors que jusque là l’outil de censure appartenait essentiellement aux États, de grands groupes privés (GAFAM) et certains médias dominants jouent désormais un rôle essentiel pour réguler les informations qui circulent.
Armé de sa caméra, Tarquin Ramsay est donc allé à la rencontre de personnes qui luttent pour préserver cette précieuse liberté (parfois au prix de leur liberté physique) et nous emmène à Londres, aux États-Unis à Berlin. Grâce aux différentes interviews auprès d’acteurs clés (Julian Assange, Jérémie Zimmermann (la Quadrature du Net) et d’activistes), on découvre à quel point la problématique liée à la liberté d’expression prend une nouvelle dimension à l’heure d’internet et du dédoublement de notre identité, l’une physique et l’autre numérique.
Peut-on limiter la liberté d’expression ?
C’est avec cette question que commence le voyage de Tarquin Ramsay. « C’est la liberté de comprendre, d’écouter et la liberté d’expression qui constituent la liberté de communiquer (…) qui est le droit fondamental de chacun » et constitue la base de notre société, argumente Julian Assange, selon qui si l’on s’en tient à cette définition, la liberté d’expression ne peut pas être limitée sans porter atteinte à ce qui soude les individus, c’est-à-dire les constructions sociales.
Avec l’importance prise par internet, les États se voient désormais confrontés à un espace sur lequel ils n’ont que très peu d’emprise et où l’on voit se multiplier les discours contestataires avec une forte audience. Face à un phénomène qui fait indubitablement vaciller les forces politiques et économiques dominantes, les tentatives se multiplient pour reprendre le contrôle. La volonté de légiférer sur les « fake-news », expression fourre-tout qui pourrait être un prétexte pour museler la presse en est un exemple flagrant.
« Les gens considèrent la liberté d’expression comme acquise », résume John Kiriakou, alors que la préserver demande un engagement quotidien. Lui-même en a fait les frais : lanceur d’alerte, il a été condamné à 30 mois d’emprisonnement pour avoir révélé l’usage de techniques de torture pendant la guerre en Afghanistan et en Irak par l’administration Bush. En d’autres termes, dire la simple vérité. À l’heure ou la « menace terroriste » est utilisée pour renforcer le contrôle des citoyens et des citoyennes, son exemple illustre les paradoxes auxquels nous sommes confrontés. « Préféreriez-vous la menace – et seulement la menace – d’une attaque terroriste, ou votre capacité à communiquer librement ? C’est une décision importante à prendre », glisse le réalisateur.
Liste des séances ici.
Un débat qui ne peut plus être repoussé plus longtemps
Cette quête de réponse est d’autant plus fascinante qu’elle est réalisée par un jeune homme qui a à peine 18 ans au moment où il tourne les premières images de son reportage. « J’avais 15 ans lorsque j’ai commencé à poser des questions à mes camarades de classe [à propos de la liberté d’expression], qui comme moi, n’étaient pas informés et n’avaient qu’une vague idée de ce que pouvait être la liberté d’expression. J’ai vraiment pris conscience de son sens lorsque nous avons discuté avec les membres du Théatre Libre de Biélorussie. Je me suis rendu compte que dans la dernière dictature d’Europe, des gens se faisaient arrêter pour de simples représentations ! », raconte lTarquin Ramsay.
Les réflexions que l’on tire de ce film, qui pose des questions sans apporter de réponses définitives, sont dérangeantes parce qu’elles touchent au cœur même des valeurs sur lesquelles la société occidentale s’est développée jusqu’à présent : la liberté d’expression peut-elle souffrir d’exceptions ? Pourquoi certains tentent-ils de la limiter ? Le maintien d’une démocratie saine peut-il exiger qu’on impose certaines limites à la parole ? Le réalisateur, lui, semble répondre de manière négative à cette dernière question et invite à débattre de manière collective de ce que nous voulons faire de notre parole et de l’avenir de la démocratie.
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