À l’occasion de la dernière Conférence des Parties (COP), le Secrétaire général des Nations-Unies a présenté les conclusions de son nouveau rapport traçant les lignes rouges de la lutte contre le greenwashing en matière de neutralité carbone. Alors que les allégations « zéro émissions » fleurissent dans tous les domaines de la société – même les plus polluants d’entre eux – ces recommandation sans langue de bois viennent mettre de l’ordre pour assurer, autant que faire se peut, une transition concrète et authentique.
« Nous avons un besoin urgent que chaque entreprise, investisseur, ville, État et région tienne ses promesses en matière de neutralité carbone. Nous ne pouvons pas nous permettre d’initiatives trop lentes, fausses ou toute autre forme de greenwashing ». C’est par ces mots coup de poing qu’António Guterres, Secrétaire général de l’Organisation des Nations-Unies, dénonce les pratiques d’écoblanchiment entourant les promesses de neutralité carbone ces dernières années.
Et pour cause : coupe du monde au Quatar « neutre en carbone », vol en avion « compensé en CO2 », compagnie pétrolière atteignant prochainement le « zero net emission »,… Les allégations pour un monde bientôt sauvé des émissions carbones sont nombreuses, mais promettent pourtant souvent le maintient d’un mode de vie polluant et destructeur de notre environnement.
Stop au greenwashing
Pour lever le voile sur ce paradoxe marketing et redorer le blason des initiatives neutres en carbone, António Guterres, le neuvième secrétaire de l’ONU n’a pas hésité à rappeler aux différents acteurs internationaux présents à la COP27 que les affirmations « zéro net » devaient s’accompagner impérativement de mesures planifiées, efficaces et transparentes, sous peine de se voir taxées de greenwashing – ou d’écoblanchiement en français.
Un an plutôt, l’homme politique portugais à la tête de l’instance internationale avait promis un rapport censé encadrer les objectifs « net zéro » des entités non étatiques, remédiant ainsi à un « excès de confusion et un déficit de crédibilité ».
Alors que cette étiquette figure actuellement sur plus de 80% des émissions mondiales d’équivalent carbone, aucune institution ne la définie ou la réglemente, laissant ainsi la place à un greenwashing décomplexé sans précédent de la part des entreprises pressées de s’accorder la médaille d’une conscience environnementale.
Pour pallier ce phénomène gangrénant chaque domaine de la société, un groupe d’experts de haut niveau (HLEG) présidé par l’ancienne Ministre canadienne de l’environnement et du changement climatique, Catherine McKenna, avait alors été mandaté. Sept mois plus tard, l’ancienne Ministre présente le « résultat d’un travail et de consultations intenses » traçant les lignes rouges à ne pas dépasser en matière d’allégations et de promesses pour le climat à l’occasion de la COP27 pour le climat, le 8 novembre dernier.
Une actualité qui appelle à l’action immédiate
Avant toute chose, la femme politique canadienne a insisté sur l’urgence climatique et environnementale à agir, s’appuyant sur les récents phénomènes météorologiques extrêmes qui ont compromis la santé, la sécurité alimentaire et hydrique, la nature, la sécurité et le développement socio-économique de plusieurs régions du monde ces derniers mois.
« Rien qu’en 2022, la Chine a connu une grave sécheresse tandis que la moitié du Pakistan a été inondée. Des vagues de chaleur meurtrières ont tué des dizaines de milliers de personnes en Inde et des incendies de forêt massifs se sont propagés à travers l’Espagne et la Californie », rappelle Catherine McKenna pour qui « nous progressons, mais nous sommes encore trop loin de là où nous devons être ».
Face à ce constat inquiétant, « la planète ne peut pas se permettre des retards, des excuses ou davantage de greenwashing », affirme la présidente du Groupe d’experts qui lance dix recommandations à l’attention des acteurs non-étatique (villes, régions, investisseurs et entreprises) :
- Annoncer rapidement un engagement « zéro émissions » ;
- Fixer des objectifs à court et long terme respectant les recommandations du GIEC, pour amoindrir les effets du réchauffement climatique ;
- Utiliser des crédits volontaires à haute valeur l’intégrité et seulement après avoir décarbonner ses activités ;
- Créer un plan de transition réaliste et ambitieux ;
- Éliminer progressivement les combustibles fossiles de ces activités et investissements et promouvoir le développement des énergies renouvelables ;
- Aligner les activités de lobbying et le discours de plaidoyer auprès des citoyens ;
- Considérer les savoirs-faire, droits et intérêts des communautés locale pour une transition juste ;
- Accroître la transparence des activités et le sentiment de responsabilité ;
- Investir dans des secteurs soutenant une transition juste ;
- Accélérer la voie vers une réglementation conforme aux objectifs de Paris.
Si ces directives s’inspirent massivement de précédentes initiatives telles que Race to Zero et Science Based Tagets, elles soulignent aussi que les acteurs non étatiques doivent rendre compte publiquement de leurs progrès avec des informations vérifiées qui peuvent être comparées avec leurs pairs afin d’éviter « une comptabilité climatique malhonnête et d’autres actions visant à contourner la nécessité d’une décarbonisation profonde ».
La comptabilisation de l’intégralité des émissions
Ainsi, les promesses de neutralité carbone se doivent par exemple d’être conformes aux scénarios du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies limitant le réchauffement à 1,5 degré Celsius. « Cela signifie que les émissions mondiales doivent diminuer d’au moins 45 % d’ici 2030 – et atteindre ‘net zéro’ d’ici 2050. », détaille le Secrétaire général qui insiste sur la comptabilisation de toutes les émissions de gaz à effet de serre et tous leurs périmètres : directes, indirectes et celles provenant des chaînes d’approvisionnement.
Un pied de nez à peine voilé aux entreprises de combustibles fossiles et à leurs « facilitateurs financiers » qui promettent la neutralité carbone en excluant les produits et activités de base pourtant néfastes à l’environnement.
« Les acteurs non étatiques ne peuvent prétendre être net zéro tout en continuant à construire ou à investir dans de nouveaux approvisionnements en combustibles fossiles », affirme quant à elle l’ancienne Ministre canadienne Catherine McKenna dans la préface du rapport.
« Le charbon, le pétrole et le gaz représentent plus de 75 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le ‘net zéro’ est totalement incompatible avec la poursuite des investissements dans les combustibles fossiles ».
De même, d’autres activités destructrices de l’environnement comme la déforestation sont disqualifiantes pour une institution qui souhaite arborer le sigle « zéro émissions ».
Des plans à court et moyen terme pour accompagner la transition énergétique
Lors de la présentation du rapport intitulé « L’intégrité compte », M. Guterres a également insisté sur la mise en place des plans détaillés et concrets accompagnant la transition des entreprises vers une réduction de ses émissions. Comme pour les États, le chef de l’ONU recommande des bilans à chaque demi-décennie, permettant ainsi des réajustements stratégiques nécessaires.
Afin de faciliter de telles initiatives, le Secrétaire général a également appelé à « accélérer les efforts de normalisation des rapports d’étape, dans un format ouvert et via des plateformes publiques qui alimentent le Portail mondial de l’ONU sur l’action pour le climat » afin de combler les lacunes du manque d’autorités tierces crédibles universellement reconnues en la matière. Ces données open source assureraient alors la publicité et la mise en commun des bonnes pratiques à travers les différents secteurs de la transition.
Décarboner avant de compenser
Autre condition indispensable pour un objectif crédible de neutralité carbone : réduire en priorité et le plus possible les émissions de gaz à effet de serre des activités de l’organisation avant de chercher à les compenser. Ainsi, s’il apparaît de plus en plus facile de compenser certaines activités particulièrement émettrices en achetant des « crédits carbones », de tels comportements ne suffisent pas à assurer l’avenir environnemental de notre planète.
« Les acteurs non étatiques ne peuvent pas acheter des crédits bon marché qui manquent souvent d’intégrité au lieu de réduire immédiatement leurs propres émissions tout au long de leur chaîne de valeur », explique le rapport.
Faire un don pour planter quelques arbres à l’autre bout du monde n’est donc pas suffisant pour compenser les émissions d’un vol Paris-New York, avis aux compagnies aériennes !
Contrer les lobby de l’immobilisme climatique
Dernier point mais pas des moindres, les experts insistent également sur la nécessité de limiter le lobbyisme menaçant les initiatives environnementales : « Les acteurs non étatiques ne peuvent pas faire pression pour saper les politiques climatiques ambitieuses du gouvernement, soit directement, soit par le biais d’associations professionnelles ou d’autres corps ». Au lieu de cela, le rapport appelle à un alignement moral entre le plaidoyer public des entreprises, leurs stratégies de gouvernance et commerciales internes et leurs engagements climatiques véridiques.
Au final, si ce rapport ne réinvente pas les règles du jeu en la matière – se basant principalement sur des recommandations d’initiatives préexistantes -, il a le mérite d’assurer le positionnement sans équivoque des Nations-Unies en matière de neutralité carbone.
En instaurant ainsi un cadre certes non contraignant mais suffisamment clair pour les activités des organisations non-étatiques, le groupe d’expert offre également aux citoyens la possibilité de se saisir de ce nouvel outil pour nourrir des actions de revendication dénonçant les pratiques de greenwashing qui dépasseraient les lignes rouges dressées par ce rapport. C’est le cas par exemple de la banque française BNP Paribas, récemment mise en demeure pour ces financements polluants.
– L.A.
Photo de couverture : Greenwashing aviation. Credits: Stay Grounded / Sarah Heuzeroth. Source : Flickr