Plus les années passent, plus une partie croissante de la population mondiale prend conscience des enjeux éthiques et environnementaux liés à la consommation des produits animaux. Mais pour certains, l’argument financier demeure le premier critère à entrer en ligne de compte. À tort ou à raison ? Comparaison.
Certains aliments végétaux peuvent donner l’impression d’un régime plus dispendieux que la moyenne et hors de portée des classes populaires. Si cette affirmation est contestable à de nombreux égards, d’autres aspects restent cependant fondés, mais alimentés par l’orientation des pouvoirs publics ainsi que certaines entreprises qui visent encore une clientèle restreinte et aisée.
Comparer ce qui est comparable
Si l’on veut procéder à une comparaison honnête et équitable, il convient d’abord de mettre sur la table des produits comparables ; autrement dit similaires d’un point de vue nutritionnel.

Pour se faire une idée, sans prétendre fournir des données exhaustives et scientifiques, Mr Mondialisation s’appuiera ici sur les articles disponibles dans une grande enseigne française : Leclerc, dans une ville de province, Marsannay-la-Côte, en août 2025, hors promotions.
Quand on cherche un équivalent à la viande dans le rayon végétal, on pense inévitablement aux légumineuses. Et celles-ci restent bien moins onéreuses au kilo que la viande classique traditionnelle. Les indications apportées ci-dessous concernent des denrées crues et non cuisinées.
Des produits bruts végétaux, bien moins chers
Ainsi, pour un kilo de haricots blancs, on devra débourser 3,26 €/kg, 2,08 €/kg pour des pois cassés, ou 3,26 € pour des lentilles vertes. Même en allant chercher dans le bio, on montera au maximum à 4,30 €/kg pour des pois chiches et 6,12 €/kg pour des lentilles de corail.
La viande, quant à elle, chiffre beaucoup plus haut : que ce soit le bœuf (allant de la bavette à 43,25 €/kg au steak haché à 12,96 €/kg), le porc (du filet mignon à 13,73 €/kg à la côte à 8,49 €/kg), le poulet (du blanc à 13,78 €/kg, aux cuisses de batterie à 4,45 €/kg). Même conclusion côté poisson où l’on peut trouver du dos de cabillaud à 36,89 €/kg jusqu’à du pavé de saumon à 20,43 €.
Bien entendu, il existe d’autres variables qui peuvent influencer les prix comme les modes de production (bio ou non) ou leur pays d’origine. Pour autant, on constate ici que la tendance rend le végétal très compétitif puisqu’un kilo de lentilles bio vaut déjà deux fois moins cher qu’un steak haché de bœuf de base.
À noter qu’on pourrait y opposer la valeur nutritive au kilo. Cependant, si la viande est environ 3 fois plus riche en protéine au kilo que les lentilles (la viande bon marché, soit la plus répandue, tombe à 1,5 seulement), elle est toutefois jusqu’à 35 fois plus grasse que les lentilles. Ces dernières sont donc un puissant bouclier contre le cholestérol et les maladies cardio-vasculaires. Les légumineuses sont aussi très riches en fibre – bonnes pour le transit et le cœur – là où la viande ne l’est pas du tout. Quant à la B12, nos besoins varient d’un corps à l’autre en termes de prise et son coût (de 5 à 30 €/an pour une personne végétalienne) n’est pas significatif exporté proportionnellement à chaque kilo d’alternative végétale.
Autrement dit, on peut aisément estimer que les légumineuses étant a minima 3 fois moins coûteuses au kilo que la viande, elles restent en moyenne moins chères que la viande à nutrition comparable.
Enfin, impossible de parler alimentation végétalienne sans mentionner le soja. Loin d’être celui, OGM, qui déforeste l’Amazonie, destiné à nourrir le bétail à travers le monde, le soja servant par exemple de base au tofu est largement bio et local et s’avère un excellent apport en protéine. Selon les variables, la teneur en protéine au kilo du tofu peut être équivalente à la viande, sinon jusqu’à moitié moins riche maximum. Son coût ? Entre 5 et 12 € le kilo en supermarché selon les marques. Soit toujours moins cher en moyenne que la viande.
Bien sûr, le tofu s’obtient à partir d’une transformation du soja via trempage et coagulation, mais celle-ci reste cependant assez minime. Il existe d’ailleurs également des fèves de soja (comme l’edamame) vendues brut, généralement à moins de 4€ le kilo, mais qui n’étaient pas présentes dans notre Leclerc d’exemple.
Un son de cloche différent sur les produits transformés
« ce préjugé se construit sur l’imaginaire collectif moderne de ce que doit être un repas : une viande et un accompagnement »
Mais alors d’où vient l’impression que l’alimentation végétale coûte si cher et serait réservée à une frange de la population plus aisée ? À l’image du poncif « Les articles véganes sont tous ultra-transformés », ce préjugé se construit sur l’imaginaire collectif moderne de ce que doit être un repas : une viande et un accompagnement (légumes ou autre).
Et lorsqu’une personne peu intéressée par la nourriture végétale se projette dans ce mode de vie, elle a tendance à se focaliser sur des produits dont on parle beaucoup : les simili-carnés. Autrement dit, des aliments transformés censés imiter ou remplacer la viande. Et ce, même s’ils ne sont absolument pas indispensables à une alimentation végétalienne.
La viande gagne le match de l’ultra-transformé
Ceci étant, dans cette catégorie, les produits animaux arrivent souvent à concurrencer les végétaux. Toujours dans notre Leclerc d’exemple, les nuggets au poulet les moins dispendieux tombent à 7 €25/kg contre 7 €75/kg pour les version végétales les moins onéreuses. Dans le haut de gamme, les articles Happyvore, réputés pour leurs grandes ressemblances avec les originaux, peuvent même atteindre 16 €10/kg, contre 13,25 €/kg pour les nuggets à la viande les plus chers.
Son de cloche identique dans les imitations de steaks hachés ou l’entrée de gamme végétale affiche 12,95 €/kg pour aller jusqu’à 16,90 €/kg concernant les plus prisés. Des prix similaires ou largement supérieurs au steak haché classique à 12,96 €/kg. D’autant qu’en effet, il faut souvent aller piocher dans les plus onéreux pour retrouver des saveurs approchantes.
Pourquoi un tel écart ?
Quand on observe à quel point les produits bruts sont beaucoup moins chers du côté du végétal, on peut légitimement se demander pourquoi il existe alors une différence en faveur de la viande au sein des denrées transformées.
Il est d’abord nécessaire, bien sûr, de prendre en compte un coût au développement et à l’innovation pour des produits qui cherchent à imiter le goût de la viande. Et certaines marques y parviennent, parfois au prix d’une qualité sanitaire douteuse – au même titre que la viande rouge, d’ailleurs.
Un coût de développement qui n’explique pas tout
Si la recherche indispensable pour développer des produits capables d’imiter la viande de façon de plus en plus étonnante nécessite en effet des investissements, il n’en est pas moins que certains industriels profitent surtout de la situation pour vendre des articles de mauvaise qualité gustative et parfois tout aussi chers.
Au sein des grandes entreprises, et dans la population en général, l’idée que les végétariens et les véganes disposeraient de plus de moyens que l’ensemble des citoyens demeure bien ancrée. Et si ceux qui consomment moins de viande semblent détenir un niveau de diplôme plus important, il existe pourtant une partie des Français avec peu de revenus qui aimerait aussi sans doute se pencher sur ces questions.
Toujours est-il que les industriels ont bien flairé une manière de tirer profit d’une classe moyenne plus aisée, mais également des plus modestes qui se sacrifieront parfois pour leurs convictions. Malgré tout, on peut observer que la tendance s’améliore, puisque de plus en plus de simili-carnés arrivent aujourd’hui à offrir des coûts plus abordables ou sont souvent en promotion (effet découverte), ce qui était moins le cas il y a encore une petite dizaine d’années.
Par ailleurs, à échelle d’une année de courses, il faut nuancer : ces substituts ne sont pas destinés à la même consommation que les viandes ultra-transformées. En effet, dans l’alimentation végétale, ils peuvent être temporaires, le temps de transiter d’un régime omnivore vers de nouvelles habitudes alimentaires, notamment maison et plus saines. Ils peuvent également être occasionnels, afin de mettre à l’aise de invités omnivores ou de se faire un petit plaisir régressif (à rappeler que la majorité des vegan ne le deviennent pas par dégoût de la viande mais pour des raisons éthiques).
Dans cette perspective, il est bien plus sain et moins coûteux de manger végétal avec quelques exceptions en simili que de consommer en grande quantité, sans trop de vigilance, des viandes transformées quotidiennement.
Pas juste une question d’argent
De plus, le fait que les produits carnés aient une clientèle beaucoup plus importante que les végétaux joue aussi nécessairement dans leurs prix. Fabriquer et vendre en grosse quantité a un effet mécanique sur ce levier. Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de constater que les mêmes simili-carnés sont souvent beaucoup moins chers en ville, où ils ont plus d’amateurs, qu’à la campagne.
Bien que pas forcément très sains, les produits transformés ont cependant aujourd’hui une grande place dans nos usages alimentaires, et ils font régulièrement gagner du temps dans des existences où il en manque parfois beaucoup. Et il s’agit là également d’un autre facteur qui va bien au-delà de l’économique…
Car le principal frein à l’alimentation végétal n’est sans doute pas l’argument financier, mais bien celui de nos habitudes. En effet, nous sommes confrontés ici à quelque chose d’extrêmement intime qui touche à notre identité profonde, très compliquée à modifier, d’autant plus avec l’âge ou en situation de précarité.
En effet, à défaut de demander plus d’argent, modifier son régime alimentaire exige souvent plus de temps. Que ce soit dans les premiers mois de sa transition afin de tout repenser, ou parfois au quotidien pour trouver certains produits gourmands, varier ou même cuisiner soi-même. Or, le temps peut s’avérer un privilège auquel les classes populaires n’ont pas toujours accès.
Une nécessaire évolution
Et pourtant, même si se placer en moralisateur au-dessus de la mêlée ne serait guère productif, il convient de rappeler que la végétalisation de notre nourriture, au moins partielle, n’est pas seulement un enjeu éthique vis-à-vis de notre comportement envers les animaux, mais également un changement indispensable à notre survie sur terre.
En effet, tous les scientifiques environnementaux sont formels sur le fait que ce modèle alimentaire n’est pas viable et que son impact sur le climat, mais aussi sur les sols et la biodiversité est absolument désastreux. Par exemple, un régime végétal permet jusqu’à 75% d’émissions en moins qu’une alimentation carnée et, même si acheter en circuit court est primordial, rien qu’un seul jour sans viande a plus d’effets positifs sur la planète que de manger 100% local.
Des pouvoirs publics absents
Or, sur cette question, le poids des responsabilités ne repose pas seulement sur les épaules des citoyens, mais aussi sur celles des pouvoirs publics. En effet, le changement de mentalité global ne peut pas venir uniquement d’initiatives personnelles dites du « consom-acteur ».
L’État a d’ailleurs les moyens d’agir sur plusieurs fronts, en commençant par les écoles où les cantines pourraient être drastiquement végétalisées afin d’éduquer les nouvelles générations à d’autres gastronomies et assainir leur équilibre alimentaire. La sensibilisation aux causes animales et environnementales pourrait même faire partie des questions abordées pendant la scolarité. Sans compter qu’il est plus que temps de déconstruire le mythe délétère pour la santé publique d’un besoin en viande journalier.
Enfin, pour en revenir au cœur du sujet, il serait très possible pour un gouvernement avec une véritable volonté politique de favoriser l’alimentation végétale d’un point de vue pécuniaire. D’abord en modifiant ses orientations agricoles ; actuellement, l’UE subventionne 1200 fois plus l’élevage que les alternatives à la viande. Mais aussi en finançant la recherche ou en ajustant les taxes (voire en bloquant les prix) sur les produits les plus sains pour notre société et notre planète.
Et cela pourrait être encore amélioré par une direction politique forte contre les lobbies écrasants de la viande ou les monopoles géographiques des grands industriels, au profit d’un retour des petits commerces locaux, et même en vrac. Tout un programme.
– Simon Verdière
Image d’entête @Kampus Production/Pexels















