Alors que la crise du néolibéralisme ne semble jamais devoir s’arrêter, de plus en plus de citoyens réclament la justice fiscale par la taxation des plus grandes fortunes. Or, pour s’opposer à cette mesure, certains émettent l’idée que les biens des milliardaires seraient en grande partie « fictifs » puisqu’ils reposeraient sur des actifs boursiers, ce qui n’aurait rien à voir avec de « l’argent sur un compte ».

Si l’on se penche de plus près sur cette affirmation et toutes les réflexions qui tournent autour, on prend très vite conscience qu’elle est fallacieuse et qu’elle a en réalité été distillée par les plus riches eux-mêmes afin de défendre l’ordre établi.

Des fortunes compliquées à évaluer

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut commencer par indiquer que les classements des fortunes que l’on voit régulièrement dans certains magazines ne sont que des estimations très imprécises. Il est très difficile de savoir de combien exactement disposent les plus riches de ce monde puisqu’ils ne se précipitent pas pour rendre la chose publique.

Et on peut le comprendre lorsque l’on garde à l’esprit que tous leurs agissements ne sont pas toujours très légaux et/ou moraux. On se souvient par exemple que les Pandora Papers évaluaient à 11 300 milliards de dollars l’argent placé dans les paradis fiscaux.

Ces classements sont donc essentiellement fondés sur le patrimoine professionnel, c’est-à-dire sur les parts détenues dans les entreprises. La raison est simple : ces actifs sont le plus souvent publics, tout au moins lorsque les compagnies concernées sont cotées en bourse. Exit les propriétés immobilières, les yachts et autres œuvres d’art.

Ces hiérarchies des plus riches ne sont d’ailleurs pas établies par une presse gauchiste, mais bel et bien par des titres capitalistes comme Forbes ou Challenges. Preuve qu’eux-mêmes accordent une valeur réelle à ce patrimoine.

Les travailleurs produisent la richesse

Soulignons également que si les milliardaires ont beaucoup plus d’actions que d’argent comptant, c’est d’abord parce qu’il est inutile de disposer d’autant de liquidités sur un compte, mais aussi parce que c’est de cette manière que l’argent peut fructifier le plus rapidement possible et augmenter constamment la masse de cette fortune.

De plus, contrairement à ce que beaucoup de politiciens racontent, les très aisés emploient bien plus souvent leurs deniers pour acheter de nouveaux titres que pour investir dans les entreprises, et ce malgré les régulières baisses d’impôts dont ils ont bénéficié sous l’ère Macron. C’est d’ailleurs bien ce qu’on leur reproche.

Chaque année, les milliardaires acquièrent donc une multitude d’actions supplémentaires grâce à la richesse créée par les travailleurs des sociétés qu’ils détiennent. On a même du mal à concevoir comment ces richesses pourraient être virtuelles, alors que le cours des actions des compagnies concernées dépend en bonne partie de leur productivité.

En d’autres termes, plus les salariés s’acharnent à faire tourner une entreprise, plus ses parts vont prendre de la valeur. Or, c’est également par ce biais que leurs détenteurs vont obtenir des dividendes, de l’argent bien liquide cette fois.

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Toujours plus d’actions pour toujours plus d’argent

Des gains qui seront bien souvent à leur tour utilisés pour acheter de nouveaux titres afin de poursuivre ce cycle très lucratif. En procédant ainsi, les ultra-riches sortent donc des sommes colossales de l’économie réelle pour les injecter dans une bulle spéculative.

La fortune des plus aisés ne s’est alors pas seulement constituée avec des fluctuations boursières, mais aussi avec une accumulation progressive de plus en plus d’actions. À titre d’exemple, fin 2021, la famille de Bernard Arnault en détenait pas moins de 241,4 millions. Le fait que les plus privilégiés s’obstinent à faire ces acquisitions prouve d’ailleurs bien que celles-ci n’ont rien de fictif. Pourquoi autrement investir de l’argent réel dans un patrimoine virtuel ?

Un patrimoine aisément convertible en cash

Dans les faits, si la valeur des actions est fluctuante, elle n’en est, pour autant, pas moins réelle. Lorsque les ultra-riches ont besoin de fortes liquidités, ils n’hésitent d’ailleurs pas à en vendre une partie. Dans ce domaine, l’exemple d’Elon Musk, dont l’immense majorité de la fortune est basée sur un capital boursier, est très illustratif.

En 2021, le fantasque milliardaire a, par exemple, cédé une légère portion de ses parts chez Tesla : en à peine un an, il a dégagé pas moins de 39 milliards de dollars afin de racheter Twitter, mais aussi de payer ses impôts.

Photo de Adeolu Eletu sur Unsplash

Il est donc possible pour les milliardaires de générer des sommes colossales tout en vendant une infime partie de leurs actions, ce qui n’a pas vraiment d’impact ni sur leur valeur ni sur le pouvoir qu’il exerce sur les sociétés concernées. D’ailleurs, ces actions sont largement considérées par les banques comme une véritable richesse puisqu’elles peuvent servir de gage pour obtenir des prêts très importants.

Car si les plus fortunés investissent tant dans ce domaine, ce n’est pas seulement pour son immense potentiel financier. C’est aussi pour garder la mainmise sur les entreprises qui, elles, produisent bel et bien une richesse concrète grâce à la force de travail de leurs employés.

80 milliards de dividendes pour le CAC40 en 2022

Rappelons également que tous les ans, une partie des actions détenues dans une entreprise est convertie en dividendes, c’est-à-dire en cash. Rien que pour les sociétés du CAC40 l’an dernier, cela ne représentait pas moins de 80 milliards d’euros.

Ces revenus sont certes variables, mais en hausse continuelle depuis quelques années. Et surtout, ils correspondent à des sommes bien concrètes et constantes qui sont autant d’argent en moins sur les fiches de paie des salariés de ces entreprises.

Pour réduire les inégalités, il serait donc possible de commencer par réguler ou imposer plus fortement ces ressources aux bénéfices des travailleurs et du service public. On peut aussi évoquer les revenus en tant que PDG qui ne sont pas négligeables : en 2016, celui de Bernard Arnault était par exemple de 7,8 millions d’euros.

Le sujet des capitaux propres détenus par les actionnaires dans les entreprises n’est pas non plus à oublier. Selon une note de la CGT, la famille Arnault conserve ainsi 18 milliards chez LVMH. Même configuration pour les Bettencourt qui possèdent 6 milliards et le clan Pinault, assis sur 5 milliards rien que pour une seule de ses sociétés.

Si l’on fait une moyenne, Bernard Arnault a donc « accumulé 723 000 € par jour depuis sa naissance soit près de 50 années de SMIC net quotidien pendant 72 ans », explique l’organisation syndicale.

Quelqu’un peut-il décemment affirmer que quiconque sur terre puisse mériter un tel patrimoine (qui, en plus, ne représente qu’une infirme partie de sa fortune totale) ?

Pour une justice fiscale

Lorsque l’on parle de taxer les ultra-riches, il faut de plus bien garder à l’esprit qu’une immense partie de leur pactole demeure cachée. En plus des rémunérations restent les placements en tout genre, notamment immobiliers, qui produisent tous du cash.

Évidemment, lorsque l’on explique que le montant global de la fortune d’un milliardaire correspond à celui du financement de l’éducation nationale, il ne s’agit pas de dire que l’on va prendre toute cette somme pour un tel usage. Le but est surtout de choquer afin de montrer à quel point les inégalités sont devenues totalement démentielles entre les plus aisés et les moins favorisés. Rappelons par exemple que le patrimoine des cinq Français les plus riches équivaut à celui des 27 millions les plus pauvres.

On peut certes aller plus loin en se posant la question légitime de l’existence des milliardaires d’un point de vue éthique et philosophique. Il y a cependant fort à parier que pour en arriver là, il faudrait sans aucun doute abolir définitivement le capitalisme et bifurquer vers un système plus soutenable.

Taxer les ultra-riches 

Mais avant d’y parvenir, on pourrait d’abord passer par une étape transitoire. En étant moins ambitieux, pour que tout le monde puisse vivre décemment et dignement, il suffirait que chacun contribue équitablement à hauteur de ses moyens. Or c’est très loin d’être le cas pour les plus fortunés. Proportionnellement, on voit nettement que l’impôt sur le revenu français pèse essentiellement sur les classes populaires et que les 1 % les plus riches sont largement épargnés.

Le sacrifice réclamé aux plus privilégiés, par exemple par la gauche traditionnelle, est en réalité très loin d’être conséquent. Ainsi, lors des présidentielles, l’effort fiscal demandé aux ménages les plus riches du pays par Jean-Luc Mélenchon représentait à peine 48 milliards d’euros par an. À titre de comparaison, les 42 personnes les mieux loties de France à elles seules ne possèdent pas moins de 544,5 milliards de patrimoine.

Si l’on reste dans le cadre du programme de la NUPES, ce serait d’ailleurs une petite part des Français mis à contribution puisque l’impôt devait augmenter pour les 8 % de Français les plus aisés, à savoir peu ou prou ceux gagnant plus de 4000 € par mois. Il est donc complètement infondé de dire que la gauche veut étrangler les plus riches. On est encore très loin d’un projet communiste, comme celui de Bernard Friot par exemple.

Les entreprises doivent payer

Enfin, à cela il faut ajouter la nécessité de taxer directement les entreprises. Évidemment, on parle des compagnies d’envergure faisant des profits record. Comme pour les ménages les moins riches, il est sans doute également indispensable de relâcher la pression sur les PME.

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Un processus qui empêcherait une bonne fois pour toutes les grandes sociétés de se cacher derrière les petites. Rappelons par exemple qu’en 2021, les seules sociétés du CAC40 ont réalisé par moins de 173 milliards de bénéfice. De la même façon, l’État offre aux groupes français plus de 157 milliards d’aides, sans aucune contrepartie. Là encore, le besoin des plus modestes ne doit pas être un prétexte pour justifier des versements à des géants qui n’en ont aucune utilité.

En plus d’une obligation de mieux payer les salariés, il est donc indispensable d’augmenter les taxes sur tous ces groupes. Par ces procédés, on évitera déjà qu’une bonne partie de la richesse produite file à nouveau dans la bulle spéculative et on pourra améliorer nos services publics laissés à l’abandon. Un changement qui, lui non plus, n’aurait rien de fictif.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Vincent Bolloré en conférence à l’UNESCO. Wikicommons.

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